C O N C E R T S
 
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PARIS
19/01/2004

Antony Dean Griffey
PETER GRIMES

Opéra de Benjamin BRITTEN

Livret de Montagu Slater
d'après le poème de George Crabbe "The Borough"

Mise en scène,
Scénographie 
Et lumières : Giuseppe Frigeni
Créateur infographique : Grégory Pignot
Costumes : Amélie Hass

Anthony Dean Griffey : Peter Grimes
Brigitte Hahn : Ellen Orford
Peter Sidhom : Captain Balstrode
Claire Powell : Auntie
Carolyn Sampson : First Niece 
Valérie Condoluci : Second Niece
Ian Caley : Bob Boles
Michael Druiett : Swallow
Della Jones : Mrs. (Nabob) Sedley
Neil Jenkins : Rev. Horace Adams
Jason Howard : Ned Keene
Lynton Black : Hobson

Choeurs et Orchestre de l'Opéra de Paris

Direction : Roderick Brydon

Paris, Opéra Bastille, le 19 janvier 2004



LE PAUVRE MATELOT

Créé en avril 2001, cette production de Peter Grimes avait fait figure d'événement, notamment en raison d'une distribution assez exceptionnelle. Disons tout de suite que cette reprise, sans être vraiment indigne, n'atteint pas les mêmes sommets.
Pour qui a présent à l'esprit l'interprétation de Ben Heppner (et ne parlons même pas de Jon Vickers !), le choix d'Anthony Dean Griffey a quelque chose de déconcertant. Physiquement, l'acteur est crédible, quoique un peu monolithique ; vocalement, c'est plutôt le contraire. Griffrey use et abuse en effet de la voix mixte : pas une note à partir du haut médium qui ne soit émise en pure voix de poitrine. Dans ces conditions, au lieu du frustre pêcheur, on a plutôt l'impression d'avoir affaire à un P'tit Chanteur à la Croix de Bois qui aurait grandi trop vite !

Certes, on m'objectera fort justement que le créateur, Peter Pears, n'était pas franchement un heldentenor, mais on connaît les raisons extra-musicales du choix de Britten. En l'occurrence, le choix d'un artiste avec ce type d'émission, quelles que soient ses autres qualités, relève à mon sens de l'erreur de casting.
Il revenait à Brigitte Hahn la difficile tâche de succéder à l'émouvante et regrettée Susan Chilcott. J'ai suffisamment critiqué Brigitte Hahn lors de ses dernières apparitions (1) pour lui tirer volontiers mon chapeau devant son interprétation : une Ellen certes pleine de compassion, mais faible et dépassée par sa mission (après tout, elle n'est plus là pour la scène finale).
L'édition 2001 nous valait une Auntie de luxe en la personne de Stephanie Blythe : Claire Powell ne lui cède en rien, le personnage étant même un peu plus "anglais" que celui campé par sa devancière.
Peter Sidhom est excellent en Balstrode , capitaine qui en a vu d'autres et on retrouve avec plaisir la truculente Mrs. Sedley de Della Jones, plus à l'aise ici que dans les Nozze. 
L'ensemble de la distribution serait à citer tant chacun est à sa place : ainsi Carolyn Sampson et Valérie Condoluci, parfaites en petites grues, pour ne citer que les benjamines.

Pour cette production, Graham Vick a choisi de transposer l'action à l'époque contemporaine, plus précisément durant les années Thatcher. S'il s'agit de nous démontrer la persistance du refus de la différence dans notre société, pourquoi pas : notre époque n'a-t-elle pas inventé des termes comme "politically correct" pour classifier le conformisme qu'elle entend faire régner ?
En réalité, ce parti n'est pas heureux, ou du moins pas complètement assumé. Le choix de l'époque et du lieu ne sont pas le fait du hasard : le village décrit dans le livret est une assemblée de pêcheurs isolés qui, en cas de coup dur, ne peut compter que sur elle-même et sur la solidarité de ses membres ; par construction, cette communauté ne peut tolérer la différence d'un des siens, car celle-ci porte en elle le germe d'un individualisme qui viendrait mettre en péril cette construction sociale.

Dans ces conditions, que nous apporte cette transposition, alors que les années Thatcher sont plutôt une décennie d'individualisme triomphant ? Figurer une cité de mineurs gallois confrontée à la fermeture de son site aurait eu davantage de sens. Reste un spectacle coloré et agréable, des personnages bien campés, une direction d'acteur efficace : seul bémol, une scène orgiaque faussement provocante dont on peine à trouver la justification.

J'attendais avec beaucoup d'intérêt la présence sur le podium de Stéphane Denève : c'est Roderick Brydon qui le remplace, avec professionnalisme mais sans grand génie. On en vient parfois même à regretter le James Conlon de la création, excessivement bruyant mais plus engagé.
 
 

Placido CARREROTTI

Notes
1. Une quinzaine de Comtesse, une dizaine de Rosalinde, maintenant une demi douzaine d'Ellen Ford : plus de 20 apparitions en moins de 6 mois, il n'y a que le "prix de gros" qui puisse justifier une telle présence.
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