OPERAS - RECITALS - CONCERTS LYRIQUES
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PARIS
13/09/2007
 


PAUL DUKAS

Ariane et Barbe-Bleue

Barbe-Bleue, Willard White
Ariane, Deborah Polaski
La Nourrice, Julia Juon
Sélysette, Diana Axentii
Mélisande, Hélène Guilmette
Bellangère, Jaël Azzaretti
Ygraine, Iwona Sobotka

Chœurs et Orchestre de l’Opéra national de Paris
Direction musicale: Sylvain Cambreling

Mise en scène, décors et costumes : Anna Viebrock
Lumières : David Finn
Dramaturgie : Malte Ubenauf

Jeudi 13 septembre 2007

Gretchen et Barbe-Bleue...


Ariane et Barbe-Bleue, l’unique opéra de Paul Dukas, n’est pas une œuvre facile. Quasi contemporain de Pelléas et Mélisande, cet opéra naît dans un contexte culturel extrêmement marqué par les esthétiques impressionnistes et symbolistes héritées de la littérature et de la peinture de la fin du XIXe siècle. Le texte de Maeterlinck regorge de références à un monde merveilleux où le médiévisme revisité par Wagner et les préraphaélistes transfigure constamment le réel, où la lumière et ses irisations ne sont pas simples ornements, mais autant de symboles structurants pour un drame où, finalement, tout se fait mythe. Avec Anna Viebrock, c’est plutôt du côté du miteux que le spectateur est convié : le décor est une sorte d’étude notariale un rien glauque (à faire passer une série policière allemande bien connue pour un modèle d’élégance), les pierreries dont le livret nous parle (et dont la musique se plaît à souligner l’éclat et les couleurs) se trouvent, bien entendu, dans des lavabos, Ariane et sa nourrice sont fagotées comme deux gouvernantes anglaises fin de siècle, imper beige, chapeau rond, chaussures orthopédiques – un appareil photo en bandoulière les tirant du côté d’une improbable Miss Marple sur le point de découvrir quelque affreuse vérité… La vérité, pour le coup, est qu’une fois encore, ce qui nous est donné à voir est tellement contraire à l’esprit même de ce qui se fait entendre que rien ne peut fonctionner, surtout pas l’essentielle sympathie du spectateur pour les personnages. L’exercice schizophrénique ainsi pratiqué donne l’impression d’être dans un cinéma où le projectionniste aurait mélangé la bande son, laissant entendre la BO d’un Visconti sur les images d’un documentaire montrant l’ex-Allemagne de l’Est aux temps de la Stasi.
Pourquoi, dès lors, s’étendre autant sur cette mise en scène ? Tout d’abord parce qu’il faut bien, une fois encore, souligner l’incohérence d’une politique artistique qui prétend éduquer les spectateurs. Le dessein est louable. Mais qu’a donc cette pauvre Ariane et Barbe Bleue à faire dans cette galère ? Si l’on pense qu’il faut absolument marthaleriser (Anna Viebrock est la décoratrice attitrée de Marthaler, NDLR) l’opéra, alors autant le faire avec des ouvrages qui s’y prêtent. Voire, en commander de nouveaux pour mieux encore se livrer à l’éducation des foules lyricomanes de la capitale.

Par ailleurs, ce genre de détournements nuit autant aux artistes qu’aux spectateurs eux-mêmes. Deborah Polaski, qui se lançait là un véritable défi artistique et personnel, le français n’étant pas une langue familière pour la grande soprano américaine, a fait un travail remarquable, de texte comme de style. Certes, les logorrhées d’Ariane ne sont pas celles d’Isolde ou d’Elektra, mais le souffleur, bien qu’un peu trop sonore malheureusement, n’est visiblement là que pour rassurer l’artiste. Quant à la voix, on s’étonne presque de la trouver en si bon état : certes, l’essentiel du rôle est très central, ce qui permet à Deborah Polaski de faire entendre son medium intact, riche, soyeux même. Chapeau. Mais l’artiste n’est vraiment pas aidée par cette production, qui contrecarre toute tentative d’élévation mystique à laquelle son format héroïque la destinait. Julia Juon à ses côtés est une Nourrice sonore, mais était-il bien nécessaire pour ce rôle aussi de faire appel à une non francophone ? On sait les qualités de celle qui est encore l’une des grandes Nourrices de La Femme sans ombre, une incroyable Herodias et j’en passe, mais ce ne sont pas vraiment celles que réclame ce rôle, où les mots et le phrasé sont essentiels. Willard White est un Barbe Bleue de luxe, dont les apparitions sont vocalement irréprochables – même si, là encore, un chanteur francophone, fût-il de moindre calibre, aurait sans doute pu faire l’affaire…

Luxe inouï (mais nous sommes quand même à l’Opéra de Paris, on peut encore s’attendre à ce genre de bonnes surprises), les « petits » rôles des premières femmes de Barbe Bleue sont tous tenus par des artistes de premier plan, Jaël Azzaretti, Iwona Sobotka, et surtout Diana Axentii et Hélène Guilmette se taillant une juste part de succès dans cette soirée, vrais moments de bonheur : la qualité vocale de ces artistes, la diction impeccable, leur naturel scénique, tout est à saluer ici.

Dans la fosse, Sylvain Cambreling fait sonner l’orchestre avec un amour évident pour cette partition. Le rendu des détails ne se fait jamais au détriment de la tension dramatique, de l’élan musical. Une réussite indéniable, rendu possible il est vrai par l’excellence de l’orchestre de l’Opéra de Paris qui, il n’est pas inutile de le rappeler, est sans doute aujourd’hui l’un des meilleurs orchestres de l’Hexagone.

David FOURNIER

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