C O N C E R T S 
 
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LIEGE
24/09/04

Gabriele Maria Ronge - Brünnhilde
Hagen - Artur Korn
Gunther - Philippe Rouillon
Siegfried - Alan Woodrow
Gutrune - Marcela De Loa
Richard WAGNER

GÖTTERDÄMMERUNG 

Drame musical composé d'un prologue et trois actes
Texte et musique de Richard Wagner
Créé à Bayreuth le 17 août 1876

Direction musicale : Friedrich PLEYER
Mise en scène : Jean-Louis GRINDA
Décors : Eric CHEVALIER
Costumes : Christian GASC
Lumières : Roberto VENTURI

Siegfried : Alan WOODROW
Gunter : Philippe ROUILLON
Alberich : Werner VAN MECHELEN
Hagen : Arthur KORN
Brünnhilde : Gabriele Maria RONGE
Gutrune : Marcela DE LOA
Waltraute : Elzbieta ARDAM
Première Norne : Johanna DURAS
Deuxième Norne : Yvonne SCHIFFELERS
Troisième Norne : Pati HELEN-KENT
Woglinde : Anne-Catherine GILLET
Wellgunde : Christine SOLHOSSE
Flosshilde : Karine OHANYAN

Orchestre et Choeurs de l'Opéra Royal de Wallonie

Nouvelle production

(24 septembre 2004)



Pari réussi !

C'est à un pari courageux qu'avait décidé de s'atteler Jean-Louis Grinda, directeur général de l'Opéra Royal de Wallonie, en programment les quatre volets de la Tétralogie en l'espace de deux saisons et demie, car l'on sait que le Ring wagnérien représente une sorte d'Himalaya lyrique devant lequel reculent nombre de directeurs de salle, et non des moins prétentieux. De surcroît, plutôt que de s'en remettre à un metteur en scène à la mode, Monsieur Grinda avait décidé d'en assurer lui-même la présentation scénique, assumant ainsi tous les risques de l'entreprise. C'était un pari osé ; on peut aujourd'hui affirmer que c'est un pari pleinement réussi. Amateurs de mises en scène gore, passez votre chemin ! Le Ring de l'ORW ne joue pas la carte d'une relecture provocante. Ayant eu l'intelligence et la modestie de reconnaître que le meilleur metteur en scène de l'oeuvre wagnérienne était le compositeur lui-même, Jean-Louis Grinda s'est efforcé d'en expliciter le propos, de le rendre accessible à tous, sans chercher à le déformer. Il l'a fait avec un souci de cohérence qui devrait apparaître avec davantage d'évidence encore à l'occasion des deux cycles complets prévus la saison prochaine. Pour qualifier son travail, un mot me vient immédiatement à l'esprit, et l'on a de plus en plus rarement l'occasion de le prononcer sur nos scène lyriques : probité. Le respect du compositeur et de l'oeuvre se marie en effet ici à un refus de tout passéisme, ce qui permet d'offrir, même à l'amateur le moins familier de la dramaturgie wagnérienne, un accès immédiat aux messages universels que véhicule le Ring. Ceci n'aurait naturellement pas été possible sans une direction d'acteurs très précise et une caractérisation approfondie des personnages.

Quel contraste entre les deux dernières journées de la Tétralogie ! Nous en étions resté, il y a quelques mois, sur une lecture très illustrative de ce merveilleux livre d'images qu'est Siegfried, dans les ingénieux et très beaux décors d'Eric Chevalier, le nouveau directeur artistique de l'Opéra de Metz. Avec le Crépuscule, nous quittons ce monde d'imagerie naïve, de dragons somnolents et de murmures de la forêt, pour pénétrer dans l'univers sordide des Gibichungen, où il n'y a place que pour la manipulation et la trahison. Le cadre scénique s'en ressent, comme décomposé : des panneaux et des éléments mobiles, des projections vidéo, des effets de transparence évoquent un monde mouvant et fuyant. Et que dire de ces filles du Rhin déchues, reléguées au début du troisième acte dans une décharge où viennent se déverser les déchets d'une mégapole urbaine ! L'image la plus forte survient cependant au final, lorsque les humains abattent la statue monumentale de Wotan et que de jeunes enfants interrogatifs viennent entourer ce symbole d'un monde révolu, sous le regard indéchiffrable d'un Alberich juché sur la plate-forme de l'orchestre et auquel il revient de conclure ce Ring qu'il avait inauguré dans l'Or du Rhin.

