C O N C E R T S
 
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ROME
18/12/2005

Monica Bacelli, Idamante
Steve Davislim, Idomeneo
© Teatro La Scala
Wolfgang Amadeus MOZART

IDOMENEO

Livret de Giambattista Varesco

Mise en scène : Luc Bondy
Décors : Erich Wonder
Costumes : Rudy Sabounghi
Lumières : Dominique Bruguière

Idomeneo : Steve Davislim
Ilia : Rosanna Savoia
(remplaçant Camilla Tilling souffrante)
Idamante : Monica Bacelli
Elettra : Emma Bell
Arbace : Francesco Meli
Gran Sacerdote : Robin Leggate
La Voce : Ernesto Panariello
Prima cretese : Silvia Mapelli
Seconda cretese : Marzia Castellini
Primo troiano : Massimiliano Italiani
Secondo troiano : Giuseppe Cattaneo

Basso continuo : James Vaughan (cembalo), Simone Groppo (violoncello)

Choeurs et orchestre de la Scala de Milan
Direction : Daniel Harding

Teatro alla Scala, 18 décembre 2005

Lissner sauvé des eaux
 

Il fallait un courage certain à Stéphane Lissner pour reprendre au pied levé les rênes de la Scala, quatre mois à peine avant l'ouverture de la nouvelle saison. Prudemment, le nouvel intendant à choisi un titre moyennement connu du public milanais, particulièrement irascible dès lors qu'on s'attaque au répertoire maison mais plus circonspect sinon.

Ce nouvel Idomeneo ne restera pas comme la plus brillante des ouvertures scaligères, mais on a déjà vu pire ici même.

Côté chanteurs : pas de grandes vedettes dans cette distribution réuni à la hâte, mais n'était-ce pas souvent le cas sous le règne de Riccardo Muti (cf  Opera Riconosciutta qui ouvrait la dernière saison) ?

L'australien Steve Davislim campe un Idomeneo plein d'énergie, vocalisant correctement mais sans brio particulier, chiche en variation de couleurs, d'autant que l'émission s'appuie exclusivement sur le registre mixte, très nasal.

Monica Bacelli chante son Idamante avec plus d'honnêteté que de génie, plus à l'aise dans la tessiture aiguë qui lui permet quelques beaux piani, que dans la tessiture plus grave où l'émission est trop couverte et le timbre monochrome.

Remplaçant Camilla Tilling au pied levé, Rosanna Savoia est une Ilia un peu verte mais très musicale dont la fragilité naturelle apporte un supplément d'intérêt au rôle.

Emma Bell sauve par son engagement (parfois à la limite de la caricature) une technique vocale un peu limitée. La chanteuse a du mal à soutenir les longues phrases ; quant aux vocalises périlleuses de son dernier air, elles sont masquées par des éclats de rire hystériques plutôt hors de propos, ce qui n'empêchera pas l'artiste d'être généreusement applaudie.

Francesco Meli est la vraie bonne surprise de la soirée : une voix saine et généreuse qui emplit sans problème l'immense auditorium : nous nous rendons compte soudain des faiblesses de ses partenaires. Son air déclenchera une des seules ovations du public au cours du spectacle. En l'entendant, on songe que Luciano Pavarotti connu d'abord le succès en Arbace avant d'aborder le rôle titre.

Robin Leggate est en revanche bien faible en Grand Prêtre, un rôle pourtant aisément distribuable.

La direction de Daniel Harding alterne le meilleur et le pire, témoignant d'un manqué certain de préparation et de l'absence d'une vision cohérente de l'oeuvre : quelques effets de dynamique à la limite de l'esbroufe, pas mal de "tunnels" également, mais aussi de beaux moments magnifiquement ciselés où le chef sait utiliser à merveille le son de la Scala. Ces qualités se révèlent aussi faiblesses car cette splendeur s'effectue au détriment de l'impact dramatique.

De même, le style hésite entre le néo gluckiste et le Mozart de la maturité, entre la vision "baroque" et celle des grandes formations classiques.

On pouvait tout craindre après les déclarations de Luc Bondy sur sa volonté d'ancrer Idomeneo dans la modernité, citant pêle-mêle Al Qaida et le tsunami ! Fort heureusement, cet "ancrage" n'a pas le même sens pour un metteur en scène et pour le spectateur moyen : la production est en effet fort sage à part quelques effets qui rappellent cette volonté : des cadavres dans des sacs plastiques noirs (à peine visibles, en fond de plateau), des débris de bandes vidéo poussés par le vent (un touriste surpris par la tempête ?) ou encore quelques effets sonores (un grondement au final : une réplique des premières secousses ?) ... c'est pas la mer à boire !

Pour le reste, une gigantesque toile peinte défile en fond de scène, figurant tantôt une mer calme, tantôt la tempête et tantôt la marée basse ; un praticable recouvre en partie la fosse au niveau de l'avant-scène depuis lequel les solistes chantent de longues minutes, probablement invisibles et inaudibles de la majorité des spectateurs côté jardin ; moment involontairement burlesque avec la dépouille du monstre marin amenée sur scène : une bâche plastique sanguinolente avec un gros oeil et 6 côtelettes en caoutchouc véritable qui suscite l'hilarité bruyante de la salle ; image plus hermétique, une espèce de cube sort du sol au moment où se fait entendre la voix des dieux. Quant à la direction d'acteurs, elle est de facture classique, sans particulièrement révolutionner la lecture de l'oeuvre.

Les costumes semblent sortis de l'habituel fatras post-moderne : impers et chapeaux mous pour les choeurs, petites valises des années trente, robe noire classique pour Elettra, jogging avec capuche pour Idamante (c'est normal, c'est un d'jeune), etc.

Bref, là encore, au-delà d'un manque d'originalité (qui n'est pas une fin en soi), c'est plutôt d'un manque de cohérence dont la production souffre.

On notera que l'ouvrage est largement coupé (une bonne vingtaine de minutes), sans doute au grand soulagement du metteur en scène, des interprètes et des spectateurs des places debout, mais au détriment des intentions d'un certain W.A. Mozart dont on nous assure pourtant qu'il s'agit d'un génie : une pratique d'un autre âge qu'on aimerait voir définitivement disparaître.
 
Néanmoins, le spectacle se tient grâce à la motivation évidente des interprètes et le public se réveille aux saluts finals pour offrir un beau succès à l'ensemble du plateau. Les mauvais prophètes en seront pour leurs frais : Lissner a réussi sa première épreuve à la tête de la Scala.
 
 

Placido Carreroti
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