C O N C E R T S
 
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ANGERS
25/04/2004

Anne-Sophie Duprels
Ludwig van BEETHOVEN

FIDELIO

Opéra en deux actes

Direction musicale : Hans Drewanz
Mise en scène : Marion Tixier-Soustrot
Décors : Emmanuelle Favre
Costumes : Bruno Fatalot
 

Florestan : John Horton Murray
Léonore : Lisa Houben
Don Fernando : Christian Davesnes
Don Pizarro : David Wakeham
Rocco : Alan Ewing
Marzelline : Anne-Sophie Duprels
Jaquino : Michel Pastor
 

Choeur d'Angers-Nantes-Opéra, direction : Xavier Ribes
Orchestre National des Pays de Loire

Angers, le 25 avril 2004



"Divinité, tu vois d'en haut le fond de mon coeur, tu le connais ; 
tu sais bien que l'amour de l'humanité, le désir de faire le bien l'habitent"

Ces mots de Beethoven, extraits du tragique "Testament dëHeiligenstadt" (daté du 06 octobre 1802) soulignent, si besoin est, la distance considérable séparant l'ampleur des pensées philosophiques du compositeur et la banalité d'un récit-livret, celui de son unique opéra, Fidelio, qu'il avait pourtant accepté.

Rien d'étonnant à ce que la gestation et l'enfantement de l'oeuvre aient cheminé dans la douleur, le doute, l'échec... Neuf ans durant, Beethoven écrira quatre ouvertures et, semble-t-il, certains morceaux seront repris jusqu'à dix-huit fois.
Inquiétude d'un homme en proie au tourment, à la maladie ô combien humiliante... Difficultés existentielles d'un personnage exalté, sans concession pour lui-même ni pour les autres, déchiré entre l'appel de la fraternité et le goût de la solitude... Détresse d'un passionné en quête de la femme qui acceptera d'incarner et de porter cette passion, sa mystérieuse "Immortelle Bien-Aimée"...

Au travers de la dimension métaphorique de l'opéra, c'est cette personnalité complexe que les spectateurs d'Angers-Nantes-Opéra ont eu à déchiffrer, ce 25 avril 2004...

Et ce sont tous ces aspects contradictoires que Marion Tixier-Soustrot va tenter de concilier par une mise en scène d'une sobriété qui pourra laisser croire, à de nombreux moments de l'oeuvre, que l'on assiste à la version concert !

Le décor est la scène elle-même, plongée le plus souvent dans la pénombre : aucun accessoire, aucun volume, pas le moindre soupirail, rien !... Seulement le choeur, presque toujours présent, souvent allongé sur la scène, symbolisant cette humanité à laquelle s'adresse le compositeur.

En l'absence d'argumentaire, c'est là l'interprétation que nous retiendrons : à cette humanité appartiennent les bons et les méchants, les femmes et les hommes, les opprimés et les libérateurs, émergeant tour à tour pour tenir leur rôle. Il s'agit là d'un choix minimaliste, discutable, mais non condamnable a priori s'il sert l'oeuvre et si les autres composantes du spectacle sont pertinentes par rapport à ce choix.

Si l'on exclut quelques effets dont l'utilité reste à démontrer (sirène d'alerte, tonitruante salve de mousquetons, présence d'une lectrice-écrivain très "tendance", bien sage en avant-scène,...) ce choix de mise en scène tend à estomper (et même plus) le contenu du livret dont nous avons souligné l'extrême simplicité... pour lui substituer un récit "parallèle" qui serait le journal intime de Léonore, écrit par une dramaturge (Maud Lescoffit), partenaire du metteur en scène.

La lectrice de l'avant-scène n'est autre que l'une de nos contemporaines découvrant et lisant en voix off et en français le prétendu journal.

De temps à autre interviennent donc des lectures de ce texte fictif et d'un sentimentalisme pour le moins appuyé, parfois envahissant, censé exprimer les états d'âme de Léonore. Nous laisserons au spectateur le soin de décider de l'éventuel supplément d'intérêt de ce texte par rapport à celui du livret.

On pouvait espérer que le choix de la relégation au second plan du livret aurait pour conséquence la mise en exergue de la musique de Beethoven qui confère à Fidelio la dimension d'un message universaliste, profondément humain et intemporel.

L'orchestre a eu bien des difficultés à prendre en charge une telle responsabilité, en raison d'une direction peu incisive, manquant de contrastes et de conviction, notamment dans les phases dramatiques (le superbe prélude annonçant l'aria de Florestan au début du deuxième acte) ou visionnaires.

