C O N C E R T S
 
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ROME
16/12/2005

Juan Diego Florèz
© DR
Récital Juan Diego Florèz
 

Mozart - Il re pastore - "Si spande al sole in faccia..."
Cimarosa - Il matrimonio segreto - "Pria che spunti in ciel l'aurora"
Gluck - Orphée et Euridice - "L'espoir renaît dans mon âme" et "J'ai perdu mon Euridice"
Rossini - Semiramide - "La speranza più soave"

Manuel Garcia - "El riqui riqui", "Floris", "Las nadadoras"
Valcarcel - "Campanita de mi pueblo"
Ayarza de Morales- "Malhaya", "Hasta la guitarra llora"
Fauré - "Après un rêve"
Massenet - "Ouvre tes yeux bleus"
Donizetti - La fille du régiment - "Ah mes amis, quel jour de fête"

BIS

Donizetti - L'elisir d'amore - "Una furtiva lagrima"
Rossini - Il Barbiere di Siviglia - "Al più lieto e il più felice"
Tosti - "L'alba separa dalla luce l'ombra" 
Verdi - Rigoletto - "La donna è mobile"

Juan Diego Florèz, ténor
Vincenzo Scalera, piano

16 décembre 2005
Auditorium Parco della Musica, Salle Santa Cecilia, Rome

Viva el conquistador ! 

Ambiance des grands soirs à l'auditorium de Rome, dans la grande salle Santa Cecilia inaugurée avec le reste du Parc de la Musique, il y a exactement trois ans : ambassadeurs (du Pérou entre autres), "Monsignori" de la Curie romaine, afficionados de Juan Diego, tous s'étaient donnés rendez-vous pour ce récital unique de l'artiste péruvien qui fêtera ses 32 ans dans quelques jours.

Très élégant dans son frac, Florez séduit par son allure à la fois juvénile et parfaitement maîtrisée. Sa gestuelle pleine de grâce accompagne les airs tout en restant très sobre. Du grand art, là aussi.

Aux côtés de Juan Diego, le pianiste américain d'origine italienne Vincenzo Scalera, vieux routier - par l'expérience - des salles de concert et des récitals lyriques. Sa connaissance du répertoire et son métier, qu'il mobilise notamment au sein de l'Académie Renata Scotto de Savone depuis 1997, sont extrêmement efficaces.

Le programme devait promener le spectateur du continent européen jusqu'au Pérou natal. La première partie reste dans le très classique : pour se chauffer, un air du Re pastore, certes pas le plus passionnant de la production mozartienne pour ténor (on aurait pu espérer un des airs d'Ottavio plutôt), puis du Matrimonio segreto de Cimarosa. Les choses sérieuses commencent avec Orphée et Euridice, en français : le magnifique air de virtuosité qui conclut le premier acte, et dont la paternité de Gluck est contestée (ne s'agirait-il pas d'une page de Ferdinando Bertoni ?), convient à merveille à Juan Diego. Dans "J'ai perdu mon Eurydice", il nuance à merveille et les quelques rigidités que l'on avait notées en début de programme (peu de "messe di voce", en particulier) sont tout à fait oubliées. La première partie se conclut avec de l'acte II de Semiramide "La speranza piu soave". Même si Florez vient d'interpréter Idreno à Barcelone, avec le succès que l'on sait, le choix de cet air, pour un récital seul avec piano, est contestable : le dialogue avec le choeur constitue une part importante de la partition, à laquelle la réduction pour piano ne rend pas justice. Les variations sont toutefois intéressantes et JDF nous gratifie de nombreux suraigus d'une facilité déconcertante.

Après la pause, le programme se fait plus original, d'abord avec trois mélodies de Manuel Garcia, fameux à la fois pour avoir créé le rôle de Norfolk dans Elisabetta regina d'Inghilterra, donné naissance à Maria Malibran et Pauline Viardot, enseigné le chant à Adolphe Nourrit... et composé de nombreuses mélodies formant une sorte de méthode de chant pour les plus doués. Les trois airs présentés par Florez s'inscrivent bien dans cette dernière perspective : El Riqui Riqui notamment, est une suite de sauts et de trilles, dans lesquels il se promène et fait sourire.

Les trois airs suivants sont un hommage de Florez à son pays natal, d'abord avec Teodoro Valcarcel Caballero (né en 1900 et décédé à Lima en 1942) puis avec Rosa Mercedes Ayarza de Morales, pianiste, chef d'orchestre et compositeur (1881-1969) qui a réussi à mêler inspirations européennes et traditions populaires péruviennes, comme dans Malhaya. Dans l'interview publiée dans le programme de salle, Florez indique que son père était un chanteur de ces airs populaires et qu'il tenait tout particulièrement à proposer ce répertoire en récital.

Avec Fauré et Massenet, Florez s'aventure sur des terres à lui plus étrangères et cela se voit. Je n'ai pas trouvé qu'"Après un rêve" lui allait bien. Le phrasé est soigné et le français très convenable. Mais notre ténor chante cela comme de l'opéra et les puristes râlent ! Pour "Ouvre tes yeux bleus", c'est somme toute moins gênant.

Le programme se conclut avec un classique "Ah mes amis, quel jour de fête", de La Fille du Régiment. Succès assuré, évidemment !

Quatre bis sont proposés. Una furtiva lagrima est certainement un des sommets de la soirée, grâce à la beauté intrinsèque de la voix de Florez, son sens de la ligne et du legato et un jeu subtil avec l'attention du public : les silences qui rythment la fin de l'air ménagent une tension extrême, à l'issue de laquelle le public explose. "Viva el conquistador" s'exclame même un afficionado latino ! La partie finale du rondo du conte Almaviva est également un très grand moment. Enfin, après une romance de Tosti dans un genre totalement différent, une "Donna è mobile" brillantissime permet de conclure la soirée dans l'enthousiasme.

Le public en redemandait encore mais quatre bis, de nos jours, après une bonne heure vingt de musique, ce n'est déjà pas si mal, même si on se rappelle avoir assisté à des récitals avec piano avec une dizaine de bis (c'était Leo Nucci à Marseille, en 1986, pour ne pas le nommer). Mais à une époque où l'exercice exigeant du récital se raréfie, du moins pour les chanteurs de renommée internationale, Juan Diego Florez nous a donné un magnifique moment de musique. "El conquistador" nous a conquis !
 
 

Jean-Philippe THIELLAY
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