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VIENNE
01/10/05
Natalie Karl - Heinz Zednik
© Volksoper Wien/Dimo Dimov
 Franz LEHAR

Der Graf von Luxembourg

Opérette en trois actes
Livret de Alfred-Maria Willner et Robert Bodanzky

René Graf : Miljenko Turk
Angelika Didier : Akiko Nakajima
Le Consul Dr Basil Basilowitsch : Heinz Zednik
Manfred Prskawetz : Eugene Amesmann
Julie Wermont : Natalie Karl
Anastasia Kokozowa : Regula Rosin
Le concierge : Gerhard Ernst

Orchestre et choeur du Volksoper Wien
Direction : Alfred Eschwé
Chef de Choeur : Michael Tomaschek

Mise en scène : Michael Schottenberg
Costumes : Erika Navas
Chorégraphie : Susa Meyer

Représentation : Première le samedi 1er octobre 2005


 
Une nouvelle production du Comte de Luxembourg faisait la rentrée du fameux Volksoper. Soir de "Première" dans ce joli théâtre, avant tout temple de l'opérette, tandis que le Staatsoper présentait à guichets fermés le Guillaume Tell de Rossini avec Iano Tamar et Thomas Hampson (fort ennuyeux et routinier spectacle m'a t-on rapporté là-bas). Créée le 12 novembre 1909 au Theater an der Wien, suivant ainsi de quatre années La veuve joyeuse, cette "opérette de salon" commence comme La Bohème de Puccini que Lehar avait vu à Vienne dans ce même théâtre en 1896. Appartement bohème dans le Paris 1900, où se croisent des artistes désargentés, on attend d'un instant à l'autre l'entrée de Mimi avec sa chandelle... mais ce sera Angelika, une meneuse de revue tout aussi timide pourtant.

L'histoire est simple : à Paris, un Consul russe, riche et marié propose à un jeune écrivain oisif et fauché, René Graf connu sous le nom "Comte de Luxembourg ", une forte somme d'argent pour faire semblant d'épouser pour 30 heures une jeune chanteuse légère, Angelika. Seule contrainte, René doit se marier sans voir, ni connaître sa promise. Vous l'aurez compris, le Consul est amoureux de la jeune artiste, et elle, rêve d'un mariage aristocratique lui assurant l'aisance financière. Tout se passe comme prévu, mais rapidement les deux jeunes gens se rencontrent sans savoir qu'ils sont "les mariés de 30 heures ", et tombent amoureux. Après quelques légères péripéties, le Consul est rattrapé par son impétueuse épouse, et les amants sont libres de s'épouser pour de vrai à condition de rendre l'argent... Comédie douce amère sans rebondissements majeurs, mais cynique à souhait, il faut aux metteurs en scène bien des idées pour donner vie et pétillement à cette intrigue tirée par les cheveux.

La musique de Lehar n'est pas non plus des plus inspirée pour une opérette et hésite entre le mélodique traditionnel façon J.Strauss et la conversation en musique. Il y a un joli thème de valse leitmotiv, mais somme toute très peu exploité. On sent l'influence de Kalman mais aussi de Puccini, influences très filtrées par Lehar, comme s'il hésitait. La musique est vraiment raffinée (trop ?) mais traitant un sujet si "léger", on comprend que cette ouvrage n'ait pas rencontré le succès permanent de La veuve joyeuse et du Pays du sourire. On trouve de vraies "scènes" de réflexion intime que Richard Strauss a su si bien mettre en musique dans Capriccio ou Rosenkavalier, mais l'opérette ne se prête guère à ce genre de traitement. F. Lehar aurait peut-être dû s'essayer à l'opéra...

Cette impression de faiblesse de l'oeuvre est peut-être due aux interprètes, corrects mais sans charismes à deux exceptions près. Deux exceptions qui ont pour nom Heinz Zednik et Regula Rosin, le Consul et son épouse. On a en mémoire Zednik dans le Ring de Boulez/Chéreau à Bayreuth il y a déjà trente ans, où il interprétait Mime et Loge. Si la voix n'est plus là, la présence reste intacte. Très à l'aise (excellent danseur), drôle sans pousser trop loin la pitrerie, il fait penser à Allan Alda, l'acteur fétiche de Woody Allen. On attend ses interventions avec impatience tout le long de la soirée, car à chaque fois il repousse tous les protagonistes au second plan. Il ne doit céder le premier plan qu'à Regula Rosin, arrivant hélas en fin d'ouvrage. Sortie d'un film de Fassbinder, et rappelant Lotte Lenya ou Reese Stevens dans Lady in the dark de Kurt Weill, Regula Rosin avec une voix grave cassée, parlant plus qu'elle ne chante, et un véritable bonheur pour les amateurs de bon music-hall. Vraie bête de scène, drôle sans jamais être vulgaire, elle déclenche l'enthousiasme du public.

Les autres interprètes sont plus jeunes certes, mais sans ce don de "brûler les planches" si nécessaire à ce type d'ouvrage. Akiko Nakajima possède un très joli médium (très viennois), mais l'aigu est hélas fort laid, strident et au vibrato serré. Le jeu est sobre -trop par moment-, sa diction fort bonne, son élégance relativement convaincante, mais aucun panache n'en fait l'héroïne attendue. On pense à Anneliese Rothenberger, non sans regrets... Miljenko Turk est plus à l'aise -quoiqu'il fasse sa première apparition au Volksoper- avec une voix de baryton martin agréable et un jeu très convaincant. Sans doute meilleur que sa comparse, on sent qu'il a une habitude de ce répertoire. Son air débonnaire, un peu poupon, force la sympathie même s'il ne fera tomber aucune dame du public en pâmoison. Les deux "amis" Manfred (Eugene Amesmann), Julie (Natalie Karl), dans les rôles miroirs comiques des deux héros sont de qualité, avec mention spéciale pour Natalie Karl, assez drôle et sachant capter le public. Le reste de la distribution (fort longue) n'attire aucun commentaire, sinon le concierge sympathique de Gerhard Ernst.

Le choeur et l'orchestre sont vraiment excellents, mais le bon succès de la soirée repose en grande partie sur la mise en scène et le décor, présentés pour la première fois (il s'agit d'une nouvelle production). Pour faciliter le passage d'une scène à l'autre le décor tourne, ce qui permet un suivi quasi cinématographique de l'action. Se déroulant dans les années 40, sans le clinquant habituel de l'opérette, un vrai souci de qualité (rien de révolutionnaire) a conduit le travail de Michael Schottenberg. La rapidité du rythme de sa mise en scène compense à bien des endroits les faiblesses du livret. Ainsi la coupure opérée par M. Schottenberg au milieu du second acte pour l'entracte est assez réussie, puisqu'il reprend la seconde partie au milieu de l'action interrompue en la "rembobinant" de deux minutes. Seuls les costumes de Susa Meyer sont un peu en dessous.

En somme, une jolie représentation à laquelle il aura manqué seulement deux jeunes stars... Mais l'opérette attire t-elle encore les jeunes chanteurs doués ?
 
 

Jean VERNE
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