C O N C E R T S 
 
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MADRID
03/10/05
Carlos Alvarez (Don Giovanni) - María José Moreno (Zerlina),
© DR
 Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791)

DON GIOVANNI

DRAMMA GIOCOSO en 2 actes
Livret de Lorenzo DA PONTE

NUEVA PRODUCCION DEL TEATRO REAL

EQUIPO ARTISTICO

Director musical : Victor Pablo Pérez
Director de escena : Lluis Pasqual
Escenografo : Ezio Frigerio
Figurinista : Franca Squarciapino
Iluminador : Wolfgang von Zoubek
Coreografa : Nuria Castejon
Director del coro : Jordi Casa Bayer
Asistente del director musical : Lanfranco Marcelletti
Asistente del director de escena  Marco Carniti
Asistente del escenografo : Domenico Franchi
Asistente de la figurinista : Clara Sarti
Maestros repetidores   Patricia Barton, Riccardo Bini, Mack Sawyer 

Don Giovanni : Carlos Alvarez (30,3,5,7,10,12,15 )
Michele Pertusi ( 2,4,8,11,14 )

El Comendador : Alfred Reiter

Donna Anna : Maria Bayo (30,3,5,7,10,12,15 )
Tamar Iveri ( 2,4,8,11,14 )

Don Ottavio : José Bros (30,3,5,7,10,12,15 )
Raùl Gimenez ( 2,4,8,11,14 )

Donna Elvira : Sonia Ganassi ( 30,3,5,7,10,12,15,)
Véronique Gens ( 2,4,8,11,14 )

Leporello : Lorenzo Regazzo ( 30,3,5,7,10,12,14,15 )
Luca Pisaroni (2,4,8,11 )

Masetto : Jose Antonio Lopez 
Zerlina : Maria José Moreno 

Coro y Orquesta Titular del Teatro Real

3 Octobre 2005 

Que se passe-t-il au Teatro Real de Madrid ? La représentation de Don Giovanni à laquelle nous avons assisté ce 3 octobre s'est déroulée dans une atmosphère déconcertante. D'une froideur polaire la majeure partie de la soirée, accueillant en silence presque tous les airs de bravoure, un public maussade, voire renfrogné, s'est déchaîné au final dans une bronca interminable et hargneuse qui engloutissait les applaudissements nourris d'une minorité. Or d'un point de vue artistique cette manifestation est largement disproportionnée aux réserves que l'on peut faire sur le spectacle. Pourquoi cette violence, ce parti-pris ? D'autant que la première s'est déroulée dans les mêmes conditions, sinon pires.

Sans doute faudrait-il connaître à fond la vie artistique espagnole pour discerner à coup sûr les motifs de ce qui ressemble à une entreprise destinée à torpiller cette production. S'agit-il de faire payer au nouveau directeur artistique une nomination qui pour certains amis du précédent équivaut à une usurpation ? S'agit-il pour les adversaires de l'ancien de le poursuivre de leur vindicte par delà son départ ? Une chose semble assurée, la personnalité du metteur en scène suscite des animosités : avant le spectacle on disait près de moi qu'il fallait punir son impudence et ses "mariconadas". Mais pourquoi a-t-on hué jusqu'au délire le chef d'orchestre ? Mystères de partis pris aux résultats douloureux pour des artistes dont la plupart ne déméritent pas à ce point !

Victor Pablo Pérez a une vingtaine d'années de métier, et cela se sent dès l'ouverture : on sait que l'on entendra un Mozart classique, sans les emportements ni les excès de certaines lectures "romantiques". Il obtient de la fosse expressivité et nuances, sans raffinements exceptionnels, mais rien qui s'éloigne d'un honnête savoir-faire, et dans l'ensemble le plateau est soutenu sans être couvert.

Un plateau relativement homogène et en partie espagnol. Carlos Alvarez, qui fut Don Giovanni pour Muti et dont nous avions adoré le Posa, est-il perturbé par les circonstances ? L'émission s'engorge plus d'une fois. La présence en scène est forte et le personnage crédible. Maria Bayo a déjà chanté Donna Anna, sans être le grand soprano lyrique qui convient ; plus à l'aise que dans Bianca à Pesaro, elle peine néanmoins à transmettre la noblesse du personnage comme à maîtriser les airs. José Bros est un Ottavio oscillant entre voix de fausset et registre de poitrine.

