C O N C E R T S 
 
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MONTPELLIER
27/07/06

Michelle Canniccioni - Roberto Alagna (en répétition)
© Marc Ginot
Edouard LALO (1823-1892)

FIESQUE

Opéra en trois actes
Livret de Charles Beauquier
D’après la pièce de Friedrich von Schiller :
Die Verschwörung des Fiesco zu Genua

Version concert
Création mondiale

Fiesque : Roberto Alagna, ténor
Léonore : Michelle Canniccioni, soprano
Julie: Béatrice Uria-Monzon, mezzo-soprano
Verrina: Franck Ferrari, baryton
Hassan: Jean Sébastien Bou, baryton
Borgonino : Armando Gabba, baryton
Gianettino : Vladimir Stojanovic, basse
Romano: Ronan Nédélec, baryton
Sacco: Alexandre Swan, ténor
Coryphée: Gundars Dzilums, basse
Un homme du peuple: Martins Zvigulis, ténor
Un page : Inga Zilinska, mezzo-soprano

Orchestre National de Montpellier Languedoc-Roussillon
Chœurs de la Radio Lettone

Direction : Alain Altinoglu

Montpellier, Opéra Berlioz-Le Corum
27 juillet 2006

Chef d’œuvre méconnu ?

Si la plupart des biographes de Lalo mentionnent l’existence de Fiesque, aucun n’a jamais pu entendre cette œuvre que le compositeur s’est pourtant ingénié, en vain, à faire représenter à plusieurs reprises. En 1868, il la destine à un concours organisé par le directeur de l’administration des théâtres pour promouvoir la composition de nouveaux opéras. La partition qui obtiendrait le premier prix serait créée au Théâtre-Lyrique. Fiesque fait partie des cinq finalistes mais arrive en troisième position (1).

Parallèlement, Lalo soumet le livret au directeur de l’Opéra et prend contact avec le Theater am Dammtor de Hambourg mais l’invasion prussienne de 1870 réduisent ces démarches à néant. Réfugié en Belgique Lalo décide alors de proposer son opéra à la Monnaie. Le projet était déjà bien avancé quand un brusque changement de directeur le fit capoter.
Par la suite, Lalo devra se contenter de donner des extraits de Fiesque dans diverses salles parisiennes entre 1872 et 1877 avant de renoncer définitivement à le faire jouer. Plus tard, il en réutilisera de nombreuses pages dans ses dernières œuvres.

Le livret est tiré d’une pièce de Schiller, fondée elle-même sur un fait historique, et raconte la conjuration ourdie par Fiesque, un jeune homme ambitieux, et ses amis républicains contre Andrea Doria, doge de Gêne. Par ailleurs, Léonore, l’épouse de Fiesque, est jalouse de Julie, la fille de Doria, qui ne semble pas laisser son mari indifférent, ce qui agace Verrina, un vieux républicain fanatique qui juge Fiesque trop assoiffé de pouvoir et de plaisirs pour être un doge selon son idéal. A la fin de l’opéra, au moment où le jeune homme s’apprête à savourer sa victoire, Verrina le précipite dans la mer.

Pour cette création, annoncée comme la révélation d’un chef d’œuvre méconnu, le Festival de Montpellier a mis les petits plat dans les grands en convoquant une distribution de haut vol.

Les seconds rôles sont remarquablement tenus par des interprètes qui savent tous tirer admirablement leur épingle du jeu.

Jean-Sébastien Bou campe un Hassan fort bien chantant et se révèle d’une irrésistible drôlerie dans cet emploi de tueur à gages opportuniste et vénal tandis que Franck Ferrari prête la noirceur de son timbre à l’inquiétant Verrina dont il sait traduire l’ambiguïté et l’austère sévérité.

Béatrice Uria-Monzon est une Julie de grande classe à la sensualité exacerbée. L’interprétation et tout à fait convaincante et la voix a paru moins engorgée qu’à l’accoutumée : par moment, le texte était presque intelligible.


Michelle Canniccioni
© Marc Ginot

Remplaçant au pied levé Angela Gheorghiu qui s’est brusquement rendue compte que le rôle n’était pas pour sa voix, la jeune cantatrice corse Michelle Canniccioni a relevé le défi avec brio. Dotée d’une élégante ligne de chant, elle campe une Léonore sensible en proie à l’inquiétude et au doute. Son timbre lumineux de soprano lyrique, mais à l’aigu encore un peu vert, notamment dans son air du premier acte, restitue avec bonheur la fragilité et la jeunesse de l’héroïne.

Fringant, dans son costume blanc, Roberto Alagna a paru bien plus à son affaire ici que dans son récent Radamès à Orange. Il parvient à donner l’impression que le rôle de Fiesque a été écrit pour lui tant son aisance jusque dans l’aigu et les infinies nuances dont il use à bon escient sont confondantes. On lui pardonnera quelques légers écarts de justesse en début de soirée pour vanter les mérites de son interprétation sobre et pleinement convaincante.

La direction alerte d’Alain Altinoglu fait la part belle aux pages martiales que recèle l’ouvrage et réussit à exalter le côté grandiose des scènes de foule, au détriment parfois des passages plus intimistes tel le duo entre Fiesque et Léonore au deuxième acte qui a paru longuet, pour ne pas dire ennuyeux.
 
Et la partition ? Riche et luxuriante, on y perçoit notamment les influences conjuguées de Meyerbeer et de Gounod sans pour autant y retrouver la veine mélodique de ce dernier. Les nombreuses parties chorales doivent beaucoup à Berlioz et frappent par leur ampleur comme en témoigne le finale du premier tableau de l’acte deux. Saluons la prestation, excellente comme à l’accoutumée, des chœurs de la Radio Lettone.

Les personnages masculins semblent avoir particulièrement inspiré le compositeur, notamment le rôle-titre, omniprésent, dont les airs sont d’une belle facture, au premier rang desquels le songe de l’acte deux (« Cette nuit, quel étrange rêve a troublé mon sommeil »), d’une grande originalité (2). Au même acte, l’air comique de Hassan, « Grâce à moi, grâce à moi », capte sans peine l’attention ainsi que l’ensemble des interventions de Verrina.
Les parties des deux femmes sont en revanche plus en retrait, à l’exception peut-être de la chanson de Julie et du duo avec Fiesque qui lui succède à l’acte trois.
L’œuvre souffre également d’un livret on ne peut plus indigent (3). C’est fréquent à l’opéra, direz-vous, mais on atteint ici des sommets de niaiserie comme en témoigne ces extraits de la chanson de Fiesque au premier acte :

« Tous les gens qui réfléchissent
Ils blanchissent
Or voyez mes noirs cheveux. »

Et plus loin :

« Aimer, chanter,
C’est ma bible
Comme un crible
Mon cerveau laisse passer
Sciences, philosophie,
La folie seule peut s’y amasser ! »

Alors, chef d’œuvre méconnu ou simple curiosité pour mélomane averti ? L’avenir le dira d’autant que l’ouvrage devrait être représenté à Mannheim et à Londres d’ici 2008.
Mais en ce soir du 27 juillet c’est surtout la belle performance de Roberto Alagna qui aura assuré le succès triomphal de ce concert.


 
Christian Peter



Notes


(1) La postérité n’a pas retenu les noms des compositeurs qui ont obtenu les deux premiers prix

(2) Lalo réutilisera une partie de cet air pour le duo entre Rozenn et Mylio au troisième acte du Roi d’Ys.

(3) On saura gré à Monsieur Beauquier de n’en avoir pas commis d’autres…
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