C O N C E R T S
 
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BRUXELLES
22/12/2005

© Johan Jacobs
Richard WAGNER (1813-1883)

LE HOLLANDAIS VOLANT
(Der Fliegende Holländer)

Opéra romantique en trois actes
Livret du compositeur

Mise en scène : Guy Cassiers

Décors : Peter Missotten

Vidéo : Peter Missotten/Kurt d'Haeseleer

Costumes : Frédérick Denis/Isabelle Lhoas

Lumières : Enrico Bagnoli
 

Le Hollandais : Tomas Tomasson
Senta : Hélène Bernardy
Daland : Alfred Reiter
Erik : Robert Chafin
Mary : Jacqueline Van Quaille
Le pilote : Jörg Schneider

Orchestre symphonique et Choeurs de la Monnaie

Direction musicale : Kazushi Ono
Chef des Choeurs : Piers Maxim

Bruxelles, le 22 décembre 2005

C'est toujours pareil. Pendant les dix premières minutes, on en prend plein les yeux et plein la tête. On se retrouve face à des décors qui ont l'air sortis de l'esprit malade d'un Docteur Mabuse génial. On se dit qu'enfin on va comprendre la teneur symbolique de l'oeuvre, le pourquoi du comment du qui donc. Ainsi, les décorateurs de cette production de La Monnaie se sont mortifiés les méninges pour accoucher d'un dispositif curieux, entre série de science-fiction des années soixante-dix et bidouillage Walt Disney.

La scène est occupée par deux arcs de cylindres de hauteur inégale, avec des hublots, tournant autour d'une armature où est accroché un projecteur. Ces deux parois coulissent, faisant jouer la lumière des projecteurs. Ils représentent les vaisseaux de Daland (le petit cylindre) et du Hollandais (le grand cylindre, au fond à gauche). Tout cela sur fond d'écrans géants où sont projetées de scintillantes vidéos. Au début, il faut tenter de comprendre toute l'économie de moyens que représente cette présentation, donc (forcément) le surcroît de signification. Et puis, lorsqu'on constate qu'il n'y a rien de spécial à comprendre, on s'habitue. De toutes façons, il fait presque constamment noir. 

Le problème, c'est que ce décor plus ou moins mobile va rester strictement identique tout du long. A un moment, sans qu'on comprenne bien pourquoi, une sorte de mur percé d'une porte va tomber des cintres et encadrer Senta (lors de sa ballade, mais aussi lors de la scène finale). Faut-il comprendre que Senta est tombée amoureuse du Hollandais entre deux portes ? Ou bien qu'elle le retient avant qu'il ne prenne la porte ? Détail croustillant, le mur est plaqué de cuivre réfrigéré, lui-même couvert d'une fine couche de givre neigeux, qui tombe par petit bout puis, lorsque le mur sera remonté, gouttera discrètement sur la tête du Hollandais. Il pleut sur son coeur comme il pleut sur son crâne. 

La vidéo joue son rôle de toile peinte moderne. A plusieurs reprises, on nous présente des visages immergés : l'un d'eux semble parler, mais sans faire de bulles, ce qui est un exploit technique. Les autres, un homme et une femme, semblent se noyer. Les cylindres ne comportent pas de bouée. Tant pis pour eux (notre sixième sens nous dit que ce couple qui se noie symbolise le Hollandais et Senta, mais c'est là une suggestion intellectuelle qui reste à corroborer).

A la fin, Senta rejoint le Hollandais. C'est-à-dire que non : elle s'approche (au péril de sa carnation délicate) d'un mur de projecteurs rougeoyants. On ne voit pas bien pourquoi, mais dans cette production, on ne voit jamais pourquoi, alors...

Le véritable problème, c'est que Guy Cassiers, le metteur en scène, semble ne pas non plus savoir pourquoi. Certes, dans le texte du programme, il nous assène des vérités sociologiques premières à vocation édifiante, mais sa mise en scène ressemble à ce qui devait se faire de mieux sous le Second Empire : sur fond de bric-à-brac, une indifférence dramatique complète. Il se passe des choses tout à fait prenantes, mais rien ne se lit dans les gestes, les regards, les attitudes des chanteurs qui laisseraient penser qu'on ait tenté un seul instant de faire vivre le drame. Résultat : les chanteurs solistes occupent deux mètres carrés à l'avant-scène, et chantent main sur le coeur, comme au bon vieux temps. Vive l'avant-garde ! Les décorateurs auraient peut-être dû donner quelques tuyaux à Monsieur Cassiers. 


© Johan Jacobs

Heureusement qu'il y a notre Orchestre et notre Choeur, qui savent ce que c'est que la grandeur épique, l'aventure du grand large, le vacarme des flots ! Kazushi Ono fait sonner Wagner, les Choeurs font trembler le lustre et décolleraient presque les fresques rosées et bleutées du plafond. Quelle puissance, quelle splendeur ! Les instruments nous saisissent et ne nous lâchent plus, tels la voix d'un barde possédé, qui nous embarque dans son récit. Quel regret, aussi, qu'on ait cru bon d'affubler les choeurs (où notre oeil avisé repère la beauté parfaite d'une jeune soprano blonde au profil de princesse de conte) de vareuses, cabans, anoraks, gilets trois fois trop grands (à dessein, ou accident d'atelier ?), dont les longues manches traînent par terre ; et quelle pitié que ces artistes aient été contraints par Monsieur Cassiers de faire des gestes de sémaphore supposés symboliser... quoi ? mystère ! 

Heureusement aussi qu'il y a Hélène Bernardy (Senta), notre grande chanteuse belge ! Prions la avec instance de ne pas en faire trop, car certains aigus nous ont paru menacés d'un vibrato excessif. Mais la couleur lyrique, le souffle, la musicalité, la beauté du timbre nous ont tenue en haleine. Jamais elle n'a retenu son chant, bridé sa grande voix : elle a livré une grande soirée. Face à elle, Tomas Tomasson, basse islandaise, est bien un peu placide. Mais il a un grand regard bleu glacial assez effrayant, et une grosse voix de bronze qui tient merveilleusement la route. Avec un metteur en scène aux commandes, le duo pouvait potentiellement s'embraser. 

Hélas, il faut composer avec le Daland gauche et mal chantant d'Alfred Reiter, bien trop jeune pour ce rôle et vocalement rustaud. Ce n'est rien comparé au calamiteux Erik de Robert Chafin, qui détone en permanence : nous comprenons sa douleur, mais plus que nous ne l'aurions souhaité ! 

Un coup de chapeau à Jacqueline Van Quaille, la grande Jacqueline toujours aussi vaillante, pleine d'autorité dans l'accent et la stature. On ne plaisante pas avec un tel chaperon. Gloire à Jacqueline. 

On sort de là en se disant que Le Hollandais Volant est une oeuvre fantasmagorique dont la sombre puissance reste toujours aussi prenante. Et que l'on devrait en interdire l'accès aux théâtreux qui, à force de se tripoter les lobes du cerveau (entre autres organes), ont fini par perdre le sens de la magie et de l'enchantement.
 
 

Hélène Mante
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