C O N C E R T S 
 
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BERLIN
04/11/04

Anna Shafajinskaia
Amilcare Ponchielli

LA GIOCONDA

opéra en 4 actes
 livret d'Arrigo Boito
musique d'Amilcare Ponchielli
 
direction musicale : Paolo Olmi
mise en scène et costumes : Filippo Sanjust

décors d'après les documents d'époque
chef de choeur : Hellwart Matthiesen
chorégraphie : Gudrun Leben
 
La Gioconda : Anna Shafajinskaia
La Cieca : Claire Powell
Laura : Michaela Schuster
Alvise : Arutjun Kotchinian
Enzo Grimaldo : Walter Fraccaro
Barnabà : Alberto Mastromarino
Un marin : Josef Becker
Un chanteur : Bernd Valentin
Isèpo : Jörg Schörner
1er et 2e gondolier : Volker Horn, Klaus Lang
 
Solistes du Staatsballet :
Corinne Verdeil, Alexej Dubinin, Martin Szymanski
Corps de ballet, choeur et orchestre
du Deutsche Oper de Berlin
 
Berlin, 4 novembre 2004



Aimez-vous les mélos ? La Gioconda ne se limite pas à la danse des heures, même immortalisée et parodiée dans Fantasia. C'est un sombre mélodrame que Victor Hugo a troussé avec tous les excès du drame romantique : il est à prendre, avec les conventions du genre, ou à laisser. Certains critiques feront la fine bouche, se pinceront le nez et parleront de musique et d'effets faciles. Nous ne bouderons pas notre plaisir, car depuis combien de temps La Gioconda n'a-t-elle pas été donnée à Paris ? Il faut en revanche oublier les interprétations légendaires des Callas, Cerquetti, Scotto, Corelli, Simionato, Gavazzeni et autre Siepi de l'âge d'or, sous peine d'être cruellement déçu.

La production du Deutsche Oper a trente ans et reconstitue des décors contemporains de Ponchielli. Pas de vaisseau spatial ou de métro, mais une Venise de carton on ne peut plus fidèle au livret. Cela tombe parfois dans le kitsch avec le vaisseau d'Enzo au deuxième acte qui fait vraiment bateau de bande dessinée alla Peter Pan. En revanche, au troisième acte, pour le palais d'Alvise, les éclairages rasants donnent une idée des couleurs que devaient voir les spectateurs du XIXe siècle.

Paolo Olmi n'a peut-être pas pu bénéficier d'un nombre suffisant de répétitions avec un orchestre qui joue presque tous les soirs des oeuvres différentes. A plusieurs reprises, la fosse est en avance ou en retard par rapport à la scène, obligeant le chef à multiplier les moulinets. Par moments, ses tempi sont trop lents et les enchaînements entre les différentes scènes manquent de vivacité.

Sur scène, Barnaba est un vrai méchant de mélodrame, odieux jusqu'au bout. Il est chanté par un Alberto Mastromarino juste correct. Son air du premier acte (une sorte de "credo" façon Iago) ainsi que celui du deuxième, n'ont pas le panache requis et les aigus restent dans la gorge. J'avoue ne pas aimer le timbre de Walter Fraccaro qui interprète Enzo. La voix n'est pas très puissante et reste pourtant avare de nuances. Son "Cielo e mar" du deuxième acte manque de poésie, le frisson n'est pas au rendez-vous. L'Alvise d'Arutjun Kotchinian, quant à lui, est un peu emprunté et statique sur le plan du jeu, mais il exécute proprement son air du troisième acte. 

Sa partenaire, Michaela Schuster, remplaçant Mihoko Fujimara, souffrante, on peut comprendre que le duo du troisième acte ne fasse pas les étincelles souhaitées. Ce remplacement l'a sans doute empêchée d'interpréter avec plus d'intensité et de justesse son personnage. Toutefois, la voix possède l'ambitus du rôle et elle se tire avec les honneurs de son duo avec Gioconda.

Claire Powell a gardé une voix riche et de bons graves pour des rôles comme la Cieca.
Anna Shafajinskaia est une Gioconda toutes griffes dehors, forçant ses aigus, poitrinant les graves. A ce régime, la voix risque de se détériorer prématurément. Les signes de fatigue ne trompent d'ailleurs pas. Au dernier acte, la soprano sabote ses deux contre-ut dans le trio avec Enzo et Laura, effleurant à peine le premier et criant le deuxième, après avoir respiré au milieu du mot "addio". L'actrice joue pourtant avec conviction, mais on aimerait entendre davantage de demi-teintes, de variation dans les couleurs. Les rôles secondaires sont bien tenus et la prestation du corps de ballet au premier puis au troisième acte se révèle pleine d'attraits.

La soirée se voit malheureusement ralentie par trois entractes d'une demi-heure chacun ! Une heure trente sans musique ni théâtre ! La continuité de l'intrigue en est sérieusement affectée... On croyait avoir supporté le pire la veille, au Komische Oper, avec deux longs entractes au milieu d'Alcina (en allemand). A ce compte, les spectateurs peuvent déguster, pendant les pauses, entrée, plat et dessert ! Il n'est pas étonnant de voir partir des spectateurs à chaque interruption. Notons enfin que ces deux théâtres sont loin de faire salle comble : désintérêt pour ces oeuvres, simple hasard du calendrier ou offre trop abondante dans une capitale qui maintient ces trois maisons d'opéras de front ?
Aimez-vous les mélos ? Oui. Interminables? Non...
 
 
 

Valéry FLEURQUIN
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