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GENES
04/05/2007
 
Bruno Pratico
© DR

Giuseppe VERDI

La forza del destino

Opéra en quatre actes (version de 1869)
Livret de Francesco Maria Piave révisé par Ghislanzoni

Coproduction Opernhaus de Zurich et Teatro Carlo Felice

Mise en scène, Nicolas Joel
Reprise par Timo Schlüssel
Décors, Ezio Frigerio
Costumes, Franca Squarciapino
Lumières, Jürgen Hoffmann
Chorégraphie, Sabine Mouscardes

Il Marchese di Calatrava, Danilo Rigosa
Donna Eleonora, Susan Neves
Don Carlo di Vargas, Franco Vassallo
Don Alvaro, Francesco Hong
Preziosilla, Marianne Cornetti
Padre Guardiano, Giacomo Prestia
Fra Melitone, Bruno Pratico
Curra, Tiziana Tramonti
Un Alcade, Angelo Nardinocchi
Maestro Trabucco, Carlo Bosi
Un Chirurgo, Carlo Striuli
Un rivendagliolo, Angelo Casertano

Danseurs, Elisa Brugnerotto, Valentina Carlino, Mara Massone
Luca Caleffi, Alex Flocari, Matteo Piccardo
Maître de ballet, Angela Galli

Orchestre et Choeur du Teatro Carlo Felice
Maître du Chœur, Ciro Visco

Directeur musical, Daniel Oren

Gênes, le 4 mai 2007

Le destin, dans le langage populaire, c’est l’autre nom du malheur, de ces forces qui semblent se conjurer pour élever des obstacles entre les humains et l’accomplissement de leurs désirs, particulièrement amoureux. Thème des drames antiques, il prend une nouvelle jeunesse à l’époque romantique et inspire le marquis de Rivas, auteur de la tragédie sanglante que Verdi retiendra comme support d’un nouvel opéra pour Saint-Pétersbourg.

 Deux jeunes gens épris l’un de l’autre, Leonora et Alvaro, veulent s’affranchir des préjugés incarnés par une figure paternelle absolument hostile à leur union, et chantent, au premier acte : « le destin ne pourra nous séparer ». Evidemment, l’enchaînement des malheurs va commencer, avec la mort du père de la jeune fille tué accidentellement par l’arme du prétendant. Contraints de s’enfuir dans la nuit, ils s’égarent, se séparent et ne se reverront qu’au dernier acte, des années après.

Le dénouement primitif de 1862, fidèle au modèle espagnol, culminait avec trois morts violentes : celle du frère de la fugitive, qui a consacré sa vie à la retrouver pour la tuer et qui est victime du duel qu’il a provoqué ; celle de Leonora, que son frère agonisant réussit à poignarder ; celle d’Alvaro, incapable de survivre à cet amoncellement d’horreurs et qui se suicide. Dans la version définitive, frère et sœur meurent toujours, mais avant d’expirer elle a le temps de résoudre Alvaro à continuer à vivre pour expier dans la prière et préparer ainsi leur bonheur futur dans l’au-delà.


© DR

En choisissant ce finale pacifié, Verdi cherchait probablement à renforcer la cohésion parfois contestée d’une œuvre qui refuse la monochromie. Non seulement elle joue sur les intervalles de temps, puisque des mois ou des années séparent les divers épisodes, sur les divers moments de la journée, mais aussi sur les « climats », passant de l’atmosphère pesante du palais Calatrava au désordre semi organisé d’une place de village, de l’austérité d’une cour de monastère à la confusion d’un campement militaire, jusqu’au dépouillement de l’ermitage. A cet égard, la sobriété des décors est fonctionnelle, le meilleur de l’aspect illustratif réside dans des toiles de fond que de superbes éclairages modifient pour composer des visions suggestives évoquant l’écoulement des heures et la présence en arrière plan de paysages, tout en rendant sensible et visible le « climat » dramatique. La mise en scène s’efface et la transposition à l’époque du Risorgimento est sans effet, sinon sur les costumes, moins colorés qu’on pourrait s’y attendre.

