C O N C E R T S 
 
...
[ Sommaire de la rubrique ] [ Index par genre ]
 
......
PARIS
17/03/05
© DR
GUERRE ET PAIX

Opéra en deux parties et treize tableaux (1945)
Serguei PROKOFIEV

Livret du compositeur et de Myra Mendelssohn
d'après le roman de Léon Tolstoï

Mise en scène : Francesca Zambello
Décors : John Macfarlane
Costumes : Nicky Gillibrand
Lumières : Dominique Bruguière
Chorégraphie : Denni Sayers

Prince Andrei Bolkonski : Bo Skovhus
Natacha Rostova : Olga Guryakova 
Sonia &l'aide de camp du maréchal Murat : Larisa Kostyuk
L'hôte du bal, Lieutenant Bonnet,
L'aide de camp du général Compans : Leonid Bomstein
Un laquais & l'aide de camp du Prince Eugène : Grzegorz Staskiewicz
Maria D. Akhrossimova : Felicity Palmer
Madame Peronskaïa : Irina Bogatcheva
Comte Ilia A. Rostov & Général Bennigsen : Leonid Zimnenko
Comte Pierre Bezoukhov : Michael König
Comtesse Hélène Bezoukhova : Elena Zaremba
Anatole Kouraguine & Général Barclay de Tolly :Vsevolod Grivnov
Dolokhov & Général Ermolov : Maxim Mikhailov 
Un vieux laquais : Evgeni Polikanin
Une femme de chambre : Sofia Aksenova 
Un valet & Capitaine Rambal : Stanislav Shvets 
Princesse Maria : Susanna Poretsky
Prince Nikolai A. Bolkonski : Gleb Nikolsky
Le cocher Balaga, Tikhon Cherbaty & Matvéiev : Vladimir Matorine
La tzigane Matriocha : Irina Doljenko
Douniacha & une marchande : Olga Schalaewa
Gavrila & Jacquot : Andrey Antonov
Métivier & Général Raïevski : Andrei Baturkin
Konovitsyne & Officier russe : Mihajlo Arsenski
Un abbé français & Monsieur de Beausset : Viacheslav Voynarovskiy
Denissov : Andrey Breus
Fiodor & Ivanov : Valerij Serkin
Premier général allemand : Alexandre Ekaterininski
Second général allemand : Slawomir Szychowiak
Maréchal Mikhail Koutouzov : Vladimir Ognovenko
L'aide de camp de Koutouzov,
Une voix en coulisse & premier fou : Alexander Podbolotov
Napoléon : Vassili Gerello
Maréchal Berthier : Ilya Bannik
Général Belliard & deuxième fou : Vladimir Ognev
L'aide de camp de la suite de Napoléon : Michail Schelomianski
L'ordonnance du Prince Andrei & jeune ouvrier : David Bizic
Gérard : Ilya Levinsky
Mavra Kouzminichna : Irina Tchistjakova
Maréchal Davout : Igor Matioukhine
Platon Karataïev : Nikolai Gassiev
Officier russe : Yuri Kissin
Officier français : Vadim Artamonov

Orchestre et Choeurs de l'Opéra National de Paris
Direction: Vladimir Jurowski

Bastille, le 17/03/2005

INTIMISME ET GRAND SPECTACLE

Réussite incontestable de l'ère Gall, la production de Francesca Zambello de l'ouvrage fleuve de Serge Prokofiev nous revient pour une troisième et sans doute dernière saison. Le metteur en scène américain signe là son meilleur spectacle parisien avec son Billy Budd. Sans surprise, Francesca Zambello est tout à fait son aise dans les scènes de masse de la seconde partie, les mouvements de foule étant une de ses spécialités ; pour une fois, Bastille sort l'artillerie lourde sur le plan technique avec des planchers actionnés par des pistons hydrauliques et mouvants au gré des scènes : le résultat est indéniablement spectaculaire, efficace puisqu'il permet des changements de scène à vue, et parfois très pertinents tel la scène où la totalité du plancher s'enfonce, signifiant la défaite napoléonienne.

Plus surprenante est la réussite, tout aussi indéniable, de la première partie, Zambello se souvenant fort opportunément qu'elle fût l'assistante de Jean-Pierre Ponnelle dont on retrouve ici l'esthétique : un décor de murs coulissants blanc crème, des éclairages indirects puissants et des costumes pastels simples et beaux. Théâtralement, la direction manque parfois de subtilité, mais l'ouvrage ne s'y prête pas toujours ; réserves mineures face à un spectacle de cette qualité.