Une autre constante de cette Tétralogie a été la qualité de l'exécution instrumentale. Friedrich Pleyer est parvenu à tirer le meilleur parti de son orchestre, placé une nouvelle fois au fond de la scène sur une plate-forme à mi-hauteur, avec une lecture avant tout soucieuse d'équilibre. Jamais les chanteurs ne sont mis en péril dans ce Crépuscule, où le chef démêle très professionnellement l'écheveau des leitmotivs. Dans les passages symphoniques, l'orchestre s'autorise en revanche quelques envolées, comme pour la mort de Siegfried. Les choeurs font également leur apparition dans ce dernier volet, de façon enthousiaste mais parfois désordonnée.

L'une des principales difficultés rencontrées lorsque l'on monte le Ring est naturellement la distribution des rôles principaux. Celui de l'ORW a connu son lot de défaillances, ce qui, à l'occasion des précédentes journées, avait tout de même permis au public liégeois d'entendre l'actuel titulaire du rôle de Siegfried à Bayreuth (Christian Franz) ainsi que le Wotan de sa génération (l'immense James Morris). Cette fois, ce sont les deux rôles principaux qu'il a fallu tardivement redistribuer. Kurt Schreibmayer, déjà forfait pour Siegfried, avait cette fois laissé la place à Alan Woodrow. Passé un duo initial très crispé, celui-ci a démontré pourquoi il était un titulaire recherché de ce rôle : l'instrument est sain et sonore, et l'on oublie rapidement la gaucherie de l'interprète et la relative ingratitude du timbre. Une certaine usure des moyens handicape le Hagen d'Arthur Korn, auquel sa grande connaissance du rôle permet cependant de s'imposer avec une noirceur d'autant plus impressionnante qu'elle n'est jamais outrée. Le timbre très personnel de Philippe Rouillon sert parfaitement un Gunther chez lequel l'autorité illusoire de son entrée ne dissimule pas longtemps l'indécision pathologique et la plus insigne faiblesse. Werner van Mechelen, l'une des grandes satisfactions du Ring liégeois, confirme avec un Alberich inquiétant à souhait. 

Du côté féminin, on note un joli trio de filles de Rhin, mais des nornes plus irrégulières. Elzbieta Ardam, en grande forme vocale, fait honneur au récit de Waltraute, tandis que Marcela de Loa tire le meilleur parti possible de la pâle Gutrune. Mais la performance vocale la plus saillante est celle de Gabriele Maria Ronge, appelée en renfort après le forfait de Susan Owen, consécutif à la pénible prestation de celle-ci dans Siegfried. Crédible scéniquement, elle défend son rôle avec une sincérité et une énergie farouche qui emportent l'adhésion, elle possède aussi les ressources nécessaires pour aborder avec bravoure son monologue final. Certes, la voix accuse les défauts généralement inhérents à la pratique assidue des rôles les plus lourds du répertoire, en termes d'homogénéité des registres et de stabilité de l'aigu, mais cette prestation mérite incontestablement le respect.

A tous ceux qui souhaitent voir et entendre le Ring de Richard Wagner dans une présentation soignée, respectueuse mais jamais figée, je recommande chaudement le voyage en Wallonie. Deux cycles complets seront donnés en septembre et octobre 2005, avec le renfort d'une des plus prometteuses walkyries du moment, Janice Baird. Réservez dès maintenant !
 
 

Vincent DELOGE
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