OPERAS - RECITALS - CONCERTS LYRIQUES
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TOULOUSE
13/11/2007
 
Don Giovanni : Ildebrando D’Arcangelo
© Patrice Nin


Wolfgang Amadeus MOZART (1756-1791)

DON GIOVANNI

Dramma giocoso en deux actes

Livret de Lorenzo da Ponte

Production du Théâtre du Capitole

Mise en scène, Brigitte Jaques Wajeman
Décors et costumes, Emmanuel Peduzzi
Lumière, Jean Kalman

Don Giovanni, Ildebrando d’Arcangelo
Le Commandeur, Gudjon Oskarsson
Donna Anna, Tamar Iveri
Don Ottavio, Topi Lehtipuu
Donna Elvira, Barbara Haveman
Leporello, David Bizic
Zerlina, Valentina Kutsarova
Masetto, Paul Gay

Orchestre National du Capitole
Continuo, Robert Gonnella, pianoforte et Christophe Waltham, violoncelle

Chœur du Capitole
Direction, Patrick Marie Aubert

Direction musicale, Günter Neuhold

Toulouse, le 13 Novembre 2007

Carré d'As


Le verre était-il à moitié plein ou à moitié vide ? Ce Don Giovanni ne convainc pas totalement, malgré un quatuor vocal de premier ordre. Sont en cause une lecture dramatique de l’œuvre - à notre avis erronée - et une exécution musicale trop éloignée des tendances de la musicologie contemporaine, plus qu’une scénographie créant des images séduisantes mais d’une pertinence discutable que soulignent de savants éclairages,.

Mozart avait défini son œuvre comme un opera buffa. Le spectacle présenté à Toulouse, quoiqu’en dise Brigitte Jaque-Wajeman dans le programme de salle, reste en deçà de cette définition. Pour elle, qui « ne voi(t) pas d’échec dans cette dernière journée de Don Giovanni, l’œuvre est « une tragédie jubilatoire ». Difficile de la suivre : d’une scène à l’autre toutes les entreprises de Don Giovanni, sans exception, tournent court. Quant à sa bravade envers le phénomène mystérieux de la statue du commandeur, elle lui coûte la vie. Si jubilation il y a, c’est le dénouement qui l’amène : avec la disparition de Don Giovanni le monde est purgé du fauve dont le comportement anarchique bafouait les règles de la civilité et détruisait par là l’harmonie des relations individuelles et sociales. C’est pourquoi la réapparition d’un Don Giovanni plus fringant que jamais contemplant en souriant les nigauds qui chantent leur soulagement nous semble une injure à l’esprit de l’œuvre, que ne compensent pas quelques trouvailles de direction d’acteurs, comme l’approche simultanée d’Elvira dans sa scène initiale par Leporello et Don Giovanni.


Don Giovanni : Ildebrando D’Arcangelo / Leporello : David Bizic
© Patrice Nin


Avant la fin heureuse, bien d’autres éléments sont de nature à faire sourire, voire rire le spectateur, qu’il s’agisse de caractères ou de situations. Mais les propositions faites ici ne s’éloignent pas nettement des interprétations traditionnelles, marquées par l’esprit de sérieux et l’approche « sentimentale » de l’œuvre. Leporello, le hâbleur, sentencieux, couard, vénal, mal dégrossi ; Elvira, si excessive et si littéraire, si imbue de sa naissance et à la chair si faible; Zerlina la bécasse doublée d’une alouette ; Ottavio, le soupirant tremblant d’apprendre que Don Giovanni a « consommé » ; Masetto si peu futé, tous ces personnages ont leurs moments de ridicule, dont on ne tire guère parti. Certes, nos définitions sont caricaturales et réductrices, mais l’accent nous semble mis, comme à l’accoutumée, sur le pathétique.

Et certes il existe, génialement lié par la musique qui anime ces créatures de papier au texte souvent ironique de Da Ponte. Mais la musique doit-elle sonner « sentimental » ? C’est ce type d’interprétation qui a prévalu jusqu’à ce que les travaux des musicologues baroques amènent à reconsidérer l’approche des œuvres anciennes, en particulier au point de vue de la composition de l’orchestre. Faut-il jouer une partition avec des effectifs deux fois plus nombreux que ceux prévus à la création ? Pourquoi pas, si le nombre ne change rien aux effets musicaux voulus par le compositeur ? Mais pour avoir entendu des versions à l’effectif conforme aux prescriptions de Mozart et qui plus est sur instruments anciens nous avons eu la preuve que les versions « modernes » alourdissent la pâte et appauvrissent les couleurs. Le caractère narquois et la fluidité de l’orchestration y perdent beaucoup.

Reste que l’on peut voir ici les orchestres de scène prescrits par Mozart, dont les musiciens, qui s’acquittent avec brio de leur tâche, semblent échappés d’une toile du XVIII° siècle dans leur habit de satin, perruqués et poudrés à blanc. Günter Neuhold connaît ce soir quelque problème avec le plateau, maint décalage se produisant avec divers chanteurs au premier acte. Dans cette lecture académique se détache le pianoforte élégant et précis tenu par Robert Gonnella.


Donna Anna : Tamar Iveri / Don Ottavio : Topi Lehtipuu
© Patrice Nin

Restent les chanteurs. Une fois encore le Capitole peut s’enorgueillir de proposer un plateau qui va du passable à l’excellent. Masetto et Zerlina ne marquent pas fortement la mémoire mais rien dans leur prestation ne heurte et leur émission est saine. Le Commandeur n’a pas les graves sépulcraux dont on rêve mais il est bien rare d’avoir l’occasion de les entendre. Quand à Elvira, qui tend parfois à ralentir, ses graves sont chiches et parfois ses aigus poussés mais le rythme soutenu des représentations peut expliquer quelque fatigue vocale. Engagement convenable mais le personnage manque un peu relief.

Reste le carré d’as. Topi Lehtipuu est un Ottavio de grande allure ; non seulement il a dans la voix les notes du rôle mais sa haute taille donne au personnage une prestance dont il est parfois dépourvu, et son aisance scénique, y compris à représenter la rigueur morale du personnage va de pair avec l’élégance du chant, la longueur du souffle et son contrôle. David Bizic campe un Leporello charnel, prosaïque à souhait, et fait un sort à ses airs et à ses scènes sans tomber dans les excès possibles ; la voix passe bien et le chant est précis. La Donna Anna de Tamar Iveri est probablement une des meilleures aujourd’hui ; aidée par la douceur d’un physique qui a quelque chose de maternel elle réussit à soustraire le personnage à la caricature de la femme frustrée qu’on en fait souvent et parvient à rendre émouvante la difficile scène de l’acte deux où Donna Anna demande à Don Ottavio de différer leur union. La rondeur du timbre s’allie à la conception, qui a la force et la véhémence requises au premier acte, et donne à cette interprétation une puissance émotionnelle de premier plan.

Dans le rôle-titre, Ildebrando d’Arcangelo réunit tous les atouts. D’une jeunesse physique qui lui permet des attitudes désinvoltes il exprime l’animalité sauvage à laquelle « ce grand seigneur méchant homme » s’est ravalé. Sex appeal, virilité, vitalité, c’est la brutalité des instincts qu’il représente, avec un tel talent qu’on pourrait croire qu’il se contente de lâcher bride à son naturel. La voix sonne avec éclat mais sait se faire enjôleuse, comme dans la sérénade où le contrôle est souverain. Un grand Don Giovanni ! Etrangement réservé durant la représentation, le public lui a fait un triomphe aux saluts, comme à ses partenaires précités. C’était justice.


Maurice SALLES
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