C  R  I  T  I  Q  U  E  S

les concerts de Forum Opera


Théâtre Royal de la Monnaie - Bruxelles

L'Heure espagnole
et
L'enfant et les sortilèges

Maurice Ravel
 
 


Laure Delcampe (le feu) et Marie-Belle Sandis (l'enfant)
copyright - Johan Jacobs

(12/09/01)

direction musicale Marcello Viotti
Roland Boër (21, 23, 25 & 26-09) 
mise en scène et éclairages Philippe Sireuil 
décors Vincent Lemaire
costumes Jorge Jara
chef des choeurs Renato Balsadonna 

L'HEURE ESPANGOLE 
Concepcion Angela Maria Blasi
Torquemada Alasdair Elliott
Gonzalve Yves Saelens
Ramiro Nathan Gunn
Don Inigo Gomez Giovanni Furlanetto

L'ENFANT ET LES SORTILÈGES 
L'enfant Marie-Belle Sandis 
Sa mère Johanna Duras 
La tasse chinoise/La libellule Silvia Tro Santafé
La bergère/La chouette Sophie Karthäuser
Le feu Laure Delcampe
La princesse/Le rossignol Anne-Catherine Gillet
Un pâtre Isabelle Everarts de Velp
La chatte/L'écureuil Isabelle Cals
Une pastourelle/La chauve-souris Xenia Konsek 
Le fauteuil/Un arbre Giovanni Furlanetto
L'horloge comtoise/Le chat Didier Henry 
La théière/Le petit vieillard/Rainette Peter Bronder 
 

Orchestre Symphonique et Choeurs de la Monnaie

En incluant líHeure espagnole et líEnfant et les sortilèges de Maurice Ravel à son programme, la Monnaie a permis au public Bruxellois de découvrir deux véritables bijoux de la musique moderniste, sans doute deux des oeuvres les plus étranges du répertoire. 

Heure espagnole (1911) est avant tout un vaudeville, une histoire loufoque de femme infidèle qui planque son amant ainsi que son courtisan grabataire dans des pendules pour échapper au regard fâcheux díun brave muletier, client de son mari (horloger de son état). Líintrigue est donc fort banaleÝ: Torquémada, líhorloger, abandonne dans son magasin, Ramiro (le muletier) pour aller régler les horloges de Tolède à líheure espagnole. Conception (la femme) est relativement ennuyée de la présence de líimportun vu que díun instant à líautre va débarquer son amant, le poète-mirlitonneurÝ: Gonzalve. Celui-ci, insensible aux sueurs froides de madame, improvise quelques vers sur les thèmes qui líentourent pendant que le muletier déménage une horloge à la demande expresse de líépouse infidèle. Surgit alors Don Inigo Gomez, vieillard cacochyme, quelque peu décati, qui vient chanter son amour à líhabitante du lieu.ÝLorsque revient le muletier, Gonzalve se retrouve dans une pendule (cachette idéale dans une horlogerie, difficile de ne pas être díaccord), Don Inigo Gomez aussi finira dans une pendule et y restera coincé jusqu'à la fin, le ventre tout encombré de breloques. Le fait est quíen fin de compte Conception est lassée des complaintes niaises de son poète díamant, méprise les requêtes balourdes de la vieille noblesse et finit par trouver beaucoup de charme au muletier qui pendant toute la pièce a déménagé des horloges (bon díaccord, la pièce est courte mais cíest aussi une question de principe, níest ce pasÝ?) 

Musicalement líéquipe réunie par la Monnaie est très satisfaisante. Líorchestre díabord, mené tambour battant par Marcello Viotti, évolue ici dans son domaine de prédilection avec une partition qui part dans tous les sens, explore des couleurs chatoyantes et berce tantôt dans la frénésie, tantôt dans la poésie pure. Le plateau vocal est honnête même si certains accents ôtent parfois de sa spontanéité au livret. Rien à redire du Torquémada díAlasdair Elliott qui mis à part un léger accent assume son rôle avec beaucoup de talent, Yves Saelens frise la débauche de moyens dans le rôle de Gonzalve, Giovanni Furlanetto est comme à son habitude drôle et bien chantant surtout quíil joue avec intelligence sur son accent italien. Quant à Angela Maria Blasi, elle est une Conception nymphomane, dotée díune voix solide et presque dépourvue díaccent. Reste Nathan Gunn, le célèbre baryhunk, qui malgré un certain manque de puissance atteint le sublime dans son petit air (quel magnifique usage du faussetÝ!) 

Philippe Sireuil afflige la scène de la Monnaie díun grand mur ? imitation marbre ? incontestablement laid flanqué de cinq horloges et se concentre sur la directions díacteurs. Celle-ci est méticuleuse. 

Líenfant et les Sortilèges (1925) est une oeuvre peut-être moins intéressante que líHeure Espagnole mais son écriture orchestrale est díun tel prodige quíelle justifie à elle seule son immortalité. Autour díun livret de Colette, Maurice Ravel a tissé une partition dans laquelle le moindre son se justifie, peut-être síagit-il là du plus bel exemple du mot «ÝinspirationÝ». Quel dommage que ce conte de fées soit aussi décousuÝ: un petit garçon, dans sa chambre déchire un livre quíon líoblige à lire, sa maman en est éperdue et fait appel au chantage affectif et à la punition. Líenfant se déchaîne et déclenche la fureur des objets qu'il vient de fracasser, apparaissent tour à tour la bergère, le fauteuil, líhorloge, la tasse chinoise, la théière (relativement phallique), le feu, une princesse, líarithmétique, un chat, une chatte, un arbre, une libellule, une chauve-souris et un écureuil qui ? à travers une série de saynètes ? lui font remarquer, de manière souvent cocasse, à quel point il est méchant. Líenfant, pour finir comprendra la vilenie de ses actes et se penchera sur un écureuil blessé quíil soignera. Les sortilèges finalement le déclareront «Ýbon, sage et douxÝ». 

Si un tel livret ne permet pas une véritable cohésion dramatique telle quíon líentend habituellement, la musique de Ravel nous gratifie díespaces de pure grâce, ainsi le duo entre líenfant et la princesse, la procession des pastoureaux et le finale en canon font indéniablement partie de ce qui síest écrit de plus beau au vingtième siècle. Certaines scènes sont aussi remarquables par le côté insolite de líécriture orchestrale, la scène entre le fauteuil et la bergère soulignée par un pianoforte aux sonorités de vieille casserole en est probablement le plus bel exemple. Certaines intonations démontrent aussi que Ravel était un génial jazzman, sa musiqueÝswinge comme aucune autre. 

Véritable tour de force que cette distribution de jeunes chanteurs dominés par une Anne-Catherine Gillet (Princesse/Rossignol) étourdissante et par Marie-Belle Sandis (líenfant) dotée díune voix à la fois juvénile, androgyne et díune clarté dans líintonation que lui jalouseraient beaucoup. 

Reste la mise en scène un peu tape-à-líoeil de Philippe Sireuil qui enchantera certainement les plus jeunes. 
 
 

Hélène Mante

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