La distribution est légèrement différente de celle des deux premières éditions de l'ouvrage.

Bo Svokhus succède à Nathan Gunn dont nous avions surtout eu l'occasion d'apprécier les pectoraux lors des précédentes représentations. Le baryton suédois (qui n'est pas non plus en reste physiquement) campe un Prince Andrei nettement plus sonore que son confrère américain qui  avait du mal à passer la rampe. Il lui cède en revanche au niveau du legato, avec un phrasé souvent haché, une ligne de chant moins propre, qui a du mal à rendre justice aux mélodies un peu dissonantes de Prokofiev. L'interprétation est tout aussi exemplaire que celle de son collègue, le chanteur accentuant le côté romantique du personnage.

Nous retrouvons la Natacha d'Olga Guryakova, déjà protagoniste des deux dernières éditions. En moins de cinq ans, la voix a passablement évolué, gagnant en largeur sans altération du timbre ; on regrettera seulement que les piani soient devenus plus rares. Scéniquement, l'incarnation est toujours aussi remarquable, la chanteuse s'identifiant littéralement au rôle mais sans histrionisme.

Dans le rôle difficile de Pierre Bezoukhov, Michael König déçoit un peu après la saisissante incarnation de Robert Brubaker. La projection est nettement moins spectaculaire et la tessiture un peu trop tendue pour les moyens du ténor : au premier acte, la voix a d'ailleurs tendance à s'étrangler dans l'aigu, notamment par un recours mal maîtrisé à l'émission mixte ; un défaut moins perceptible en seconde partie. Le personnage est attachant, mais moyennement crédible en amoureux transi, compte tenu d'une certaine balourdise scénique.

On pourrait quasiment faire les mêmes reproches à l'Anatole de Vsevolod Grivnov, vocalement limité mais d'une veulerie idéale.

Felicity Palmer est un luxe en Maria Akhrossimova : elle lui apporte son expérience et construit le personnage en quelques répliques.

Signalons également l'excellent Bolkonski  de Gleb Nikolsky, ou l'incarnation subtile  d'Elena Zaremba, Hélène toute en finesse perfide.

La seconde partie nous propose des rôles théâtralement moins riches mais toujours vocalement exigeants.

Chantant plus fort que juste, Vladimir Ognovenko est toujours aussi efficace en Koutouzov, ses approximations vocales ne semblant pas gêner un public enthousiaste. Moins percutant mais plus en finesse, Vassili Gerello reprend son excellent Napoléon.

Autre second rôle digne d'éloge, l'émouvant Platon de Nikolai Gassiev.

Je me sais minoritaire en ce qui concerne la prestation de Vladimir Matorine, généralement bien apprécié en première ou seconde partie ; malgré des moyens impressionnants, je trouve son style franchement caricatural tant vocalement que scéniquement.

Les choeurs jouent un rôle primordial dans cet ouvrage ; est-ce un effet de la fatigue due à la succession d'ouvrages lourds, mais leur performance m'a semblé en deçà des éditions précédentes : les ténors sont aux abonnés absents lors de l'épigramme ; ça et là, on constate des décalages plutôt gênants... un constat d'autant plus étonnant que le choeur s'était plutôt amélioré depuis sa prise en main par Peter Burian.

A la création du spectacle, la direction de Gary Bertini, récemment disparu, ne m'avait guère enthousiasmé : manque d'inspiration et de souffle caractérisé par une battue un peu lourde, équilibre des vents mal maîtrisé avec des pistons omniprésents comme dans les pires ballets de Ludwig  Minkus...  Le changement est radical avec Vladimir Jurowski qui impose une vision mortifère de l'ouvrage, accentuant les dissonances, distordant les tempi, toujours attentif aux chanteurs et maîtrisant l'alchimie entre les différents pupitres. C'est tout simplement remarquable et on n'en regrette que davantage les nombreuses coupures (1) : avec ce chef et la première distribution, nous tenions là une référence absolue de l'ouvrage.
 
 

Placido CARREROTTI
____

Notes

1. Le "massacre à la tronçonneuse" de la partition avait valu à Bertini le surnom de "Gary Coupeur" de la part de l'orchestre. 

[ Sommaire de la Revue ] [ haut de page ]