A cet égard, le finale réunit tous les protagonistes pour un hymne qui préfigure le dernier mouvement de la 9ème Symphonie. Le volume sonore est présent en raison de l'effectif, mais il ne saurait se substituer à une lecture plus subtile de la partition et donc à une direction qui aurait dû faire de chaque note, vocale ou instrumentale, un élément décisif de cet édifice lumineux et plein d'espoir.

Les parties plus lentes sont, en revanche, traitées avec un intimisme qui fait naître une certaine émotion. Ainsi, le quatuor du premier acte est-il donné presque a cappella, tant l'orchestre soutient les voix avec respect et discrétion, montrant ainsi à quel point Beethoven dépasse les personnages pour accéder sur le plan vocal à une écriture symphonique.
Les interventions du choeur, très homogène, sont toujours d'une remarquable qualité tant par les attaques que par les nuances. Le chant des prisonniers retrouvant la lumière à la fin du premier acte est particulièrement saisissant... et l'intense éclairage de la chemise blanche de l'un d'eux renvoie à la peinture dramatique et fortement contrastée de Goya, condamnant la tragique exécution des révoltés madrilènes "El tres de mayo". Ici et à d'autres moments la mise en scène trouve un précieux appui chez l'éclairagiste, Pierre Dupouey.

On connaît le professionnalisme sans faiblesse que réclame l'écriture vocale de Beethoven (on lui en a d'ailleurs fait reproche).

Deux voix dominent la distribution. Alan Ewing incarne un Rocco plein d'autorité, à la voix profonde et sûre, sa contribution aux ensembles s'avérant ainsi essentielle. Si Anne-Sophie Duprels (Marzelline) n'accède aux difficiles aigus qu'en forçant quelque peu la voix, sa présence sur scène est incontestable, tendant même parfois à éclipser quelque peu ses partenaires. Le public les distinguera nettement lors des saluts.

Lisa Houben (Léonore) possède de remarquables qualités vocales largement appréciées lors de précédentes prestations avec Angers-Nantes-Opéra (le Triptyque de Puccini, les Contes d'Hoffmann). Elle nous a semblé moins convaincante dans ce rôle... livrée à elle-même, pratiquement sans mise en scène, et dans un costume on ne peut plus banal. Des choix qui ne servent guère le chanteur dont l'expression corporelle se résume (presque) à être debout ou couché !

Quant aux autres rôles principaux, ils sont loin d'emporter l'adhésion du public. Si Jaquino (Michel Pastor) s'inscrit avec aisance dans les ensembles du premier acte, il n'en est pas de même de Don Pizarro (David Wakeham) sans grande personnalité vocale et scénique.

Don Fernando (Christian Davesnes) dépourvu de grave et au vibrato excessif ne joue pas le rôle attendu, à savoir le Ministre éclairé, libérateur des opprimés, porte-parole en quelque sorte de l'idéal de justice de Beethoven. Et ce, non seulement à cause d'un manque de charisme vocal, mais également en raison du costume dont il est affublé qui fait de lui une sorte de Prêtre intégriste on ne peut plus inquiétant et aveugle (un masque sur les yeux). Un choix inexplicable : on attend la compassion et la Justice, on n'a que l'image caricaturale de l'obscurantisme !

Le rôle lourd de Florestan était dévolu à John Horton Murray qui incarnait Lohengrin à Nantes et Angers en septembre dernier. La prestation à laquelle nous avions assisté alors avait été pour le moins controversée... Force est de constater que la partition de Florestan subit elle aussi de graves approximations de timbre et de justesse que le long séjour au cachot ne suffit pas à justifier ! Mais là aussi, le drapé encombrant et inesthétique d'un patchwork de supermarché n'aide guère le chanteur, réduit à une silhouette informe et privée de moyens gestuels. Et lors de sa libération, le metteur en scène ne le délivre même pas de ses entraves...

Les exigences de Beethoven se perpétuent au travers du temps. Fidelio demande à être porté collectivement à l'incandescence, sans retenue, avec exaltation.

Si le fracas du monde contemporain s'inscrit en faux contre le message candide et hélas utopique de Beethoven, la frilosité n'est pas de mise et chacun des protagonistes de l'opéra doit se sentir investi d'une mission, être porteur d'un fragment de cette vision généreuse...

Peut-être auraient-ils dû lire et relire, écouter et ré-écouter, se pénétrer du rythme, lancinant comme une timbale, haletant comme la création, des dernières lignes de sa lettre à l'Immortelle Bien-Aimée :

Eternellement à toi
Eternellement à moi
Eternellement à nous



 
 

Jacques REVERDY
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