Ces chanteurs qui sont des vedettes, en Espagne et ailleurs, ne sont d'ailleurs pas épargnés, et quelques huées ternissent les maigres applaudissements qu'ils recueillent. Jose Antonio Lopez et Maria Jose Moreno, qui chantent respectivement Masetto et Zerlina, sans relief particulier mais sans indignité, sont à peine mieux traités.

Lorenzo Regazzo reprend Leporello, rôle que désormais il maîtrise et ne cesse d'approfondir, s'adaptant souplement aux exigences des metteurs en scène en évitant les effets caricaturaux et les affectations vocales ; sont-ce les circonstances qui, nous semble-t-il, le privaient un peu d'éclat ? Sonia Ganassi, quant à elle, abordait Elvira, qu'elle aurait dû chanter d'abord au Capitole l'hiver dernier. Ce n'est pas une surprise quand on connaît cette artiste exigeante : son coup d'essai est un coup de maître, dramatiquement et vocalement. Elle affronte et domine les aigus aisément, et l'air Mi tradi quest'alma ingrata est un condensé d'émotion et de beau chant. Mais pour ces deux grands artistes aussi pas ou peu d'écho dans le public.

La mise en scène serait-elle scandaleuse et justifierait-elle un règlement de comptes ? Luis Pasqual transpose l'époque dans les années quarante du XXème siècle, dans une Espagne franquiste, donc. Mais qui ignorerait l'histoire de l'Espagne verrait en scène les marques d'une classe dominante riche : uniformes officiels, coupés automobiles de luxe et domestiques. L'arrière des immeubles imposants est évidemment peu reluisant ; c'est dans les bouges semi-clandestins qui s'y cachent que Donna Elvira, une photo à la main, cherche Don Giovanni à la trace. Le mariage de Masetto et Zerlina a pour cadre une fête foraine, et les autos tamponneuses font partie des plaisirs populaires, comme le premier duo entre eux voit Zerline entortiller Masetto en l'enveloppant dans les tours de sa bicyclette. L'envers du manège, tournant sur le plateau, deviendra la salle du bal improvisé par Don Giovanni, dans un palais apparemment vidé de tous les symboles chers à la classe sociale dont il fait partie par sa naissance. C'est que ce Don Giovanni est à l'extrémité de sa débauche ; il ne hante plus que les bas-fonds et exhibe à la moindre provocation le couteau de l'escarpe ; il est le dévoyé dans toute son horreur.

Le souper qu'il offre au Commandeur est une parodie - puisqu'il n'y a absolument rien à manger - où le mort est tourné en ridicule et la mort défiée. L'au-delà est associé à ce personnage aux obsèques duquel nous avons assisté,cérémonie grandiloquente qui réunit sabre et goupillon dans le décor monumental des sépultures pour dignitaires, où l'excès même de la pompe participe de la "vanité". Peut-être est-ce en effet cet irrespect perçu - qui sait - comme sacrilège qui a déchaîné à la fin l'ire de beaucoup ; peut-être sommes-nous trop éloignés d'une société qui, en dépit de son extraordinaire évolution depuis vint-cinq ans, a vécu sous le franquisme pendant quarante ans. D'autant que, Don Giovanni emporté dans l'au-delà sur la monture de la statue équestre du Commandeur, les autres personnages se retrouvent sur une estrade, entourés de caméras en train de les filmer, tandis que sur un écran en fond de scène sont projetées les images d'une émission de télévision bien connue sous la dictature. Ainsi, ce qui nous a semblé une transposition discutable dans son principe mais respectueuse des relations entre les personnages est perçu comme un attentat par une grande partie du public.

Un DVD devrait permettre, si le projet ne capote pas, de conserver la trace de cette production, qui le mérite. Si l'on peutregretter que la vision proposée soit très peu giocosa, elle possède une pertinence et une force dignes de respect, voire d'admiration. Souhaitons bon courage aux équipes engagées pour les soirées à venir : celle du 10 doit être enregistrée pour la télévision et l'on craint le pire.
 
 

Maurice SALLES
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