C O N C E R T S 
 
...
[ Sommaire de la rubrique ] [ Index par genre ]
 
......
PARIS
22 & 30/06/05

© DR
ELEKTRA

Opéra de Richard STRAUSS
Livret de Hugo von Hofmannstahl díaprès Sophocle

Mise en scène : Matthias Hartmann
Décors : Jan Versweyveld
Costumes : Angela Purzelbaum
Lumières : Mark Truebridge
Dramaturgie : Koen Tachelet

Elektra : Deborah Polaski
Klytämnestra : Felicity Palmer
Chrysothemis : Eva Maria Wastbroek
Aegisth : Jerry Hadley
Orest : Markus Brück
Die Schleppträgerin : Constance Bradburn
Erste Magd : Mary Ann McCormick
Zweite Magd : Doris Lamprecht
Dritte Magd : Cornelia Oncioiu
Vierte Magd : Irmgard Vilsmaier
Fünfte Mag : Tracy Smith-Bessette
Die Vertraute der Klytämnestra : Barbara Morihien
Die Aufseherin : Susan Marie Pierson
Ein junger Diener : Ales Briscein
Ein alter Diener : Scott Wilde
Der Pfleger der Orests : Philippe Fourcade
Dienerinen (en vrac) :
Barbara Cotti, Esthel Durand, Sylvette Fuchs-Ravier,
Catherine Hirt-Andre, Béatrice Malleret, Jian Zhao

Direction musicale : Christoph von Dohnanyi

Opéra Bastille, les 22 et 30 juin 2005

UN COUP DE HACHE DANS L'EAU
 

Dernier ouvrage de la saison, cette nouvelle Elektra est également une des rares véritables nouvelles productions proposées par Gerard Mortier. Cette première saison repose en effet essentiellement sur des reprises du répertoire du théâtre et sur des ouvrages créés à Bruxelles ou à Salzbourg sous les précédents mandats du nouvel administrateur.

L'oeuvre, un des "tubes" du répertoire pourtant, n'avait pas été vue à l'Opéra de Paris depuis 1992 (1) : la précédente mise en scène n'ayant pas laissé un souvenir particulièrement significatif, on pouvait comprendre le retour de l'ouvrage dans une nouvelle production.

La première représentation a été particulièrement mal accueillie par le public (on serait tenté d'écrire : "comme d'habitude") : préméditant cette réaction (ce qui en dit long quelque part ...), le metteur en scène a salué, un petit coeur rouge à la main, histoire de signifier qu'il ne leur en voulait pas.
A ceux qui accusent Matthias Hartmann d'une volonté forcenée de provocation, nous ne saurions trop conseiller d'éviter les scènes germaniques : si le présent travail n'est pas exempt de critiques, on n'est très très loin des outrances des théâtres allemands (2).

Censé incarner un monde de laideur, le décor est plus mal foutu que franchement laid. La scène est encombrée d'un gigantesque "trou" entouré d'une rubalise jaune et noire, type "scène du crime" ou "chantier interdit au public". Les chanteurs gravitent autour de celui-ci, sur des passerelles ou carrément sur le devant de la fosse ; d'où certaines difficultés à trouver un endroit où se poser pour chanter : une manière de nous faire comprendre que, même mort, ce satané Agamemnon prend toujours de la place ! Finalement, les interprètes terminent souvent devant le trou du souffleur, tout comme à l'Alcazar de Rodez avant guerre.

Un mur noir vient clore le fond de la scène, percé d'un rectangle qui figure une sorte de loggia. Clou du spectacle (et prétexte essentiel à l'ire du public), un "lavomatic" à droite, aux murs embués, dans lequel s'activent les diverses servantes.

Au-delà de son absence de lisibilité, un des principaux défauts du décor est de n'être nullement propice à la réverbération des voix : même la puissante Deborah Polaski a parfois un peu de mal à se faire entendre ; les suivantes sont tantôt inaudibles, tantôt bizarrement présentes : si ce n'est pas sonorisé, c'est en tout cas bien imité.

Les costumes sont ce qu'il y a de mieux dans le genre "on voit ça depuis 20 ans" : loques pour Elektra (justifiées par le livret) ; robe bleue très "petite bourgeoise" pour Christothémis ; déguisement de star du muet pour Clytemnestre ; complet noir, chemise noire, lunettes, barbe et cheveux mi-long pour Oreste : on dirait un joueur de viole sorti d'un orchestre baroque ; vague look "country" pour Egiste. La routine, quoi.

En dépit de cette esthétique un peu quelconque, Hartmann propose quelques pistes originales, notamment autour du personnage d'Oreste. Celui-ci nous est présenté comme un personnage faible, victime du destin, à l'opposé du héros viril et vengeur habituellement figuré. Paradoxalement, nous retombons pourtant dans le stéréotype : un "petit gros barbu" est faible ; un "grand costaud" est fort. Un résultat à l'exact opposé de la volonté de démonstration.

Au final, Oreste ne revêtira que quelques secondes le costume royal (inspiré de celui de Dark Vador dans Starwars) : une manière de signifier le renoncement à la vengeance comme moyen d'obtenir le pouvoir par la violence.

