OPERAS - RECITALS - CONCERTS LYRIQUES
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RENNES
10/02/2008


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Henry Purcell (1659-1695)

The Fairy Queen (1692)


Opéra en cinq actes d’après le Songe d’une Nuit d’Ete
de William Shakespeare
Librettiste(s) anonyme(s)

Mise en scène : Jean de Pange
Assistante à la mise en scène, chorégraphie : Cooky Chiapalone
Scénographie et costumes : Mathias Baudry
Chef de chant : Colette Diard
Répétiteur pour l’anglais restitué : Paul Willenbrock

La Nuit / Le Printemps /… : Caroline Mutel
Le Mystères /Junon /… : Stéphanie Houtzeel
Le Secret / Mopsa / L’Ete / L’Automne / Un Chinois : Thomas Michael Allen
Le Sommeil / Corydon / L’Hiver / L’Hymen : Frédéric Caton

Solistes : Elsa Benoit, Isabelle Iraola, Bleunwenn Mevel,
Violaine le Chenadec, Anne Ollivier, Clotilde Delacour,
Emmanuel Lanièce, Jean-Jacques l’Anthoen,
Cyril Calac, Jérôme Savelon

Comédiens : Samuel Rouault, Julien Petit

Chœurs de l’Opéra de Rennes (chef des chœurs : Gildas Pungier)
Ensemble Les Nouveaux Caractères
Direction musicale : Sébastien d’Hérin

Opéra de Rennes, le 10 février

God save the Queen !


Au début, on est très agacé. Pourquoi Jean de Pange refuse de prendre The Fairy Queen comme tel, un opéra fantaisiste dénué d’action ? Pourquoi, dans cette accumulation de scènes poétiques, oniriques et métaphoriques s’acharne-t-il à chercher un fil rouge qui n’existe peut-être pas ? Pourquoi, enfin, défend-il bec et ongles une intrigue qui ne montre que d’obscures histoires de petites mœurs vécues par deux couples en crise, dans le cadre « mochissime » d’un immeuble glauque ? Qu’est-ce que Purcell vient faire chez les Rougon-Macquart ? Ce n’était vraiment pas la peine de se donner tout ce mal à anéantir la magie de « Fairy Queen », à en gommer les charmes, pour les « contextualiser » !
   
Et dès le début du III, « If love’s a sweet passion » transformé en déclaration d’amours interdites, nous fait changer d’avis. A la mollesse résignée du début succède chez les personnages une volonté de bouger, d’essayer, de séduire ou de repousser, de bouleverser leur existence. « Now the night », débridé, est l’incarnation comique de cette évolution. Mais les expérimentations se suivent et ne se ressemblent pas : « See,my many colour’d fields », nostalgique, et surtout « Sure, the dull god », incroyable duel figé entre les deux chanteuses, sont les versants plus amers d’une véritable épopée intérieure. « Humain, trop humain » ? En délaissant le royaume des créatures fantastiques et des allégories, the Fairy Queen ne perd pas ses saveurs. Sa dynamique ascendante, jusqu’au final triomphant, y gagne même en signification et en densité. Et ce que l’on prenait pour de l’amateurisme et du mauvais goût chez le metteur en scène n’était rien d’autre que les échecs qui donnent envie de triompher, que la médiocrité qui prélude aux fulgurances du génie. Bien sûr, quelques adaptations, par rapport à la tradition, sont nécessaires : ce n’est pas une soprano mais une mezzo qui donne la réplique à la basse dans « If love’s a sweet passion », et le dialogue Corydon/Mopsa, ansi que le trio final, se transforment en quatuors, avec protagonistes muets. Mais à l’impossible nul n’est tenu, et Jean de Pange, justement, a su repousser les limites de ce que l’on croyait possible dans Fairy Queen, faisant vivre au spectateur une expérience théâtrale de tout premier ordre !

Et même quand il s’agit de parler musique, il nous faut encore vanter les mérites de la mise en scène ! Car en créant une intrigue simple pour lier entre elles les différentes parties de l’œuvre, Jean de Pange créé aussi des personnages. Il devient alors assez vain de dire que Caroline Mutel interprète la Nuit, le Printemps, la « Plaint »…, ou que Frédéric Caton se charge 1) du Sommeil, 2) de Corydon, 3) de l’Hiver, 4) de l’Hymen… Ils sont un couple, elle, voix moelleuse, aigus vaillants et présence indéniable, lui son époux sombre et résigné jusqu’au duo « Turn then thine eyes ». De même, le sensible Thomas Michael Allen est un compositeur, qui retrouvera, grâce à la somptueuse Stéphanie Houtzeel (timbre et présence majestueuses, et, pour l’anecdote, l’un des nombreux « Quinquin » du dernier Rosenkavalier parisien), l’amour et l’inspiration. Autour de cette partie carrée à la Cosi fan Tutte gravitent une pléiade d’excellents solistes et choristes, préparés avec le soin habituel par Gildas Pungier. Et tout ce beau monde donne un Purcell « dans son jus », chantant un anglais… où on roule les « r » ! Déroutant de prime abord, cet élément s’avère rapidement un point fort appréciable, la langue de Shakespeare (qui n’aura jamais été si authentiquement Shakespearienne !) y gagnant une nuance bienvenue de musicalité italienne.

De la fosse aussi, on dira beaucoup de bien… sans oublier pour autant des cuivres fâchés avec la justesse. Les Nouveaux Caractères montrent une sonorité étonnamment personnelle pour leur jeune âge, pleine et ronde, tranchant délibérément sur les nombreuses formations baroques qui défendent un jeu plutôt sec. Sébastien d’Hérin maîtrise pleinement cette belle matière sonore, animant un discours fluide faisant la part belle aux tutti rugissants, mais ne renonçant pas à laisser s’exprimer la poésie de certains solos, quand l’occasion se présente.

Une mise en scène audacieuse, un plateau idéal et un orchestre qui semble bien décidé à faire parler de lui dans les futures grandes heures de la musique baroque : on jubile et on en redemande !

Clément Taillia



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