OPERAS - RECITALS - CONCERTS LYRIQUES
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TORONTO
20/10/2007
 
Don Carlos - Acte IV
Élisabeth (Adrianne Pieczonka) Philippe II (Terje Stensvold)
© COC Michael Cooper 2007



Giuseppe VERDI (1813-1901)

DON CARLOS

Opéra en cinq actes
Livret de Joseph Méry et Camille Du Locle
d’après Friedrich Schiller

Nouvelle production a u Canadian Opera Company
Co-production avec le Welsh National Opera

Direction musicale : Paolo Olmi
Mise en scène : John Caird
Décors : Johan Engels
Costumes : Carl Friedrich Oberle
Éclairages : Nigel Levings
Chef de chœur : Sandra Horst

Chœur et  Orchestre du Canadian Opera Company

Don Carlos : Mikhail Agafonov
Thibault : Nathalie Paulin
Elisabeth de Valois : Adrianne Pieczonka
 Le Comte de Lerme : Jason Collins
Un moine : Zdeněk Plech
Rodrigue : Scott Hendricks
Eboli : Mary Phillips
Philippe II : Terje Stensvold
Le Grand Inquisiteur : Ayk Martirossian
Un Héraut royal : Adam Luther
Les députés flamands : Jon-Paul Décosse, Alexander Hajek
Niculae Raiciu, Andrew Stewart, Justin Welsh
Une Voix céleste : Virginia Hatfield 
 

Four Seasons Centre for the Performing Arts
Amphithéâtre Richard Bradshaw

Toronto, le 20 octobre 2007

Plus sombre que ça, tu meurs !


Pour ce Don Carlos, le Canadian Opera Company (COC) donne en première canadienne la version originale de l’œuvre, celle qui inclut toute la musique composée par Verdi lorsqu’il livra sa partition en 1867, mais sans le ballet. Avec deux entractes d’une vingtaine de minutes avant et après le troisième acte, nous étions conviés pendant près de quatre heures et trente à une expérience de théâtre lyrique qui s’est révélée captivante à plus d’un titre et sans un seul moment d’ennui.

Le metteur en scène britannique, John Caird, situe l’action de cette production dans un monde imaginaire entre l’époque de Verdi et le milieu du XXe siècle. Certains indices, comme les costumes militaires de plusieurs figurants dans la scène II du deuxième acte et de Philippe II lui-même au troisième, donnent à penser que la très catholique Espagne franquiste pourrait être ce lieu. Sur une scénographie qui accentue la prédominance du rôle de l’Église, on peut sans doute arguer de la présence constante de ces croix de différents formats, comme si tout devait succomber sous le poids de la rigueur religieuse que représente son omniprésente et oppressive autorité ; elles sont immenses puis soulevées au-dessus des têtes au premier acte, dans la seconde partie de la scène II au deux et pendant le troisième acte, petites et tenues à la main lors de l’autodafé. Sous une forme ou sous une autre, elles seront là pendant tout l’opéra, sauf dans les jardins de la reine au deuxième acte où elles disparaissent complètement. Généralement cela se justifie puisqu’il s’agit de faire ressortir le côté sombre du drame, mais on ressent en même temps un certain malaise en raison d’un encombrement de certains tableaux et d’une surcharge au plan conceptuel. La réplique de Philippe II à l’Inquisiteur ne suffirait-elle donc pas pour montrer que lui, le roi, ne peut rien contre l’écrasante domination de cette Église qu’il respecte parce qu’il en a peur ? Mais ce qui compte malgré tout, c’est que John Caird s’en tient à l’esprit et au texte de l’œuvre. Si par exemple on crève les yeux de Don Carlos avant de le poignarder comme l’a été Rodrigue précédemment, ce n’est qu’au regard des didascalies que le metteur en scène prend quelques libertés. Son habileté se manifeste davantage par une direction d’acteurs efficace, évitant tout maintien qui pourrait donner une allure rigide aux personnages, mais en les caricaturant parfois. Même Eboli fait des siennes à l’occasion de l’air du voile. Elle se comporte en véritable Carmen, faisant de doux yeux à Rodrigue qui s’y montre sensible.  C’est peut-être un peu cabotin, mais cela reste du bon théâtre.

