C O N C E R T S 
 
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NANCY
05/07/05

Un moment de répétition de Un Giorno di regno à l'Opéra de Nancy et de Lorraine 
De gauche à droite : G. Casciarri, G. Piunti, E. Zhidkova ;
le Maestro G. Carella ; C. Lepore, F. Ferrari, B. De Simone
L'Orchestre Symphonique et Lyrique de Nancy
et les Choeurs de l'Opéra de Nancy.
 © Ville de Nancy
Giuseppe VERDI (1813-1901)

Un Giorno di regno

ou quand Il Finto Stanislao rencontre il vero Stanislao

"Melodramma giocoso" en deux actes et six tableaux de Felice Romani,
tiré de la pièce d'Alexandre Duval Le Faux Stanislas (1808)
pour le compositeur Adalbert Gyrowetz (1763-1850)
et créé en 1818 sous le titre Il Finto Stanislao.
Remanié pour Giuseppe Verdi et créé sous le titre Un Giorno di regno,
au Teatro alla Scala de Milan, le 5 septembre 1840
 

Il Cavaliere di Belfiore,
sous l'identité du roi Stanislao di Polonia : Franck Ferrari
Il Barone di Kelbar : Bruno De Simone
La Marchesa del Poggio,
jeune veuve, nièce du baron, éprise de Belfiore : Elena Zhidkova
Giulietta di Kelbar,
fille du baron, éprise d'Edoardo : Giuseppina Piunti
Il Signor La Rocca,
Trésorier des Etats de Bretagne : Carlo Lepore
Edoardo di Sanval, jeune officier : Giorgio Casciarri
Delmonte, écuyer du faux Stanislas : Pascal Desaux
Il Conte Ivrea, Commandant de la ville de Brest : Pierre Espiaut

Choeurs de l'Opéra de Nancy, chef des choeurs : Merion Powell
Orchestre Symphonique et Lyrique de Nancy
Direction musicale : Giuliano Carella

Opéra de Nancy et de Lorraine, Mardi 5 juillet 2005
(Représentation en concert)

L'antique capitale de Lorraine voit son dernier duc se retirer en Toscane, le roi de France Louix XV pense alors à son beau-père Stanislas Leszczynski chassé du trône de Pologne et languissant sous les moustiques des pièces d'eau du château de Chambord. Le souverain polonais occupera le trône vacant des ducs de Lorraine, et à la mort de ce dernier, le duché sera rattaché à la France... belle opération pour le roi. Mais en attendant, le souverain polonais trouve le palais ducal de Nancy trop sombre et encaissé et préfère s'en faire construire un autre, sur une place magnifique à l'équilibre parfait... heureusement pour la Ville de Nancy qui reçut ainsi ses plus beaux monuments. Dominant déjà les lieux, pour ainsi dire, la statue de l'illustre gendre Louis XV trône au milieu de la bien dénommée Place Royale. La Révolution faisant canon de tout bronze laisse le majestueux piédestal dépouillé et bien plus tard, on réalisera à la hâte une statue de Stanislas et on renommera la place en son honneur. En 2005, la Ville de Nancy, désireuse de fêter dignement le deux cent cinquantième anniversaire de cette somptueuse place inscrite au patrimoine mondial de l'Unesco, décide de monter l'unique opéra connu aujourd'hui parlant de son dernier duc de Lorraine.

L'Opéra de Nancy, somptueux joyau alliant joliment rococo et Art nouveau, ayant le bonheur d'être situé sur cette place-même, on réalisait avec stupeur, lors de l'entracte, que par les portes-fenêtres ouvertes du vaste foyer, on pouvait apercevoir le véritable Stanislas, tout en venant de quitter le Finto Stanislao !

Un Giorno di regno n'avait probablement plus été donné en France depuis la reprise (ou peut-être la création ?), à Marseille, au mois de juillet 1985.

On a longtemps imputé l'échec initial de l'oeuvre aux circonstances pénibles de la vie de Verdi, connaissant au moment de la composition sa plus tragique période. Il semblerait plutôt, à la lumière de chroniques de l'époque, qu'une exécution globalement mauvaise soit responsable, car lorsqu'on l'écoute sans à-priori, la musique de Verdi ne pouvait que plaire au public. Certes, l'opéra-bouffe connaissait ses derniers feux mais Verdi se coulait dans le moule tout en ajoutant sa touche personnelle. Un brio, des manières de faire à la Rossini, une chaleureuse tendresse donizettienne, mais déjà toute la flamme et l'élan verdien et même certains "tics" ou façons de faire bien à lui : ces petits "retours d'accords orchestraux" au détour d'un air, ces péremptoires annonces de thèmes de cabalettes, cette fougue n'appartenant qu'à lui...

