C O N C E R T S
 
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TOULOUSE
27/06/2007
 
Ismael Jordi : Fernando / Ruth Rosique : Doña Francisquita
© Patrice Nin

Amadeo VIVES (1871-1932)

DONA FRANCISQUITA
 
Comédie lyrique en trois actes
Livret de Frederico Romero et Guillermo Fernandez Shaw
D’après la comédie de Lope de Vega « La discreta enamorada »

Coproduction Théâtre du Capitole, Teatro Colon de Buenos Aires,
Teatro de la Zarzuela de Madrid

Mise en scène, Emilio Sagi
Décors, Ezio Frigerio
Costumes, Franca Squarciapino
Lumière, Eduardo Bravo
Chorégraphie, Goyo Montero

Dona Francisquita, Ruth Rosique
Aurora La Beltrana, Milagros Martin
Fernando, Ismael Jordi
Cardona, Vicenç Esteve
Dona Francisca, Trinidad Iglesias
Don Matias, Luis Alvarez
Lorenzo Pérez, Armando Noguera
El Lanador, El Sereno, Philippe Talbot

Ballet Zarzuela
Soliste, Primitivo Daza

Chœur du Capitole
Direction, Pierre Marie Aubert

Orchestre National du Capitole
Direction musicale, Miquel Ortega

Toulouse, le 27 juin 2007

Chaque âge a ses plaisirs


En proposant aux Toulousains une zarzuela, le Théâtre du Capitole enrichit le panorama de ses productions en touchant à coup sûr la population d’une ville où vivent encore les descendants des nombreux Espagnols qui, des décennies durant, y ont trouvé un havre à leurs difficultés économiques ou politiques.

Qu’est-ce qu’une zarzuela ? Proche de l’opéra-comique français par l’alternance du chant et des dialogues, elle se caractérise surtout par son « hispanité » profonde. Si les thèmes dramatiques rejoignent souvent l’universel – ici, l’aveuglement des hommes sur leurs sentiments, la lubricité latente chez les humains d’âge mûr, sexes confondus, la rouerie que l’amour prête aux ingénues – le traitement est celui d’une peinture de mœurs de par la présence de personnages représentatifs de la société espagnole ou issus de sa littérature. La partition emprunte à des thèmes de la musique populaire et à des instruments du folklore. L’écriture vocale est notablement moins exigeante que celle de l’opéra.

Parmi le vaste répertoire existant – le genre naît au XVII° siècle- le choix s’est porté sur une œuvre créée en 1923 à Madrid qui appartient au « grand genre » selon la distinction qui s’établit entre « oeuvrettes » en un acte et œuvres en au moins deux actes. Le livret est inspiré d’une comédie de Lope de Vega, le rival de Calderon au siècle d’Or, dont on pourrait traduire le titre par La rusée amoureuse. La jeune Francisquita, fille d’une veuve prénommée Francisca, est éprise d’un étudiant qui brûle pour une actrice à la mode. L’ingénue, à force de manœuvres, se jouera des obstacles constitués par le père du jeune homme, qui la convoite pour son propre compte, par sa propre mère, que le charme du jeune mâle émoustille, et finira par conquérir le galant.

On le voit, la trame est mince et plus de quatre siècles après la création de la comédie elle a perdu toute originalité. C’est l’ancrage dans la réalité espagnole et plus précisément madrilène qui lui donne une saveur et un charme indéniables. Les trois lieux qui servent de cadre aux actes sont le théâtre d’une vie quotidienne saisie dans son immédiateté. De la place à arcades du début qui évoque la Plaza Mayor, en passant par l’esplanade dominant ce qui pourrait être le canal de la Casa de Campo jusqu’à la salle de bal de la rue Cuchilleros au dernier acte, le petit peuple de la rue anime le décor de l’intrigue. Le raccommodeur de faïences, la mercière ambulante, les vendeuses d’oranges et d’eau, les gardes civils, les ouvriers, les bigotes, le groupe d’étudiants, le torero, le veilleur de nuit viennent en droite ligne de leur terreau natal.


