C O N C E R T S
 
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LONDRES
24/11/2006
  
© © English National Opera / Tristram Kenton

Sir W. S. Gilbert (1836-1911)
et Sir A. S. Sullivan (1842-1900)


The Gondoliers

or The King of Barataria

Mise en scène : Martin Duncan
Décors et costumes : Ashley Martin-Davis
 Chorégraphie : Jonathan Lunn

Le duc de Plaza-Toro : Geoffrey Dolton
La duchesse de Plaza-Toro : Ann Murray
Marco Palmieri : David Curry
Giuseppe Palmieri : Toby Stafford-Allen
Gianetta : Sarah Tynan
Tessa : Stephanie Marshall
Casilda : Rebecca Bottone
Don Alhambra Del Bolero : Donald Maxwell
Luiz : Robert Murray
Inez : Deborah Davidson

Orchestre et chœurs de l’English National Opera
Chef des chœurs : Edouard Rasquin
Direction : Richard Balcombe

Le Trouvère chez les Marx Brothers


Les œuvres de Gilbert et Sullivan, hyper protégées par l’exclusivité accordée à la troupe de R. D’Oyly Carte, n’ont que rarement passé les frontières, et sont demeurées à l’instar du bœuf bouilli à la menthe une spécialité anglo-saxonne appréciée tout particulièrement en Angleterre, au Canada, aux USA et en Australie. Depuis quelques années, Le Mikado a fait une timide apparition sur les scènes françaises, et deux versions filmées des Pirates de Penzance ont été projetées, l’une (anglaise) au Louvre, l’autre (australienne) au musée de la Marine. Alors qu’au théâtre du Savoy on continue à respecter la tradition, des relookages des œuvres ont fait leur apparition à la fin des années 1970. L’ENO a participé activement à ce renouveau en présentant régulièrement ses propres relectures de G&S, avec notamment une délirante Princess Ida. Aujourd’hui, il s’attaque aux Gondoliers, douzième œuvre et dernier triomphe des deux compères (1889).

Le synopsis est assez conventionnel et compliqué, mais pas plus inepte que celui du Trouvère, et prétexte comme toujours chez G&S à des jeux de mots intraduisibles et à une musique toujours aussi humoristique et divertissante, mêlant des réminiscences de Mozart, Rossini, Bellini et Bizet à l’habituel pastiche de Haendel.

Deux jeunes gondoliers, Marco et Giuseppe, sont si séduisants que toutes les filles du coin leur courent après. N’arrivant pas à choisir, ils laissent le sort décider à leur place, et se marient. Arrivent le duc et la duchesse de Plaza-Toro, leur intendant Luiz et leur fille Casilda qui, toute enfant, avait été mariée à l’infant du royaume de Barataria. Mais ce dernier a été enlevé, et on ignore où il est. Casilda apprend qu’elle est donc, depuis la mort du roi, reine virtuelle de Barataria ; cela la désespère d’autant plus que Luiz et elle sont amoureux l’un de l’autre. Le grand inquisiteur du royaume de Barataria, Don Alhambra Del Bolero, révèle alors que c’est lui qui a placé l’infant dans une famille de gondoliers qui avaient un fils du même âge (vous voyez où je veux en venir) : les deux enfants se sont trouvé confondus au fil du temps, et on ne sait plus qui est qui. La seule qui puisse démêler l’écheveau est la nourrice, Inez, que l’on envoie chercher (et qui mettra toute la durée de l’œuvre pour arriver). En attendant que l’on désigne le vrai, nos deux gondoliers se retrouvent rois pas intérim. Ils doivent rejoindre leur royaume, mais si on leur permet d’emmener leurs copains gondoliers, ils doivent laisser leurs épouses qui les voient partir avec désespoir.

Trois mois plus tard, au palais de Barataria, on retrouve nos deux compères qui, en bons républicains, ont entrepris de réorganiser le royaume sur des principes égalitaires. Les résultats sont surprenants, car maintenant le seul moyen qu’ils ont d’obtenir quelque chose est de le faire eux-mêmes. Leurs femmes les rejoignent et un grand banquet avec bal est organisé en leur honneur. Le grand inquisiteur leur apprend alors que l’un des deux est bigame ! (vous suivez toujours ?). Casilda arrive avec ses parents, et découvre la situation… Fort heureusement, Inez arrive enfin et va tout résoudre en dévoilant un échange d’enfant, que le programme ne révèle pas et que vous laisse donc imaginer (retour au Trouvère). Mais ici, pas de bûcher, et tout se termine à la satisfaction de chacun.


Stephanie Marshall, Toby Stafford-Allen, Sarah Tynan et David Curry
© English National Opera / Tristram Kenton


Pardon pour ce long préambule, mais peu de lecteurs connaissent ce scénario qu’il est pourtant indispensable d’appréhender pour comprendre les volontés de G&S, d’autant que c’est sur leurs idées que se fonde le travail du metteur en scène et du décorateur. On voit bien en effet tous les domaines concernés, et combien G&S avaient pour but de se moquer de la société de leur temps et la cour de la reine Victoria, comme Offenbach l’avait fait pour celle de Napoléon III dans La Grande Duchesse de Gerolstein et dans Les Brigands. On est d’autant plus surpris d’apprendre que Victoria demanda en 1891 une représentation privée à Windsor et y prit grand plaisir.

Dans la nouvelle production de l’ENO, les costumes Louis XV et les perruques poudrées de la création sont réduits à leur plus simple expression. Tout à fait dans la veine d’un Laurent Pelly, Martin Duncan et Ashley Martin-Davis se sont déchaînés. Les décors, déstructurés (entre Le Cabinet du Docteur Caligari et La Maison du Docteur Edwardes) nous entraînent dans une Venise de cauchemar plus que de rêve, avec de tout petits canaux, ponts et gondoles, qui se poursuivent verticalement de chaque côté de la scène, puis dans un royaume d’opérette tout à fait offenbachien. Mais tout cela est transposé dans les années 50, et les juxtapositions de couleurs vives comme seuls les Anglais peuvent en oser, donne à l’ensemble un air pimpant tout à fait irrésistible. A l’image des jeunes femmes poursuivant les deux charmants gondoliers de leurs assiduités (et qui font notamment penser aux Fiancées en folie de Buster Keaton), l’ensemble de la troupe, endiablée, s’en donne à cœur joie sans que jamais les limites soient dépassées.


Ann Murray et Geoffrey Dolton
© English National Opera / Tristram Kenton


Les solistes sont, comme toujours à l’ENO, d’excellent niveau. Menés tambour battant par Richard Balcombe, tous montrent des dons égaux pour le chant, la danse et la comédie, et assurent les dialogues parlés avec un aplomb de vieux routiers. Une mention spéciale bien sûr pour Ann Murray, qui montre ses immenses dons comiques et qui paraît énormément s’amuser d’un rôle la changeant des Jules César et autres Dorabella constituant ses emplois plus habituels. La salle rit de bon cœur, nous un tout petit peu moins car les jokes et jeux de mots de G&S ne sont pas tous faciles à saisir. D’autant que, si les parties chantées sont surtitrées en anglais, ce qui aide, on regrette que les parties parlées ne le soient pas.

Vous n’avez certainement pas besoin de ces Gondoliers si British comme prétexte pour faire un saut à Londres. Mais profitez de la reprise de mars prochain pour déguster ce délire musical et coloré à ne pas manquer.


Jean-Marcel HUMBERT
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