D'autres passages sont plus contestables, tel celui "de la hache". Elektra est sur le devant de la fosse ; Oreste se retourne vers elle avec un geste d'impuissance : ce ballot a oublié la hache vengeresse ! Elektra farfouille frénétiquement dans son sac où elle finit par retrouver l'objet du crime entre deux ours en peluche. Inutile de dire que la représentation traditionnelle est beaucoup plus forte : Elektra ne vit le meurtre vengeur qu'au travers des cris des victimes.

D'autres scènes, enfin, sont franchement incompréhensibles : au démarrage, la cinquième suivante (la plus sensible au malheur d'Elektra) est représentée en foulard islamique, tentant une prière sur un tissus taché du sang d'Agamemnon et finissant tabassée par ses paires dans le fameux "lavomatic" (3).

Au global, cette Elektra n'est certainement pas une réussite, mais ne valait tout de même pas une telle réaction d'hostilité.

Vocalement, on est loin des fastes déjà évoqués.

Deborah Polaski chante depuis des décennies les rôles les plus lourds du répertoire : à ce stade de sa carrière, son état vocal est relativement miraculeux, mais insuffisant dans l'absolu. La chanteuse "gère" le rôle plutôt qu'elle ne le vit : l'entrée est très précautionneuse ; certaines phrases piano n'ont d'autre but que d'économiser une voix devenue métallique, au vibrato pas toujours maîtrisé. Au fur et à mesure que la représentation avance, l'artiste donne plus de voix, ne se libérant que dans la dernière scène. Malgré le travail dramaturgique, l'approche du personnage reste somme toute routinière.

A ses côtés, Eva Maria Westbroek est une Chrysosthémis splendide, véritablement lumineuse : on pense à la jeune Studer. Mais à la différence de celle-ci, la jeune Néerlandaise ne se donne jamais vraiment à fond et ne construit aucun personnage.

C'est tout le contraire avec Felicity Palmer, Clytemnestre complexe d'une exceptionnelle vérité dramatique, compensant par son engagement un timbre devenu agressif.

La mise en scène fait d'Oreste le "maillon faible" de la famille : mission remplie avec Markus Brück, chanteur effectivement insipide vocalement et scéniquement (4). 

Jerry Hadley campe un Egiste veule à souhait, vulgaire mais séduisant (une dimension qu'on occulte habituellement dans les mises en scène de l'ouvrage, et pourtant indispensable à la compréhension du meurtre de l'époux de Clytemnestre).

Dans la fosse, Christoph von Dohnanyi a choisi de gommer les aspérités orchestrales d'un ouvrage à la limite de l'hystérie. Le résultat sonore est magnifique mais particulièrement indigeste sur le plan théâtral : ici, pas un mot plus haut que l'autre, pas de sauvagerie, pas d'inquiétude, rien que du beau son. Or Elektra n'est pas le Chevalier ni Capriccio, et cette approche finit par distiller l'ennui : un comble pour un tel ouvrage.

Ni véritable échec, ni réussite notable, cette nouvelle Elektra ne marquera pas longtemps nos mémoires.
 
 

Placido CARREROTTI
______

Notes

1. En novembre 1992, Eva Marton fut la dernière Elektra de Bastille, aux côtés de Trudeliese Schmidt et d'une jeune débutante, qui depuis a fait du chemin, Deborah Voigt. Côté messieurs : Kenneth Riegel et Philippe Rouillon. La direction orchestrale était assurée par Jiri Kout. Quelques semaines auparavant, Gwyneth Jones avait interprété le rôle aux côtés des mêmes interprètes.

En mai de la saison précédente, Jones chantait déjà le rôle, cette fois aux côtés de Leonie Rysanek, de Sabine Haas, de Jean Dupouy et toujours de Philippe Rouillon. La direction était cette fois assurée par Michaël Schoenwandt.

En avril 92, la production de David Poutney avait été créée par Gabriele Schnaut, Helga Dernesch, Karen Huffstodt et les mêmes partenaires masculins.
Il faut remonter à 1987 pour les dernières représentations d'Elektra à Garnier, deux distributions ayant alternées cette saison. En janvier : Hidegarde Behrens, Christa Ludwig, Jeanine Altemeyer, Jean Dupouy et John Brocheler sous la direction de Seiji Ozawa (mise en scène de Jean-Emile Deiber, époux de Madame Ludwig). En avril et mai : Gwyneth Jones, Helga Dernesch ou Christa Ludwig, et Cheryl Studer, sous la baguette de Kent Nagano cette fois.
Sans remonter aux légendaires représentations de 1975, sous la baguette de Karl Böhm et avec Birgit Nilsson, Leonie Rysanek (en Chrysosthemis cette fois) et Astrid Varnay, ni évoquer les autres théâtres parisiens qui monté l'ouvrage, on peut donc dire que Paris a été plutôt gâté en matière d'Elektra.

2. Récemment, on a pu voir un Rigoletto à l'Opéra de Munich revu façon Planète des Singes...

3. A moins qu'il ne s'agisse d'une "fine" allusion aux attentats du 11 septembre : le "trou" figure "Ground Zero" et le passage à tabac, la vengeance aveugle sur les musulmans irakiens ; j'espère sincèrement me tromper. 

4. Là encore, on s'interroge sur une sonorisation éventuelle.

[ Sommaire de la Revue ] [ haut de page ]