C O N C E R T S 
 
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NEW-YORK
14/05/05

Roberto Alagna © DR
FAUST

Opéra en 5 actes de Charles Gounod
Livret de Jules Barbier et Michel Carré

Production : Andrei Serban
Décors et costumes : Santo Loquasto
Lumières : Duale Schuler
Chorégraphie : Nikolaus Wolcz

Faust : Roberto Alagna
Méphistophélès : René Pape
Marguerite : Soile Isokoski
Valentin : Dmitri Hvorostovsky
Siébel : Kristine Jepson
Marthe : Jane Bunnell
Wagner : Patrick Carfizzi

Orchestre et Choeurs du Metropolitan Opera de New-York
Direction : Steven Crawford 

New-York, Metropolitan Opera, le 14 Mai 2005

UN AIR DE DÉJÀ VU

Au XIXème siècle, Faust fit régulièrement l'ouverture de saison du Metropolitan, à tel point que le théâtre en fut surnommé le "Faustspielehaus" ! Les années ont passé et le chef-d'oeuvre de Gounod a perdu de sa popularité mais reste un des titres les plus régulièrement donnés par l'institution new-yorkaise (la présente représentation est la 720ème dans ce théâtre).

Après quinze années de bons et loyaux services, la production d'Harold Prince (créateur du Phantom of the Opera sur Broadway) méritait de prendre une retraite méritée. C'est à Andrei Serban, metteur en scène dont les premiers pas au Met n'ont pas fait l'unanimité, que John Volpe a décidé de confier la responsabilité d'une nouvelle production.

A quelques détails prêts, le choix se révèle heureux si l'on en juge l'accueil globalement positif du public et de la critique. D'autant que Serban ne recule pas devant une certaine modernisation, un parti pris habituellement très mal accepté par les new-yorkais plutôt conservateurs.

On permettra au spectateur français d'avoir un avis plus nuancé sur le sujet. Le premier acte nous conduit dans le bric-à-brac du Docteur Faust où Méphistophélès fait son apparition entouré de diablotins (n'aurions-nous pas déjà vu ça à Londres il y a quelques mois ?). Faust rajeuni est habillé de blanc (comme dans la production parisienne de Lavelli) et esquisse quelques pas de danses (comme à Londres, mais sans faire la roue).
Le deuxième acte nous mène sur une place de France (on ne saura jamais vraiment pourquoi, l'idée n'étant pas exploitée) : même défilé de soldats éclopés que dans certaine production parisienne. Les Françaises sont-elles "toutes des putes" pour monsieur Serban ? C'est en tout cas l'impression que donne la chorégraphie de la valse transformée en simili french cancan pour troufions et prostituées (pour rappel, cette idée de french cancan était déjà présente dans la production londonienne de Mc Vicar ... sauf que la scène se passait à la Tour Eiffel, au cabaret "L'Enfer" : une idée autrement aboutie).

A Londres, un Christ en croix laissait couler du vin par ses stigmates : à New-York, c'est une statue de la Vierge (ce qui n'a aucun sens). Et ainsi de suite jusqu'à la fin : des visions spectaculaires pour un auditoire dépourvu de références, des idées récupérées à droite et à gauche pour les autres, et sans la justification d'une réflexion globale sur l'oeuvre. Ajoutons que Serban (une fois de plus) n'évite pas le mauvais goût, affligeant Méphistophélès (pour la scène de l'église) d'un costume de gargouille grotesque qui le fait ressembler à un rejeton obscène de Godzilla.

Côté chant, l'oreille est plutôt à la fête.

Le soir du 14 mai, Roberto Alagna chante fort bien, mais sans renouveler la quasi perfection de sa prestation londonienne. Au positif, l'incarnation dramatique est un peu plus poussée (ce n'est pas trop difficile) ; au négatif, les aigus sont nettement moins stables, en particulier l'ut de "Salut demeure chaste et pure" (mais il est vrai que nous ne jugeons que sur une seule représentation, qui plus est la dernière).

Les incursions de René Pape dans le répertoire français et dans des rôles un peu histrioniques sont trop rares pour que nous ne nous félicitions pas d'avoir ici l'un et l'autre. Le timbre est superbe, le chant parfait ; l'interprétation est en revanche un peu faible : José van Dam a su démontrer par le passé qu'on pouvait être un Méphisto impeccable sans excès histrioniques, en l'occurrence, s'il n'y avait le surtitrage, je ne suis pas sûr que la basse allemande aurait obtenu le même succès au rideau final.

Comme à son habitude, Soile Isokoski est une chanteuse d'une grande intégrité musicale, engagée, sans excès de pathos ; hélas la voix n'est pas assez large, et si l'artiste fait illusion dans son grand air du III, elle se révèle une Suzanna égarée en Marguerite à bien d'autres occasions, et en particulier lors de la scène de l'église : n'est pas Freni qui veut.

Dmitri Hvorostovsky "se contente" de chanter avec un legato parfait et un style admirable. Malheureusement, la projection est insuffisante et les spectateurs qui avaient entendu la retransmission radio se jettent sur leur programme : c'est pourtant bien le même artiste que celui qu'ils ont entendu samedi dernier !

Le Siebel de Kim Jepson bénéficie d'une voix claire et bien timbrée et le personnage est attachant : une artiste à suivre.

Les seconds rôles n'appellent pas de réserve ; à noter que l'ensemble de la distribution chante dans un français impeccable qui contraste agréablement avec le Cyrano de la veille.

Difficile de juger Steven Crawford pour sa direction : en effet, celui-ci succède à James Levine pour une unique représentation et n'a sans doute pas eu le temps d'insuffler sa propre vision à l'orchestre. Globalement, celui-ci sonne superbement, avec une grande variété de tempi et de nombreux détails d'orchestration qui ressortent de manière inédite (comme si l'on avait délibérément cherché à nous faire entendre un Faust foncièrement différent.)

Principal regret, une version considérablement amputée et réduite à 2h40 de musique (je ne sais pas si on a fait pire récemment dans un grand théâtre de répertoire) : un choix d'autant plus étonnant que, ces dernières années, le Met avait plutôt pris le parti de versions retournant peu ou prou aux volontés du compositeur. Choix d'autant plus étrange que le plateau vocal (à quelques réserves près) était tout à fait à la hauteur de l'enjeu.
 
 

Placido CARREROTTI
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