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PARIS
09/12/05

© M.N Robert
Modeste MOUSSORGSKI (1839-1881)

BORIS GODOUNOV

Première version en 7 tableaux (1868-1869)
Livret du compositeur d'après la pièce de Pouchkine

Mise en scène : Victor Kramer
Décors : Georges Tsypin
Costumes : Tatiana Noginova
Lumières : Gleb Filshtinski

Boris Godounov : Evgueny Nikitin
Feodor : Maria Matveyeva
Xenia : Irina Mataeva
La Nourrice : Olga Markova-Mikahaïlenko
Le Prince Chouïski : Alexeï Steblianko
Andreï Tchelkalof : Vassili Gerello
Pimène : Vladimir Vaneev
Grigori (alias le faux Dimitri) : Oleg Balachov
Varlaam : Vladimir Ognovenko
Missail : Nikolaï Gassiev
L'Aubergiste : Olga Savova
L'Innocent : Evgueny Akimov

Orchestre et Choeur du Théâtre Mariinski de Saint-Pétersbourg
Valery Gergiev

Paris, Théâtre du Châtelet, 9 décembre 2005

Lire aussi le point de vue de Placido Carerrotti

Plus que brillant : rutilant...

Sous la conduite vorace de Valery Gergiev, son directeur général et artistique, le Mariinski termine sur les rotules ses exécutions d'oeuvres russes dans la capitale française. Et, il n'aura pas quitté Paris sans avoir montré en prime - avec un résultat peu convaincant - ce qu'il sait faire là où on l'attendait au tournant : Le Voyage à Reims de Rossini ! 

Refusé par le comité de lecture des théâtres impériaux, ce Boris Godounov, première version, ne fut jamais donné du vivant du compositeur. L'action est centrée sur le drame intérieur d'un Boris hanté par le souvenir du meurtre du Tsarévitch, mal à l'aise sur son trône usurpé ; les sept tableaux s'enchaînent sans entracte en seulement deux heures et quinze minutes.

Du point de vue dramatique, les différences avec la version de 1872 résident en l'absence des passages ajoutés plus tard par Moussorgski pour mieux satisfaire les critères des théâtres de l'époque. Ici, pas d'épisode du carillon, pas de scène du perroquet, pas de petits jeux avec la nourrice, pas d'excommunication de Grigori... Et manquent, surtout, le grand acte polonais et les scènes de foules les plus spectaculaires. L'opéra se termine par la mort de Boris, sans la scène de la Forêt de Kromy, sans la grande révolte du peuple et sans les prophéties de l'Innocent. Les dissemblances musicales sont également nombreuses. Elles comprennent de subtiles modifications instrumentales et mélodiques - ardues à identifier durant la représentation. On a l'impression d'entendre une autre oeuvre : nettement plus épurée et intériorisée. 

Dans cette proposition du Mariinski, la seule infidélité à la version d'origine sera l'importation anticipée de la "chanson du canard" de l'aubergiste - un moment de détente fort apprécié du public, mais appartenant à la partition de 1872.

Créée à la Scala de Milan, donnée notamment à Baden Baden et à Covent Garden, cette production 2002 de Viktor Kramer - également metteur en scène de théâtre et de grandes manifestations commémoratives russes - se déploie joyeusement, et sans complexe. Chaque scène est allègrement traitée dans un assemblage hétéroclite d'imagerie russe stylisée et d'accessoires surdimensionnés, relevant d'une esthétique proche des atmosphères futuristes, mêlant fantasmagorie et goût douteux, efficacité et prosaïsme. Les matières plastiques utilisées pour les décors et surajoutées par endroits sur les vilains costumes autorisent des surgissements d'effets de lumière violents, plus ou moins bien venus. Si on accepte ce fantastique rétro premier degré, citons parmi les réussites : les coupoles en plastique, les mises en cage, les silhouettes impressionnantes des Boyards, la monstrueuse araignée articulée qui descend du plafond. Selon ces codes naïvement débridés, on verra défiler le couvent de Novodiévitchi, la place des cathédrales au Kremlin, la cellule de moine, l'auberge, les appartements du tsar, la cathédrale Saint-Basile et, enfin, la douma des Boyards. Plusieurs épisodes, comme les scènes de foule (en cordée, entassée sous des spots de cinéma ridicules), et celle du couvent et celle de l'auberge, sont bien peu convaincants. Alors que d'autres comme les hallucinations et la mort de Boris ont une belle intensité dramatique.


© M.N Robert

La direction de Gergiev laisse parfois pantois. Au début, avec le premier choeur peu en mesure, l'orchestre semble peiner à prendre ses marques. Mais, très vite, sous la conduite ardente du chef russe - même si elle semble, à certains moments, un peu désordonnée - cordes, cuivres, percussions, tous les pupitres répondent présents pour nous livrer la musique de Moussorgski dans ses moindres détails et toute sa richesse symphonique. Dans les passages où il y a peu d'instruments, chacun se détache et sonne de manière très précise pour faire entendre une voix qui répond, s'oppose ou se superpose à celles des chanteurs.

Quoi qu'il en soit, on est frappé par l'unité de style et la maîtrise technique de ces artistes lyriques formés à l'école russe. Tous tiennent correctement leur partie. Certains sont excellents. Dans le rôle-titre, le baryton Evgueny Nikitin possède une voix bien timbrée et chaleureuse. Il apporte au personnage de Boris une jeunesse qui lui confère une certaine fragilité, le rendant en fin de compte plus touchant, plus humain que d'habitude. Vladimir Ognovenko (un Varlaam déjà entendu à l'ONP en 2002) est toujours aussi à l'aise dans ce rôle qui paye. En Prince Chouïski, Alexeï Steblianko fait bon usage de son timbre sombre, à la limite du déplaisant, mais qui rend parfaitement le machiavélisme du personnage. Vladimir Vaneev nous donne un magnifique Pimène, aussi bien sur le plan vocal que dramatique. Parmi les autres chanteurs qu'on aimerait réentendre, mentionnons : Irina Mataeva (Xenia) et Evgueny Akimov (l'Innocent).

Toutefois, ce qu'il faut saluer, incontestablement, c'est la véritable complicité de tous ces artistes du Mariinski - du chef d'orchestre aux plus modestes participants. Karacho !
 
 

Brigitte CORMIER
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