C O N C E R T S 
 
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BARCELONE
(Grand Théâtre du Liceu)

(13/01/2002)

 
Henry VIII
Opéra en 4 actes de Camille Saint-Saëns

Livret de Léonce Détroyat et Armand Silvestre
basé sur "El cisma en Inglaterra" de Pedro Calderón de la Barca. 
Créé le 5 mars 1883 à l'Opéra de Paris. 

Création au Gran Teatre del Liceu.

Direction : José Collado
Mise en scène : Pierre Jourdan
Décors : Guillermo Auger 
Costumes : Gumersindo Andrés, Jean-Yves Legavre et Juan Stoppani 
Eclairages : Tierry Alexandre 
Chorégraphie : Silvia Bazilis 

Henry VIII : Simon Estes
Catherine d'Aragon : Montserrat Caballé
Anne Boleyn : Nomeda Kazlaus
Don Gomez de Feria : Charles Workman
Le Duc de Norfolk : Hans Voschezang
Le Cardinal Campeggio : Paolo Pecchioli
Thomas Cranmer : Celestino Varela
Garter : Josep Fado
Lady Clarence : Begona Alberdi
Un huissier : Alfredo Heilbron
Un officier : Carles Prat

Principal danseur invité : Julio Bocca
Ballet Argentino : Josep Bosch, Josep Lluis Moreno, Pere Coll, Ignasi Campa

Orchestre symphonique et Choeurs du Gran Teatre del Liceu

 

CES CHERS DISPARUS !

Pour le 40ème anniversaire des débuts in loco de Montserrat Caballé, le Liceo remontait l'Henry VIII de Saint-Saëns, opéra quasiment jamais joué à l'époque moderne.

Pour l'occasion, le théâtre a fait appel à Pierre Jourdan qui a repris la mise en scène réalisée pour Compiègne en 1990, en l'adaptant avec un certain bonheur. Globalement, le dispositif scénique reste le même (des colonnes qu'on retrouve dans l'architecture du Théâtre Impérial et des stalles) ; précédemment blanchâtres, les couleurs adoptent des tons chauds, boisés, en harmonie avec des costumes classiques mais " sobres-et-de-bons-goût " . La direction d'acteur reste dans à une convention théâtrale classique. Si Jourdan n'est guère à l'aise dans les scènes de foules, on lui reconnaîtra l'exploit d'avoir réussi à faire bouger une Montserrat dont on connaît l'apathie scénique.

L'ouvrage est ici donnée dans sa version franco americano catalane : certes, on distingue de temps à autres un mot ou deux, voire une phrase, mais globalement, on ne comprend rien dès lors qu'il s'agit de l'un des interprètes principaux (de ce point de vue, les petits rôles donnent des leçons aux grands).

L'oeuvre est donné sans coupure (quand on connaît la carrière d'Henry, c'est un comble), le principal rétablissement étant celui du ballet qui clôt l'acte II. Au total, 3h07 de musique, dont 10 minutes de flonflons chorégraphiques.

D'une facture très académique, l'ouvrage de Saint-Saëns gagne à être réentendu pour en mieux en apprécier les beautés : le démarrage reste néanmoins un peu lent, avec un premier acte assez faible. Toutefois, la tension dramatique s'installe progressivement, avec une superbe scène du concile, et culmine avec l'émouvant dernier acte.

Annoncé souffrant d'une laryngite (il avait même du quitter le plateau au cours de la première représentation pour céder la place à sa doublure), Simon Estes ne convainc pas en Henry, dont il n'a ni la prestance, ni la tessiture. Même en bonne santé, le baryton basse n'avait d'ailleurs la moindre chance : le rôle d'Henry exige des ressources dans l'aigu que ne possède plus ce chanteur, déjà dépassé en Grand Prêtre face au Samson de Carreras, ici même l'année dernière. Après s'être dispensé de l'aigu conclusif de son air "Qui donc commande quand il aime" et en avoir écorché deux autres dans son duo avec Anne Boleyn (grommellements de mécontentement de la salle), Estes aborde plus sereinement la seconde partie, moins exposée il est vrai, mais reste très inférieur au Philippe Rouillon de Compiègne.

Les années passant, la technique vocale et les moyens de Charles Workman ont évolué ... en pire : le recours à la voix mixte est maintenant systématique et lorsque qu'il tente de colorer son timbre de poulet écorché en le corsant d'un peu de registre de poitrine, il se plante (nouveaux grommellements de la salle).

Bonne surprise en revanche du côté du ballet (coupé à Compiègne), dominé par l'argentin Julio Bocca, (dommage que Montserrat n'y danse pas : imaginez le grand écart !).

Dans le rôle de Boleyn, la lituanienne Nomeda Kazlaus se dépense sans ménagement, avec le raffinement d'une Cossotto de banlieue. On ne comprend toujours pas grand chose, mais ce n'est pas faute de l'entendre !

La direction de José Collado est efficace, sans beaucoup de raffinement. L'orchestre couvre malheureusement souvent les chanteurs : compte tenu de leurs difficultés, ceux-ci se seraient bien passé d'avoir à franchir cet obstacle supplémentaire !

Pour Montserrat, le choix d'une oeuvre inconnue n'est évidemment pas un hasard : l'illustre diva, désespérément en quête de rôle à la mesure de ses moyens déclinants, était ainsi moins exposée à des comparaisons peu flatteuses...

Il y a toutefois deux façon d'apprécier sa performance.

Objectivement et pour dire les choses élégamment, n'importe quelle chanteuse inconnue qui se serait présentée au public dans de telles conditions aurait été "jetée" dès la fin du premier acte. Un timbre usé, un souffle instable, un volume vocal le plus souvent inaudible, des aigus inexistants, sans parler des habituels trous de mémoire (compliments au souffleur) : c'est franchement SOS Fantômes ! Là encore, la comparaison avec Michèle Command tourne à l'avantage de la reprise de Compiègne.

Plus subjectivement, les nostalgiques se contenteront des quelques rares moments épargnés par l'outrage du temps. Un timbre toujours unique, les sons filés de la grande scène du Concile ("Endéhoi iéhou kéhiême", librement inspiré de "Rendez-moi l'époux que j'aime") et l'air final ("Ouya ouyaouyé ouyé Barnabé" librement inspiré tout simplement) nous ramènent un instant aux années enfuies, témoin d'une gloire passée. C'est pour leur avoir permis de faire revivre le souvenir de leur propre jeunesse, que ses fidèles lui diront merci.

Pas rancunier, le public (qui sait être féroce dans d'autres occasion) réserve un bon succès aux protagonistes et une ovation à sa gloire locale, qui, après tout, est ici chez elle et a bien le droit de faire ce qu'elle veut (on n'était pas obligé de venir l'entendre !).

Postface :

Le spectacle est terminé depuis près de 2 heures. Les fans attendent toujours à la sortie des artistes (viendra ? viendra pas ?)

La Diva paraît enfin, amaigrie, son visage de vieille concierge enveloppé dans un fichu de sorcière.

Coup de fil discret entre deux dédicaces : c'est l'hôpital ; hélas, l'enfant dont elle s'enquiert vient de mourir ; Caballé soupire, abattue, comme envahie d'une immense lassitude ; mais elle retourne à son public et avec un maigre sourire lui accorde encore quelques dédicaces.

Il est 23 heures : appuyée sur une béquille, Caballé sort du théâtre après un dernier petit signe de la main.

C'est ça une diva.
C'est ça aussi Montserrat.

Placido Carrerotti
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