OPERAS - RECITALS - CONCERTS LYRIQUES
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PARIS
16/06/2008

© Christian Leiber

Giuseppe Verdi (1813-1901)

Don Carlo (1884)

Opéra en quatre actes
Livret de Joseph Méry et Camille di Locle
d’après le drame de Friedrich Schiller.

Don Carlo : Stefano Secco
Rodrigo, Marchese Posa : Dmitri Hvorostvosky
Principessa Eboli : Yvonne Naef
Filippo II : James Morris
Il grande Inquisitore : Mikhail Petrenko
Un frate : Paul Gay
Elisabetta di Valois : Tamar Iveri
Tebaldo : Elisa Cenni
Il conte di Lerma : Jason Bridges
Voce dal cielo : Elena Tsallagova

Mise en scène: Graham Vick
Décors et costumes : Tobias Hoheisel
Lumières : Matthew Richardson

Orchestre et choeurs de l’Opéra National de Paris
Direction : Teodor Currentzis

Opéra de Paris Bastille : 16 juin 2008

Retrouver le Don Carlo conçu par Graham Vick voilà dix ans, vraie grande fresque respectueuse et intelligente, avait de quoi réjouir, Gérard Mortier ayant choisi d’adoucir nos sensibilités, après une série de Verdi plus que contestables : Traviata chez Piaf, Simon Boccanegra s’invitant chez Berlusconi, ou Luisa Miller visitant Heidi !

A sa création, le plateau n’avait pas totalement convaincu, malgré quelques grands noms réunis par Hugues Gall : pour un Samuel Ramey royal en Philippe II et une Carol Vaness encore probe en Elisabetta, il avait fallu supporter un Neil Schicoff dépassé par les événements dans le rôle-titre, un Vladimir Chernov effacé (Rodrigo) et une Dolora Zajick vitupérante en Eboli, le tout dirigé sans grandeur par James Conlon.

2008 marque les débuts fracassants d’un jeune chef, né à Athènes, Teodor Currentzis, qui a fait ses premières armes au Théâtre Helikon de Moscou en 2001 et empoigne le chef-d’œuvre de Verdi avec un souffle et une densité dramatique peu communs. La pertinence de ses tempi, son sens de la pulsation, la sérénité de son discours dans le moments intimistes comme dans les plus embrasés, rythmé par ses longues mains expressives, laissent présager d’un grand avenir.

Portées par cette ivresse sonore, les voix, et en premier lieu celle de Stefano Secco, absolument splendide, ont naturellement atteints des sommets. Entendu à Paris dans Roberto Devereux (en  2005 au Champs-Elysées), Simon Boccanegra et Traviata à la Bastille, le ténor italien est une révélation dans un rôle qu’il transcende grâce à un instrument souple et solaire, aux aigus radieusement contrôlés et plus encore par un engagement farouche et habité. Loin des gamins mal dégrossis ou des jeunes exaltés, Secco trouve pour caractériser cet Infant, le ton approprié, qu’il joue l’amour, la révolte ou l’abattement. Le couple contrarié qu’il forme avec Elisabetta, sa belle-mère, modestement interprétée par Tamara Iveri, qui s’économise jusqu’au « Tu che le vanita » abordé avec un certain aplomb et quelques beaux piani, est plausible, mais on peut lui préférer celui qu’il compose avec Posa.


Dmitri Hvorostovsky (Posa) et Stefano Secco (Don Carlo)
© Christian Leiber


Dmitri Hvorostovsky qui s’est fait une spécialité des rôles de barytons verdiens, triomphe une nouvelle fois dans le rôle du Marquis, dont il connaît les arcanes et maîtrise les difficultés techniques. Libéré des accents boursouflées qui compromettaient autrefois son legato et d’une certaine monotonie, il s’est montré d’un grand scrupule vocal et d’un beau relief dramatique, supérieur à sa prestation londonienne dirigée par Bernard Haitink (Philips 1997). Chanteur respectable mais à bout de voix, James Morris n’est que l’ombre de lui-même et confère un mortel ennui à Philippe II, le Grand Inquisiteur de Mikhail Petrenko prenant le dessus pendant leur long duo du troisième acte. Autre point noir de la soirée, la Princesse Eboli débraillée d’Yvonne Naef (qui avait déjà agacé dans Brangäne aux côtés de l’Isolde de Waltraud Meier à Paris, en voulant trop en faire) ; si elle parvient à négocier la « Chanson du voile », la mezzo s’époumone par la suite dans une tessiture trop tendue et termine dangereusement en brutalisant son émission et en forçant son aigu sur « O don fatale ».

La mise en scène de Graham Vick, dans une atmosphère lourde et confinée propice aux mystères et à la suspicion, privilégie l’impression d’enfermement dans lequel se débattent des personnages aux aspirations divergentes. Le cloître, comme la cour d’Espagne, les appartements royaux ou les jardins ne sont qu’une seule et même prison, entr’ouverte sur l’extérieur par le jeu de panneaux qui doucement se glissent, ou de timides transparences. Pouvoir politique et religieux s’y affrontent dans la rigueur et l’austérité - à l’exception d’une luxueuse scène d’autodafé -  Philippe II imposant sa domination sur son empire (public et privé), allant jusqu’à braver l’instance suprême que représente le Grand Inquisiteur. Comme sur un échiquier, les protagonistes semblent constamment manipulés, échappant inexorablement à leur destin, sous le poids écrasant d’une croix omniprésente. Un grand spectacle.


François Lesueur
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