Les protagonistes sont donc emportés par leur quête à côtoyer des milieux différents et des circonstances diverses où l’extraordinaire et le trivial cohabitent. D’où une partition où le lyrisme et le pathétisme voisinent avec l’effusion comique, qui annonce le Verdi de Falstaff et dont Moussorgski se souviendra pour Boris. La musique exprime étroitement les variations des sentiments des personnages aussi bien dans leur intensité que dans leur nature, et les thèmes créés par Verdi pour les caractériser ont une force expressive à laquelle l’orchestre du Carlo Felice rend pleinement justice, sous l’autorité d’un Daniel Oren complètement investi. L’entente qui lie les musiciens et leur directeur musical est perceptible dans la qualité de l’exécution. Le chef trouve l’équilibre entre la nervosité des scènes d’affrontement et la tristesse des tableaux d’introspection sans céder à des élans excessifs et sans baisse de rythme. Il reste un exact équilibre sonore qui n’empiète jamais sur le plateau et respecte l’expressivité de la musique sans jamais la rendre emphatique. C’est une grande réussite, saluée du reste à la fin du spectacle par les ovations d’un public conquis.

Ovations également pour Francesco Hong, qui s’impose en Alvaro de haute volée, surmontant les écueils vocaux vaillamment et faisant oublier un physique de ténor à l’ancienne par une justesse dramatique accordée à la noblesse du personnage. Bien accueilli également, Franco Vassalo, le frère punitif, voix puissante qui gagnerait à ne pas être poussée, surtout sans nécessité. Le baryton et le ténor ont dans l’ouvrage trois duos ; le troisième, de loin le plus important, a été malheureusement sacrifié, sans que le motif en soit indiqué. Ce n’est du reste pas la seule étrangeté de cette production : la célèbre ouverture, popularisée chez nous par le film Manon des Sources, est en fait exécutée après le premier acte. Aux motifs allégués de gain de temps pour passer du décor du premier acte à celui du second on voudrait opposer la logique musicale et le respect de l’œuvre. Ferait-on subir pareil outrage à un Wagner ? Il est triste de voir que même en Italie, Verdi est déjà formaté.

Fort heureusement la qualité des autres interprètes fait que le spectacle, même amputé, donne satisfaction. Les personnages de Preziosilla, Melitone et Trabucco, conformément aux volontés du compositeur, sont d’une drôlerie équivoque. Marianna Cornetti, avec un vibrato un peu prononcé mais des aigus faciles, a l’abattage de l’entremetteuse à qui on ne la fait pas.
Bruno Pratico prête au moine curieux et grognon ses rondeurs, avec une santé vocale indéniable et la présence qu’on lui connaît. Carlo Bosi fait valoir les deux aspects de son personnage, d’abord discret et méfiant, puis hâbleur comme un charlatan.

Le mauvais père, Danilo Rigosa, est noble et âpre à souhait. Le bon père, le Gardien du monastère, a la stature et les graves impressionnants de Giacomo Prestia. La Curra de Tiziana Tramonti a l’élégance des gouvernantes de grande maison.

Comme l’orchestre, le chœur connaît bien Daniel Oren et réagit à ses sollicitations en véritable protagoniste ; la scène des mendiants au premier tableau de l’acte quatre fut saisissante, de ce point de vue, quant à la mise en scène, elle s’est révélée d’une sagesse un peu terne.

Reste Leonora, sur qui s’ouvre et se referme l’œuvre. Ce soir-là, c’est Susan Neves. Même si, parfois, les consonnes sont excessivement allégées et certains piani plus tentés que produits, cette cantatrice à la carrière déjà longue a gardé la fraîcheur de son timbre et surmonte sans faillir les embûches du rôle, recueillant un succès mérité.

Au total, malgré les réserves exprimées, c’est une exécution vocale et musicale de haut niveau, qui clôture en beauté la saison du Carlo Felice.



Maurice Salles
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