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MONTPELLIER
21/07/05
© Marc Ginot
Festival de Montpellier
Ignaz Holzbauer (1711-1783)

Il Figlio delle selve

Fable musicale en trois actes
Livret de Carlo Sigismondo Capece

Elmira : Melba Ramos
Arsinda : Maria Rodrguez
Lucilla : Sabina Martin
Ferindo : Gunther Schmid
Teramene : Gunnar Gudbjörnsson

Das Neue Orchester

Direction musicale : Christoph Spering
Clavecin : Christoph Anselm Noll

Mise en scène : Georges Delnon
(Assisté de Katherina Vasiliadis)
Costumes : Marie-Thérèse Jossen
Lumières : Patrick Fuchs

Une production Staats Theater Mainz-Festival de Schwetzingen 2003

Festival de Radio France et Montpellier Languedoc Roussillon
En coproduction avec l'Opéra National de Montpellier
Jeudi 21 juillet 2005

Né en 1711 à Vienne, Ignaz Holzbauer s'est frotté avec bonheur à tous les genres musicaux : auteur de nombreuses partitions de musique religieuse et instrumentale (dont près de soixante-dix symphonies), il a également composé quelques opéras parmi lesquels Gunther von Schwarzburg (1777) en langue allemande, apprécié par Mozart.
Dès 1753 Carl Theodor de Mannheim lui commande un ouvrage pour l'inauguration du théâtre de Schwetzingen : ce sera Il figlio delle selve dont le succès lui vaudra d'être nommé maître de chapelle à la cour du prince. Ainsi, Holzbauer fera partie de la première génération des musiciens de l'école de Mannheim où il demeurera jusqu'à sa mort en 1783.

En 2003, le Festival de Schwetzingen monte Il Figlio delle selve pour commémorer le deux cent cinquantième anniversaire de l'ouverture de son théâtre. C'est cette production que propose cette année le Festival de Montpellier qui, lui, fête ses vingt ans.

Le livret, qui avait été déjà mis en musique à plusieurs reprises, conte les aventures de Ferindo, sorte d'enfant sauvage, innocent et pur, confronté soudain à la civilisation : un thème récurrent au XVIIIème siècle, dont on retrouvera l'écho en littérature chez Rousseau notamment et même Marivaux (La Dispute).

Teramene, roi de Lesbos, ayant été chassé de son trône par le tyran Rodaspe, se réfugie avec son jeune fils sur une île déserte où il aborde après un naufrage. Là, il élève pendant des années l'enfant, au milieu des bois et des animaux. Entre-temps Rodaspe est mort et sa fille Elmira lui a succédé. Quand le rideau se lève, Elmira débarque sur cette île pour y chasser avec une partie de sa cour, notamment Lucilla, sa dame d'honneur et Sergesto : en fait, celui-ci n'est autre qu'Arsinda, l'épouse de Teramene, qui a survécu au naufrage et s'est travestie en homme dans le but de fomenter une révolte contre l'usurpatrice. Elle ne tarde pas à rencontrer Teramene et après de nombreuses péripéties le couple royal retrouvera son trône. Elmira est condamnée à mort, mais Ferindo supplie ses parents de l'épargner car il s'est épris d'elle et désire l'épouser. Ceux-ci acceptent et tout s'achève dans l'allégresse générale.


© Marc Ginot

Les décors partagent ingénieusement la scène en trois espaces délimités par trois cadres noirs de taille décroissante qui créent un effet de profondeur et permettent aux personnages de se croiser sans se voir quand il le faut. Au fond, on aperçoit au premier acte une diapositive qui représente la forêt et par la suite, un écran lumineux dont la couleur change au gré des situations.
Les costumes, plutôt contemporains, collent cependant à l'esprit de cette fable pastorale. La direction d'acteurs extrêmement précise de Georges Delnon tire par moment l'ouvrage vers le burlesque : sa mise en scène fourmille d'idées et de clins d'oeil parfois grivois : ainsi, lorsque Ferindo voit une femme pour la première fois -en l'occurrence Lucilla- et lui demande "quelle différence la Nature a mise entre l'homme et la femme", celle-ci s'emploie à le déniaiser puis se brosse longuement les dents. Teramene s'asperge de déodorant avant d'aborder Arsinda et esquisse des claquettes au deuxième acte. Un singe facétieux vient par moment effrayer ces dames. Enfin, tous sableront le champagne au cours de l'ensemble final.

La musique préfigure celle des opéras du jeune Mozart et ceux de Haydn. On y perçoit aussi l'influence que ses voyages en Italie ont exercé sur le compositeur notamment dans les airs de furie d'Arsinda, "Son qual nocchiero" et d'Elmira, "Il Vento, l'Onda e il Mar", qui évoquent les éléments déchaînés dans la lignée du célèbre "Agitata da due venti" extrait de La Griselda de Vivaldi.
Deux duos, un trio et l'ensemble final viennent rompre habilement la monotonie de la succession airs/récitatifs.

La distribution, en dépit de quelques faiblesses, est somme toute homogène et dominée par les trois sopranos aux timbres judicieusement contrastés.

Le rôle de Teramene semble annoncer celui d'Idoménée dès le grand récitatif accompagné qui marque son entrée. Gunnar Gudbjörnsson lui prête sa voix solide aux belles sonorités mais force est de reconnaître que par instant la vaillance lui fait défaut, notamment dans l'air "Il leon fra le ritorte".

Gunther Schmidt campe un Ferindo tout à fait crédible scéniquement, naïf sans être benêt. Cependant son timbre dépourvu d'éclat et avare de nuances ne rend pas pleinement justice à ce personnage de prince ingénu qui découvre l'amour et la civilisation, d'autant que les ornementations lui posent quelques problèmes et les affects des cinq airs qui lui sont dévolus ne sont pas suffisamment différenciés.


© Marc Ginot

Sabine Martin est une Lucilla piquante à souhaits, tout à fait dans la tradition des soubrettes d'opéra buffa. Très à l'aise sur le plateau elle ne peut cependant masquer quelques stridences dans l'aigu, notamment au premier acte, qui s'estomperont par la suite.

Le rôle travesti d'Arsinda/Sergesto échoit à Maria Rodrigez, soprano à la voix délicatement ambrée. Son duo avec Teramene, lors de leurs touchantes retrouvailles, est interprété avec émotion et sensibilité tandis que "Son qual nochiero", aux vocalises redoutables, révèle une technique parfaitement maîtrisées. On pourra entendre cette cantatrice à Mogador la saison prochaine (le 10 mai) dans La Vida breve sous la baguette de Rafael Frühbeck de Burgos.

Enfin Melba Ramos triomphe dans son rôle d'usurpatrice touchée par l'amour, dont elle livre un portrait en tout point convaincant, tant au plan théâtral que vocal, dans une tessiture ample et riche en ornementations qu'elle affronte avec un rare bonheur. Sa partie ne comporte pas moins de sept arias fort contrastés dont le dernier "Il vento, l'Onda e il Mar" est le plus applaudi de la soirée.

Au pupitre Christoph Spering défend avec vaillance et conviction cette partition à la tête d'un orchestre aux belles sonorités, notamment les cuivres, souvent sollicités.

Malgré quelques réserves, une soirée passionnante qui permet au mélomane curieux de découvrir une oeuvre d'un grand intérêt, comme le Festival de Montpellier sait nous en offrir régulièrement.
 
 

Christian PETER
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