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RIBEAUVILLE
14/10/2007
 
Paul Van Nevel © DR

MUSIQUE ANCIENNE

Jacobus de Kerle (1531/32 – 1591)

Un maître du contrepoint tombé dans l'oubli

1. Super Omnia Ligna
2. Deux Agnus dei sur l'hexachorde ut-re-mi-fa-sol-la
3. Cantio octo vocum de sacro foedere contra Turcas
4. Credo et Agnus Dei de la "Missa Da Pacem Domine"
5. Media Vita
6. Come nel mar
7. Extraits de la "Missa Pro Defunctis"

Huelgas Ensemble
direction Paul van Nevel


Festival de musique ancienne de Ribeauvillé
Dimanche 14 octobre 2007

Un concert inoubliable pour un compositeur oublié


En près de 25 ans, le Festival de Ribeauvillé en Alsace s’est imposé comme un rendez-vous incontournable des amoureux de musique ancienne. Dès les premières éditions, le Festival reçoit Jordi Savall ou Tom Koopman mais aussi de grands noms de l’orgue (Chapuis, Isoir, Chapelet), la cité renfermant en l’église St-Grégoire un splendide instrument français du début du 18ème siècle. Au fur et à mesure du temps, l’orgue s’efface au profit des ensembles vocaux et instrumentaux (Fretwork, Ferrara Ensemble, Seminario Musicale, Hesperion XX, Ensemble Gilles Binchois, Tallis Scholars, Organum, Les Arts Florissants, Gabrieli Consort, Musica Antiqua Köln...) et les affiches du Festival se parent d’angelots enrobés et joufflus d’un kitsch achevé quelque peu étonnant... Le festival de Ribeauvillé peut s'enorgueillir d'accueillir chaque année quelques-uns des meilleurs ensembles de musique ancienne du moment. Le répertoire quant à lui s’affiche toujours aussi largement du Moyen-Âge au classicisme, avec cependant, caractéristique fort appréciable et assez rare, une forte présence de la musique médiévale et de celle de la Renaissance.

Le Huelgas Ensemble dirigé par Paul van Nevel est un habitué du Festival. Cette formation spécialisée dans le répertoire du Moyen-Âge et de la Renaissance a donné à entendre au cours de ses trois précédentes participations (1994, 1999 et 2004) plusieurs grands maîtres franco-flamands tels Lassus, Agricola, Brumel ou Josquin Desprez. Cette année c'est l'œuvre d'un compositeur méconnu – pour ne pas dire inconnu - que nous avons pu découvrir et apprécier en l'église du couvent de Ribeauvillé. Le programme du concert intitulé « Jacobus de Kerle (1531/32 – 1591). Un maître du contrepoint tombé dans l'oubli » est identique au contenu du CD paru en 2005 chez Harmonia Mundi (Jacobus de Kerle, Da pacem Domine, Réf. HMC901866) exception faite de l'ordre des pièces. La comparaison de ce polyphoniste avec des maîtres tels Philippe de Monte ou Roland de Lassus est à peine exagérée pour ses compétences purement techniques. Son inventivité mélodique et rythmique et sa capacité à varier les formes nous semblent cependant inférieures à certains de ses contemporains, du moins au regard des extraits de messes, motets et du madrigal qu'il nous a été donné d'entendre.

Pour celui qui n'est pas sensible aux entrées en imitations, canons à la quinte et autres artifices contrapuntiques, on peut craindre qu'il ne se laisse rapidement envahir par une légère torpeur à l'écoute de ce répertoire. Mais Paul van Nevel est un magicien. Il modèle littéralement la matière sonore et lui donne un relief surprenant et insoupçonné. Par sa direction sans emphase, aussi discrète qu'efficace, il tire le meilleur de ses chanteurs et jamais ne lasse. Il alterne judicieusement les passages piano voire pianissimo avec des phrases en dynamique forte, varie fréquemment les tempi et parvient à faire ressortir non seulement certains motifs mélodiques mais également la plupart des mots clefs présents dans les textes. Maître sculpteur, il joue sur l'épaisseur des traits en variant le nombre des interprètes entre chaque composition et propose tout type de formation, de un à trois chanteurs par voix avec par exemple trois ténors contre un seul altus. L'homogénéité du son, énormément travaillée et réfléchie, reste cependant toujours exceptionnelle quelque soit la dynamique et l'alliage des timbres. Paul van Nevel peut s'enorgueillir d'avoir pour instruments des chanteurs époustouflants de maîtrise technique, de discipline et d'expressivité. Les attaques périlleuses dans l'aigu du contre-ténor Peter de Groot ne « couaquent » jamais, les nombreux passages en voix mixte et de tête sont suprêmement négociés par les ténors, les barytons et les basses sont tout simplement parfaits (la basse profonde Joel Frederiksen est remarquable) et les quatre femmes de l'ensemble possèdent des voix éthérées mais chaleureuses malgré l'absence - requise pour l'interprétation de ce répertoire - de tout vibrato. Ajoutons à cela une justesse à toute épreuve (14 minutes de chant a capella pour le Dies irae de la Missa Pro Defunctis sans avoir baissé d'un comma), des tenues finales magnifiques qui résonnent agréablement dans l'acoustique relativement sèche du lieu et vous comprendrez aisément que l'accueil du public fut on ne peut plus chaleureux.

Les détracteurs du Huelgas Ensemble pourraient critiquer ça et là une prononciation des paroles perfectible – notamment concernant les consonnes – et stigmatiser la propension de Paul van Nevel à systématiser les changements de dynamiques – une « recette » dont il use et peut-être abuse sur l'ensemble de sa production discographique – mais d'aucuns reconnaîtront que depuis plus de vingt années, cette formation fait indubitablement parti des meilleurs ensembles mondiaux du moins dans l'interprétation du répertoire sacré de la Renaissance. Comme le notait déjà Pierre-Emmanuel Lephay, présent l’an dernier à Metz, les concerts de Paul van Nevel et du Helgas Ensemble sont des moments de pur bonheur.

Mathias LE RIDER

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