C O N C E R T S 
 
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AIX-EN-PROVENCE
31/07/04

© Elisabeth Carecchio
Die Entführung aus dem Serail

W.A. MOZART

Direction musicale Marc Minkowski
Mise en scène : Jérôme Deschamps et Macha Makeïeff
Décors : Miquel Barcelo

Selim Bassa : Shahrokh Moshkin-Ghalam
Konstanze : Malin Hartelius
Blonde : Magali Léger
Belmonte : Matthias Klink
Pedrillo : Loïc Felix
Osmin : Wojtek Smilek

Choeur EuropaChor Akademie
Les Musiciens du Louvre - Grenoble

Aix-en-Provence,
Grand Saint-Jean
31 Juillet 2004



"Cet opéra est déjà tellement beau, ses éléments sont, dès le départ, tellement magnifiques... Il suffit de se laisser porter, embarquer, émouvoir." A l'inverse d'un Mussbach qui, dans sa Traviata, semble avoir fait l'impasse d'une écoute de la musique de Verdi, le couple Jérôme Deschamps et Macha Makeïeff s'est contenté de se laisser guider par celle de Mozart. Le résultat est exquis, jubilatoire, enchanteur. L'humilité semble être le maître mot d'un travail exemplaire où les deux comparses parviennent à préserver intact l'esprit du singspiel mozartien sans renier leur propre imaginaire et leur poésie. 

L'Orient dans cet Enlèvement est de bric et de broc mais pas de pacotille : Orient idéalisé, tout droit sorti des Mille et une nuits, et qui ressemble à la représentation que devaient s'en faire les Lumières. Car sous sa légèreté, ses badineries et ses marivaudages, se cache une réelle souffrance, un véritable déchirement qui est celle de la désillusion. Désillusion de découvrir que les êtres et les sentiments sont équivoques et changeants, à l'image de cette Tour placée sur scène qui sera successivement donjon, cachot, tour de délices et de souffrances. Désillusion pour Konstanze de voir que ces sentiments sont moins inébranlables que ses propos veulent bien le dire. Désillusion aussi pour Selim de réaliser qu'autorité ni clémence ne peuvent fléchir les sentiments humains. L'humour, chez les ex-Deschiens, n'est jamais vulgaire et ne prétend pas masquer une absence de réflexion ou d'idées. Il permet, parallèlement - simultanément - au drame, de le distancer pour mieux en souligner l'ambivalence. Tous les personnages en ressortent grandis, par leurs faiblesses et leurs limites mêmes. Dans ce conte philosophique à la Zadig, le véritable héros se révèle néanmoins être le pacha Selim, moins bourreau que despote éclairé sous les traits de Shahrokh Moshkin-Ghalam. Le danseur impose une présence et une prestance à son personnage qui justifie l'admiration et le respect que nourrit Konstanze à son égard. A l'instar d'un Louis XIV, ce pacha-là danse pour asseoir son autorité, à l'image des derviches tourneurs, il danse pour souligner sa filiation divine.

Face à tant de noblesse, ses sujets ne font pas toujours le poids : comme souvent à Aix, l'esprit d'équipe est privilégié au détriment d'une distribution réellement brillante. Le spectacle y gagne en crédibilité, en cohérence et en naturel. Mais des rôles aussi exigeants ne manquent pas de révéler très rapidement les insuffisantes des interprètes. Matthias Klink s'inscrit dans le lignée d'un Peter Schreier : style, élégance et nuance ne font pas oublier un instrument qui manque de charme et une vocalisation laborieuse. Le seul reproche que l'on puisse faire à Wojtek Smilek, c'est de ne pas avoir les graves d'Osmin. Evitant les clichés extrêmes (tyrannique Iznogoud ou ventripotent Papa Schulz) le portrait qu'il dresse est plus nuancé : celui d'un amoureux incapable de communiquer ses sentiments. En Pedrillo, Loïc Felix sait profiter de son naturel et d'une solide projection qui lui permet de réussir vaillamment son Frisch zum Kampfe ! Vraie triomphatrice de la soirée, Magali Léger use de son sex appeal et de son timbre fruité pour charmer son auditoire en même temps qu'Osmin. Pétulante et gracieuse, sa Blondchen est un bonheur visuel et vocal. Blonde avec Minkowski à Salzbourg, Malin Hartelius s'est muée en Konstanze avec plus ou moins de bonheur. Si la voix a pris de l'ampleur et la vocalise de l'assurance, la prédestinant désormais davantage à ce rôle qu'à celui de la soubrette, la projection manque définitivement d'impact, privant son Martern aller Arten de fureur, de détermination et de crédibilité. Malgré des sons filés qui font merveille dans Traurigkeit, le personnage manque de relief et paraît bien terne. 

Huit ans après une mémorable production salzbourgeoise, Marc Minkowski s'attaque à nouveau avec autant de plaisir et de bonheur au singspiel de Mozart. La musique coule d'elle-même et l'enchaînement entre les dialogues et le chant se fait avec une évidence et une fluidité qui donne rythme et tension à la représentation. Les tempi ont gagné en précision : le chef n'hésite pas à user de rubato, à varier la rythmique d'une mesure à l'autre à l'intérieur des airs pour donner à chaque phrase sa juste dynamique. Il ose également d'ineffables pianissimi qui, sous le ciel provençal, sont parfois couverts par le chant des cigales. Confronté à la sécheresse de l'acoustique, les chanteurs se prennent au jeu et en deviennent parfois inaudibles. Il n'est pas très fair play de sa part de leur demander d'exécuter toutes les reprises à la limite du murmure. L'effet eut été saisissant en studio mais se révèle totalement vain dans la cour du Grand Saint-Jean. 

Dans cet univers de carton-pâte qui évoque les mises en scène de Cassandre, c'est donc un Enlèvement au Sérail de poche qui nous est donné à entendre. Visuellement et orchestralement, pourtant, il est proche de l'idéal.
 
 

Sévag Tachdjian
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Lire également la critique de Juliette Buch pour cette même production, donnée à Rouen en Mars 2004

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