C O N C E R T S
 
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MUNICH
04/11/2006
 
© DR

Giuseppe Verdi (1813-1901)

Don Carlo

Version italienne en 5 actes
version de 1886
+ finale de l’acte IV conforme à la version originale de 1867

René Pape (Philippe II)
Fabio Armiliato (Don Carlo)
Simon Keenlyside (Posa)
Askar Abdrazakov (Grand Inquisiteur)
Steven Humes (Moine)
Norma Fantini (Elisabeth)
Luciana D’Intino (Eboli)
Lana Kos (Tebaldo)
Kevin Conners (Lerma)
Tommaso Randazzo (Héraut)
Talia Or (Voix du Ciel)

Bayerisches Staatsorchester : dir. Paolo Carignani
Mise en scène, décors, costumes et lumières : Jürgen Rose

Munich, samedi 4 novembre 06

D’un Riccardo l’autre…

On reste ébahi devant de tels spectacles. Surtout quand on se dit qu’il s’agit là d’une reprise de répertoire, c’est-à-dire le « tout-venant » de la maison… Mais un tel tout-venant a de quoi forcer le respect. Cette production est en effet à la (dé)mesure de l’œuvre : figurants par dizaines, choristes dépassant la centaine, débauche de moyens techniques (une procession digne de la Semaine Sainte à Séville pour l’autodafé, un bûcher avec de vraies flammes, terreur de tout directeur de théâtre digne de ce nom, et des escouades de pompiers déjà à l’affût de la moindre allumette craquée sur scène…), et un plateau prestigieux.

Certes, Fabio Armiliato semble encore mal remis du refroidissement dont il a souffert au début de la production, et ses aigus peinent à retrouver l’éclat qu’on leur connaît d’ordinaire. Mais le personnage est là, solide, présent, terriblement crédible. L’Eboli de Luciana D’Intino, face à ce Carlos fiévreux, semble peut-être trop belle de pâte sonore, et reste un rien en retrait dans sa caractérisation. Il est vrai que la direction d’acteurs n’est pas des plus abouties, laissant parfois l’impression que certains gestes sont sinon en contradiction avec la mise en scène, du moins un rien paradoxaux. Mais on ne va pas bouder notre plaisir pour si peu, d’autant qu’à leurs côtés, les réserves s’effacent : le miraculeux Philippe II de René Pape habite son personnage comme personne, tour à tour monarque hautain et humble mortel, dictateur autiste puis pantin soumis et attentif comme un enfant perdu aux paroles du vieil Inquisiteur (remarquable Abdrazakov). Vocalement somptueux, Pape emplit avec une aisance confondante l’espace du grand Opéra de Munich, et c’est symptomatiquement dans ses pianos surtout (le tour de force étant de garder, dans les sons les plus impalpables, une telle qualité de timbre) que l’on entend le mieux quel grand artiste il est…

Il faudrait des pages pour dire tout le bien que l’on pense du Posa de Simon Keenlyside. Son chant est l’un des plus beaux et des plus accomplis parmi les barytons de sa génération. Le timbre est somptueux, l’incarnation poignante, toujours juste. Si l’on n’avait récemment entendu Ludovic Tézier dans le même rôle (à Toulouse, en début de saison dernière, puis à Strasbourg au printemps, et en français cette fois), on pourrait même se permettre d’affirmer que nous tenons là son meilleur interprète actuel. Qui d’autre, aujourd’hui, possède à un tel degré cette projection haut placée, cette franchise d’émission, cet art des couleurs ? Une leçon de chant, assurément.

Quant à Norma Fantini, elle est peut-être l'autre grande triomphatrice de cette soirée : technique de chant elle aussi prodigieuse, aigus flottés comme on en entend rarement de nos jours, sachant donner au son de l’intensité sans jamais forcer pour autant. Du grand art.

Paolo Carignani, à la tête d’un Orchestre bavarois des grands soirs, entraîne tout ce beau monde avec peut-être trop d’élégance pour la cruauté des drames qui se jouent devant nos yeux – mais on ne se plaindra pas de ce souffle nerveux, de ces couleurs très méditerranéennes qu’il sait insuffler à la phalange bavaroise.

Précisons que la version donnée ici reprend la dernière révision de Verdi (1886), version en langue italienne sans ballet, mais ingénieusement agrémentée du finale du IVe acte originel, avec en thème sous-jacent une cellule mélodique que Verdi réutilisera bientôt pour son Requiem. Moment rare et saisissant pour l’auditeur, qui y retrouve malgré lui l’écho du Requiem à venir.



David FOURNIER

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