C O N C E R T S 
 
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PARIS
20/10/05
 Yvonne Naef © DR

Alexander von ZEMLINSKY (1871 – 1942)
Sechs Gesänge opus 13 nach gedichten von Maurice Maeterlinck
(Six chants opus 13 sur des poèmes de Maurice Maeterlinck)
Composition : 1910 –1914 – Réduction : Erwin Stein
2 – Die Mädchen mit den Verbundenen Augen
5 – Und kehrt er einst heim

Arnold SCHÖNBERG (1874 – 1951)
Kammersymphonie n° 1 opus 9 (1906)
Arrangement : Anton Webern pour flûte, clarinette, violon, violoncelle et piano
Orchester Lieder opus 8 (1903-1905)
Réduction : Hans Eisler (1) et Erwin Stein (2, 5)
1 – Natur (Hart)
2 – Das Wappenschild (Des Knabnen Wunderhorn)
3 – Voll jener Süsse (Pétrarque/Förster)

Anton WEBERN (1883 – 1945)
Quintette pour piano et cordes M118 (1907)

Gustav MAHLER (1860-1911)
Lieder eines fahrenden gesellen (1885)
Transcription : Arnold Schönberg
1 – Wenn mein Schatz Hochzeit macht (Des Knaben Wunderhorn)
2 – Ging heut morgen übers Feld (Mahler)
3 – Ich hab ein glühend Messer (Mahler)
4 – Die zwei blauen Augen (Mahler)

Solistes de l’ensemble intercontemporain
Yvonne Naef, mezzo soprano
Ludovic Morlot, direction

Paris, Auditorium du Musée d’Orsay, le 20 octobre 2005

Ce concert au programme très bien composé, qui sera retransmis par France Musique le 8 décembre prochain à 15 heures,  s’inscrivait dans le cadre de l’exposition « Klimt, Schiele, Moser, Kokoschka, Vienne 1900 », organisée par le Musée d’Orsay et la Réunion des Musées Nationaux, présentée du 5 octobre 2005 au 23 janvier 2006 aux Galeries Nationales du Grand Palais.

Programme d’autant plus fascinant que les quatre musiciens y figurant, et également ceux ayant réalisé les réductions des œuvres, furent des acteurs essentiels de  cet extraordinaire foisonnement artistique qui, à la fin du XIXème siècle, fit de Vienne une véritable « capitale culturelle », et aboutit à nombre de chef-d’œuvres dans tous les domaines.

Encore plus étonnant, on assiste là à un véritable jeu de miroirs, où tout s’imbrique et se reflète : Schönberg, Zemlinsky et Mahler se connaissaient bien. Zemlinsky, qui sera amoureux sans espoir de la future Madame Mahler, Alma Schindler, et aussi le premier  et unique professeur de Schönberg, avant de devenir  son beau-frère, dirigea nombre des œuvres de son élève.

Quant à Schönberg, qui, deviendra le professeur de Webern, il fonda en 1918 la « Société d’exécutions musicales privées », destinée à faire connaître la musique boycotée par les institutions officielles. Berg, Webern, Steuermann y furent  conférenciers, et afin  d’inscrire au répertoire des œuvres d’un effectif au départ trop important, certains des élèves de Schönberg, comme Stein ou Eisler, transcrivaient, réduisaient, ou adaptaient selon les circonstances. La transcription par Schönberg des Lieder eines fahrenden Gesellen fut donnée au cours d’un des concerts de l’association, en 1920.  Mahler en avait lui-même réalisé plusieurs orchestrations.

Programme complexe et passionnant, donc, en raison de la subtilité des liens tissés, quasiment « freudienne », et vertigineuse, ô combien.

D’où vient alors que l’on reste sur sa faim et que l’on se sente, quelque part,  frustré ?

Certainement pas des solistes de l’Ensemble Intercontemporain, tous excellents, en particulier dans leur lecture passionnée et riche en émotions, du Quintette pour piano et cordes de Webern, et aussi de la Symphonie de Chambre de Schönberg, d’une grande difficulté, d’autant plus qu’avec un effectif réduit, elle devient quasiment de la musique de chambre, elle aussi.

Une mezzo vraiment trop forte

Il faut bien l’avouer, la déception vient de l’interprétation de la mezzo-soprano suisse Yvonne Naef, que l’on avait  pourtant remarquée pour sa magnifique Brangaene dans le récent Tristan de la Bastille.

Certes, cette wagnérienne confirmée, qui serait sans doute plus à sa place dans les Wesendonck Lieder, a une voix magnifique, puissante, égale sur toute la tessiture, charnue sans être trop corsée, presque « sopranisante », mais ici, face au projet ambitieux que propose ce concert, où elle semble d’ailleurs peu impliquée, elle ne tient pas ses promesses et l’ambiance crépusculaire dans laquelle baignent toutes ces œuvres finit par passer à la trappe, en raison du manque de nuances et de couleurs de son interprétation.

De plus dans une salle comme l’auditorium du Musée d’Orsay, dont les dimensions sont bien loin d’égaler celles de l’Opéra Bastille, point n’est besoin de donner un tel volume. Dans l’ensemble, Naef chante tout trop fort, surtout Zemlinsky et Schönberg, où l’on passe presque constamment du forte au fortissimo et le résultat est assez déséquilibré, surtout avec un orchestre aussi raffiné, et chambriste. Heureusement,  dans Mahler, elle fera l’effort de dompter un peu  sa voix et d’apporter quelques nuances. Décidément,  le vieil adage « qui peut le plus peut le moins » ne s’applique guère à cette jolie femme distinguée,  élégante et souriante dont les capacités d’émotion, du moins dans ce répertoire, semblent plutôt limitées. Préférant  de manière évidente le son au sens du  texte,  son chant, certes irréprochable sur le plan technique,  a quelque chose de poli, de policé et de propre, aux antipodes de l’univers mortifère, « mélancolique », presque  au sens clinique (autre grande exposition à voir actuellement « La Mélancolie ») qui caractérise cette musique.

Envolées, donc, les déchirures de Zemlinsky, contraint par la montée du nazisme, qui lui interdira de continuer à diriger des orchestres et à composer, de fuir aux Etats-Unis où il mourra, désespéré, en 1942 ; oubliées les humiliations de Mahler, qui dut se convertir au catholicisme pour pouvoir devenir Directeur de l’Opéra de Vienne ; disparues, les souffrances de Schönberg et de bien d’autres, tous ces fantômes qui hantent encore Vienne et pour longtemps. 

Juliette Buch
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