C O N C E R T S
 
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BRUXELLES
06/03/2004

Bernarda Fink
© DR
Récital Bernarda Fink
 

Bernarda Fink, mezzo-soprano
Roger Vignoles, piano
 

Joseph Haydn (1732 - 1809)
Arianna a Naxos

Robert Schumann (1810-1856)
Frauenliebe und -leben (A. von Chamisso)

Enrique Granados (1867-1916)
Canciones Amatorias

Joaquín Rodrigo (1901-1999)
Romancillo (Anon.)

Joaquín Nin (1908-2004)
El paño murciano

Bruxelles, La Monnaie, 6 mars 2004



Amateurs de voix profondes et chaudes, nous vivons une époque bénie des dieux : les mezzos foisonnent, les contraltos se font également moins rares et la richesse des talents le dispute à la beauté des moyens. Bernarda Fink n'est pas la plus médiatique ni, par conséquent, la plus célèbre des mezzos, mais c'est une des artistes lyriques les plus authentiques et les plus attachantes de ces vingt dernières années. Ronde et remarquablement homogène, superbement timbrée, sa voix est surtout dotée d'un grain émouvant qui exprime tout le lait de la tendresse humaine. Si la nature fut généreuse, la chanteuse l'est plus encore, alliant l'intelligence du coeur à la musicalité des plus grands.

Le récital est cependant un exercice difficile, particulièrement pour les artistes pudiques, qui ne cherchent pas à plaire à tout prix. Débuter avec Ariane a Naxos est rien moins qu'évident, a fortiori lorsque l'interprète n'a pas la vocalité brillante et le sens du théâtre qu'exigent ces pages difficiles. Il y a deux ans, Bernarda Fink confiait à Forum Opera son soulagement lorsqu'elle apprit que la mise en scène d'Il Matrimonio Segreto monté par le Théâtre des Champs-Élysées) et dans lequel elle devait endosser le rôle de Fidalma, était confiée à Pierre Audi : il ne lui avait pas demandé d'être autre chose qu'elle-même et avait respecté ce qu'elle est ( Voir l'entretien accordé à Mathilde Bouhon). En l'occurrence, elle semble trop entière pour se faire violence et incarner l'amante rebelle et colère voulue par Haydn, mais qui ne lui ressemble pas.

C'est encore et avant tout avec sa personnalité qu'elle aborde le cycle de Schumann. La franchise et la candeur de son chant épousent à merveille la ferveur de certaines lieder (Er, der Herrlichste von allen ; Helft mir, ihr Schwestern), même lorsque la nostalgie de l'innocence perdue tempère les joies de l'amour (Du Ring an meinem Finger), mais l'artiste peine, en revanche, à évoquer le trouble ambigu qui saisit la jeune épouse (Süßer Freund, du blickest). Là où les micros (Voir la critique de son album Schumann), comme la caméra, permettent d'aller plus loin dans le détail et les nuances, la scène impose une autre projection et une attitude différente. Ce que les Frauenliebe und -leben peuvent perdre en finesse et en introspection, ils peuvent aussi le gagner en relief et en force expressive, ce qui n'est pas le cas ici, sauf dans le lied final (Nun hast du mir den ersten Schmerz getan), plus investi dramatiquement.

Pour ouvrir la seconde partie de son récital, Bernarda Fink n'a pas retenu le meilleur de Granados. De surcroît, légères mais passe-partout, les Canciones Amatorias exigent de l'interprète une humeur enjouée, mutine, un tempérament plus extraverti qui font malheureusement défaut au mezzo. Sa lecture sage, trop lisse, manque d'esprit et de piquant. En revanche, la sensibilité de l'artiste s'épanouit pleinement chez Rodrigo, en particulier dans Adela, une mélodie sublime que la chanteuse a eu l'heureuse idée d'ajouter à son programme. La soirée se poursuit sur un hommage à Joaquín Nin-Culmell, décédé le 14 janvier dernier à Berkeley. Ce pianiste et compositeur né à la Havane est le frère d'Anaïs Nin qui, dans son célèbre journal, l'appelle "l'ange Joaquín". Il étudia avec Manuel de Falla et Paul Dukas avant d'explorer, en musicologue, le folklore espagnol. Dommage que la chanteuse ne propose qu'El paño murciano, plutôt fade et qui ne laisse pas un souvenir mémorable.

En récital, les bis réservent parfois quelques moments de pur bonheur, comme si l'artiste se sentait plus libre et ne songeait qu'à se faire plaisir. Bernarda Fink ne s'en prive pas, qui nous offre une très belle chanson de son pays, l'Argentine : chacun retrouve la lumière incroyablement douce de ses aigus mezza voce, ces accents mélancoliques et irrésistibles qui nous ont si souvent fait chavirer. C'est avec, enfin ! un véritable sourire dans la voix et le geste vif que l'artiste reprend El sombrero de tres picos de Manuel de Falla.
 
 
 

Bernard SCHREUDERS
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