© Patrice Nin

Le metteur en scène, Emilio Sagi, a longtemps dirigé le Teatro de la Zarzuela de Madrid, temple du genre. Interprétant les didascalies sans trahir l’esprit de l’œuvre, il livre un condensé de culture espagnole susceptible de séduire les profanes et de satisfaire les initiés. Situant l’action à l’époque de la Restauration intervenue en Espagne après l’échec de la conquête napoléonienne, il obtient d’Ezio Frigerio des décors qui suggèrent très fortement les réalités madrilènes précédemment mentionnées. Autour des personnages principaux et des comparses, Sagi fait circuler au deuxième acte le défilé burlesque de l’Enterrement de la Sardine, sujet d’une toile célèbre de Goya reproduite dans le programme (impeccable, comme à l’accoutumée). C’est donc la palette des peintures heureuses qui inspire les costumes de Francesca Squarciapino ; mais comme cette festivité est l’équivalent de notre Mardi-Gras, c’est aussi le prétexte à une galerie de costumes et de masques descendus de tableaux du même Goya et de travestis en robes à vertugadin qui sont autant de reflets aux portraits d’infante par Vélasquez. La réalisation, extrêmement soignée, est mise en valeur par des éclairages fort réussis : d’un acte à l’autre, la journée avance et l’on passe du jour à la nuit avec un deuxième acte où la lumière encore vive de l’après-midi décline jusqu’au crépuscule après un coucher de soleil spectaculaire sur lequel les ombres des participants au défilé de carnaval recréent les visions fantastiques de Goya dans ses Caprices.


© Patrice Nin

La musique de Vives alterne efflorescences dans les tableaux de rue, échanges rapides dans les dialogues et passages lyriques dans les confidences ou l’introspection. L’orchestration favorise parfois cuivres et percussions, dans le premier acte, au détriment des chanteurs ; l’introduction du troisième acte, clarinettes et cordes, est charmeuse. L’utilisation des guitares et des castagnettes ne tombe jamais dans le numéro folklorique, même pendant le ballet sur un rythme de fandango. Certaines scènes pourraient s’intituler « Les cris de Madrid » mais elles font penser au Puccini de La Bohême et non à Janequin. Le deuxième acte développe un quintette ; quant aux premier et troisième, ils finissent par des ensembles brillants.


Ismael Jordi : Fernando / Ruth Rosique : Doña Francisquita
Trinidad Iglesias : Doña Francisca
© Patrice Nin

Les trois rôles principaux – Francisquita, Fernando et Aurora – dévolus à un soprano lyrique, un ténor et un mezzo-soprano, n’exigent pas des chanteurs d’exceptionnelles prouesses mais une bonne musicalité et des qualités de comédiens. Milagro Martins est une séduisante Beltrana au medium un peu faible et qui tend à abuser des graves poitrinés, peut-être selon une tradition inhérente au genre. Ismael Jordi, que l’on retrouve à Toulouse après Gianni Schicchi, a le physique de Fernando ; et si au premier acte le registre aigu nasille parfois, la suite se déroule sans peine et convainc. La Francisquita de Ruth Rosique n’appelle que des éloges : voix fraîche et saine sans la moindre trace d’effort, comportement scénique et présence des plus gracieux. En père noble chatouillé par le démon de midi, Luis Alvarez a de la tenue mais la voix semble un peu fatiguée. Trinidad Iglesias s’empare dès son entrée du personnage burlesque de cette veuve soucieuse de respectabilité mais encore inflammable ; la composition est très réussie. Vicenç Esteve est parfait en Cardona, le clairvoyant compagnon dont l’amitié pour Fernando le poussera jusqu’à jouer les travestis, ce qui ne sera pas sans risques. Armando Noguera, en amant jaloux d’Aurora, et Philippe Talbot en raccommodeur et en veilleur de nuit, sont remarquables eux aussi dans leurs seconds rôles, comme tous celles et ceux qui interviennent le temps de quelques mesures. Le chœur du Capitole n’est pas en reste, nonobstant quelques décalages avec la fosse.

Dernier atout du spectacle, la présence de six danseuses et d’un soliste venus d’Espagne pour le fandango ; le public attentif à découvrir une œuvre pratiquement inconnue et donc plutôt réservé jusque là a obtenu le bis de ce numéro accessible sans surtitrage. La grâce des danseuses et la parfaite synchronisation ont sans doute compté pour beaucoup dans l’enthousiasme, outre la vivacité d’une musique rythmée aux castagnettes. Mais des commentaires recueillis à chaud à l’issue de la représentation, il ressort nettement que le magnétisme du danseur, Primitivo Daza, a remué profondément plus d’une spectatrice !

Après un premier acte où l’orchestre sonne parfois un peu fort pour certains chanteurs, Miquel Ortega, qui dirige cette musique en familier, obtient de l’orchestre du Capitole l’alliance de rondeur sensuelle et de légèreté qui en fait le charme. Le public l’acclame au rideau final, ainsi que le couple Francisquita-Fernando, et salue d’applaudissements interminables tout le plateau. Parions qu’à Toulouse, où l’Espagne « pousse un peu sa corne », on reverra des zarzuelas.

Maurice SALLES

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