Dès l'attaque de l'ouverture, on est pris dans un tourbillon voulu par le Maestro Carella qui coupe presque le souffle aux chanteurs et en tous cas au public, dont les nombreux rappels signalèrent l'enthousiasme. D'emblée on est saisi par l'autorité du timbre grave et sonnant de Franck Ferrari, basse-baryton, donnant la mesure de son état de roi de Pologne mais aussi des craintes et des doutes du Cavaliere di Belfiore, devant cacher ses sentiments au risque de voir s'éloigner celle qu'il aime.

Tout aussi bien installé dans son rôle, Carlo Lepore, de sa voix agile de basse bouffe, campe un habile Trésorier des États de Bretagne et porte bien son nom signifiant "lièvre" en italien, car il sait biaiser pour aller vers son intérêt... ou éluder le duel que veut lui infliger le baron, outragé de voir sa fille repoussée. Ce dernier est l'efficace Bruno De Simone, au timbre de baryton un peu plus clair, diversifiant ainsi à merveille ce trio de voix masculines graves, assemblé par l'Opéra de Nancy avec beaucoup de pertinence.

Elena Zhidkova impressionne dès son entrée, par sa voix cuivrée et puissante emplissant l'espace de la salle de l'Opéra ! Elle sait rendre les sentiments contrastés de la marquise Del Poggio, tout en assumant les difficultés de la ligne vocale, non ménagée par Verdi qui hérite ainsi du soprano donizettien drammatico di agilità, c'est-à-dire à la puissante et donc dramatique projection, mais capable d'exécuter les ornementations.

Giuseppina Piunti, en timide Giulietta di Kelbar, ne le cède pas en agilité à la marquise et lorsqu'elle doit s'affirmer, comme dans la sympathique cabalette "Non vo' quel vecchio : je ne veux pas de ce ìvieuxî", son timbre clair se plie également aux difficiles vocalises émises plus en force.
Le ténor Giorgio Casciarri, remplaçant au pied levé Carlo Ventre, nous avait déjà impressionné dans l'émission télévisée Prima della prima que consacre la RAI à la production d'un opéra par un théâtre d'Italie. Emission sans rémission, si l'on peut dire, car confrontant sans pitié, dans le cas d'une distribution alternative, deux interprètes pour le même air. Et dans cette Fille du régiment palermitaine, Giorgio Casciarri alternait sans pâlir avec rien moins que Rockwell Blake ! Son Edoardo di Sanval surprend par sa force et confère au personnage la chaleur et la tendresse qui doivent l'animer. Si l'interprète connut quelques difficultés avec la justesse dans sa cavatine, il se reprit avec l'ineffable cabalette donizettienne qui suit, la couronnant dëun aigu qui coupa le souffle à toute la salle.

Il faudrait ajouter un personnage de plus à ces six solistes valeureux, et qui plus est se trouvait au milieu d'eux en cette représentation de concert : le Maestro Giuliano Carella, noble défenseur de l'opéra romantique italien, n'épargnant aucun geste, aucune indication, pour faire vibrer comme personne, un Orchestre Symphonique et Lyrique de Nancy, aux cordes incivives au possible, et aux cuivres tellement... cuivrés (!), avantage si cher au coeur de Verdi, trouvant que le son cuivré des instruments italiens était inégalé. Ainsi rutilant et galvanisé, l'Orchestre volait un peu la vedette aux corrects Choeurs de l'Opéra de Nancy, un peu à l'écart au fond de la scène et pourtant valeureux au point d'animer les Chorégies d'Orange !

Les rôles en retrait de l'écuyer du faux Stanislas et du Commandant de Brest sont bien tenus, respectivement par Pascal Desaux et Pierre Espiaut.

La présentation en concert ne nuisait pas à la perception de l'oeuvre (la préservant plutôt d'éventuelles malversations de mise en scène, chuchotait-on durant l'entracte), d'autant que les surtitres étaient non seulement nombreux mais reproposés selon les répétitions du texte chanté, ce qui n'est pas toujours le cas. Le métier et le bon goût des interprètes sut agréablement ajouter mimiques et attitudes bienvenues et gentiment complices avec le public, sans oublier quelques accessoires inattendus mais sympathiques, comme ces contrats de mariages ou lettres roulés et fermés par un ruban à la façon XVIIIe.

Un hommage insolite d'une Ville à son historique bienfaiteur, et donc à elle-même, et une fort belle et souriante conclusion de saison lyrique.

Yonel Buldrini

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