Les décors demeurent sobres. À l’avant-scène, des gradins pendant toute la durée de l’opéra. Ce sont les arrière-plans scéniques qui déterminent les endroits et les divers moments de l’action. Les éclairages rehaussent la qualité du spectacle et nous valent des images d’une stupéfiante beauté. Ainsi celle des hérétiques que l’on brûle lors de l’autodafé devant une immense croix couleur de sang projetée sur écran en a «scotché» plus d’un.


Autodafé (Acte IV)
© COC Michael Cooper 2007


Côté chanteurs la palme revient à Adrianne Peiczonka dont le timbre velouté sert admirablement une présence scénique très engagée. La modulation des couleurs exprime à merveille les états d’âme d’une princesse aux riantes espérances qui sombre dans la résignation et le désespoir. Les attaques sont franches, la projection remarquable, la voix homogène sur toute la tessiture. Grâce à un sens musical quasiment infaillible en particulier dans son duo avec Don Carlos au deuxième acte et surtout dans l’air pathétique  «Toi qui sus le néant» au cinquième,  on a la  conviction que sa prestation est un modèle de splendeur artistique. L’ampleur vocale de Terje Stenvold convient à la stature du personnage qu’il incarne et son jeu se prête idéalement aux déchirements de son cœur. Son hallucinant «Elle ne m’a jamais aimé» en apporte la confirmation. Si son interprétation n’est pas la plus idiomatique qui soit, on ne perd jamais le fil du discours. Le mezzo-soprano charnel de Mary Philips épouse bien les méandres de la séduction et de la jalousie. Sa colère contre elle-même éclate furieusement dans un «Ô don fatal»  crânement chanté. Le Rodrigue de Scott Hendricks révèle une ligne de chant parfaitement maîtrisé. On est séduit par la rondeur d’un timbre chaleureux aux accents déchirants dans «C’est mon jour suprême» au cinquième acte. Des cinq principaux chanteurs de la production, le titulaire du rôle éponyme, Mikhail Agafonov, laisse au final l’impression la moins durable. La voix est puissante dans le haut medium, mais le timbre demeure quand même un peu ingrat et peine à trouver ses marques dans le bas medium et dans les aigus. Au premier acte il chante «J’ai pu la voir» sans grande ardeur amoureuse et il fait pâle figure aux côtés d’Élisabeth notamment dans leur sublime duo du deuxième.


Don Carlos - Acte IV
Don Carlos (Mikhail Agafonov) Rodrigue (Scott Hendricks)
© COC Michael Cooper 2007


Pour être crédible, l’Inquisiteur doit déployer une autorité vocale et dramatique naturellement acquise, ce qui ne semble pas être dans les cordes de Ayk Martirossian dont la basse un peu juvénile ne manque pourtant pas d’attraits. Le Thibault espiègle à souhait de Nathalie Paulin est vocalement précis; seule francophone de la distribution, elle est dotée d’une irrésistible aisance scénique. Les interprètes des députés flamands (cinq pour cette production), de la voix céleste, du moine et du héraut ont tous été à la hauteur de ces rôles moins en évidence, mais néanmoins importants.

Les Chœurs pleins de puissance et l’Orchestre du COC dont la prestation est remarquable à maints égards ont largement contribué au grand succès de cette production. Paolo Olmi, de l’Opéra de Nancy, remplace Richard Bradshaw, décédé au début du mois de septembre. Il fallait trouver un chef quelque peu familier avec la version originale en français de l’œuvre. Monsieur Olmi tire le plus grand profit de l’extraordinaire acoustique de cette salle inaugurée voilà un peu plus d’un an. Son approche très lyrique est soucieuse de maintenir l’équilibre entre la fosse et le plateau et évite de couvrir les chanteurs, ce qui n’est pas une évidence compte tenu de la richesse de l’orchestration. Bref un écrin précieux pour un spectacle de haute tenue.


Réal BOUCHER
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