C O N C E R T S 
 
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BRUXELLES
(Théâtre royal de la Monnaie)

16/02/2002

 
Susan Graham
mezzo-soprano

Susan Graham
mezzo-soprano

Malcolm Martineau, piano.

Johannes Brahms : Zigeunerlieder opus 103
Claude Debussy : Proses lyriques
Alban Berg : Sieben frühe Lieder
Francis Poulenc : Quatre poèmes d'Apollinaire
André Messager : Vois-tu, je m'en veux, extrait de Les P'tites Michu ­ J'ai deux amants, extrait de L'Amour masqué
Moïses Simons : C'est ça la vie, c'est ça l'amour, extrait de Toi c'est moi


Photo - Allen Cresto 

Elle a un charme fou, c'est vrai, mais la douceur de ses traits, ses joues enfantines, sont trompeuses : franche et sans détour, Susan Graham est avant tout une femme positive, une nature énergique et déterminée. Nous avons à peine le temps de réaliser sa présence qu'elle a déjà commencé à chanter. C'est à se demander si nous l'avons vue entrer en scène et saluer ! Les Chants tziganes de Brahms ne sont pas ce qu'il a fait de mieux (les Liebeslieder sont encore loin) et elle les survole sans s'attarder (vouloir les approfondir serait périlleux) comme autant d'échauffements, à l'exception de l'avant-dernier, traversé par la grâce. Tant mieux peut-être, car nous avons loisir de nous familiariser avec cette étoffe merveilleuse qui ondoie et se love en chatoiements irisés et lubrifie nos sens. Quel organe ! On ne sait trop qu'admirer : la rondeur, le moelleux, la ductilité, n'allons pas en tout cas ergoter sur quelques aigus fragiles, revers mineur des voix intermédiaires qui auraient tort de limiter leur répertoire pour une question de tessiture. Après ces Brahms ennuyeux (cela n'engage que moi), surabondance de bien et de musique avec un Debussy rare et autrement inspiré : les "Proses lyriques" dont la partie de piano déploie une écriture dense et captivante qui en éclipserait presque le chant, d'autant que le texte de Debussy ne nous parvient que par bribes. Certes, la ligne est superbe, sensible et frémissante, mais faute de comprendre la poésie, nous devenons les complices de Malcolm Martineau qui vole la vedette au mezzo et signe d'ailleurs un grand moment de piano, éblouissant d'intelligence et de finesse. Les Quatre Poèmes d'Apollinaire souffrent moins de cette diction pâteuse que d'une surenchère expressive : la chanteuse tombe dans le piège de la composition et cabotine alors que le cycle de Poulenc exige, au contraire, la transparence, voire la neutralité. Susan Graham semble avoir plus d'affinités avec les Sieben Frühe Lieder de Berg, sobres et justes, alors que les élégantes polissonneries de Messager nous valent un séduisant bustier, mais aussi quelques poses stéréotypées. Pour peu que nous fermions les yeux, l'interprétation se révèle étonnamment convenue et impersonnelle. Comme si l'artiste n'avait pas encore fait siens ces Deux amants... En tout cas, décolletés généreux, oeillades et minauderies ne remplaceront jamais le sourire dans la voix, l'ironie d'une inflexion qui n'appartiennent qu'aux grands mélodistes. A trop rêver, me voilà perplexe. Me risquerais-je à répéter ce que je soufflais à l'oreille de ma voisine avant les bis ? Je m'attendais à une plus grande variété dans l'expression, à davantage de nuances, d'imagination. Second et coupable aveu, ce n'est vraiment que dans la tendre mélancolie de Chloris qu'elle me fait chavirer, peut-être parce que la fraîcheur candide de Reynaldo Hahn rencontre sa propre simplicité (un silence inespéré à l'heure actuelle - même les quinteux impénitents, qui parasitent tant de concerts, répriment leur toux ! - accueille cette mélodie qui est sans doute une découverte pour beaucoup). Fantoche (Debussy) met un point d'orgue malicieux à ce récital déroutant.
 
 

Bernard Schreuders
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