C O N C E R T S
 
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PARIS
04/07/2006
 
Maria-Riccarda Wesseling

Christoph Willibald von Gluck (1714-1787)

Iphigénie en Tauride

Tragédie Lyrique en 4 actes de 
Livret de Nicolas-François Guillard,
d’après la Tragédie de Guymond de la Touche,
elle-même inspirée d’Euripide.

Direction Musicale : Marc Minkowski
Mise en scène : Krzysztof Warlikoswki
Décors et costumes : Malgorzata Szczesniak
Lumières : Felice Ross
Conception vidéo : Denis Guéguin
Chorégraphie : Saar Magal
Dramaturgie : Miron Hakenbeck
Stylisme des coiffures : Robert Kupisz
Chef des chœurs : Christophe Grapperon

Maria-Riccarda Wesseling (Iphigénie)
Russel Braun (Oreste)
Yann Beuron (Pylade)
Franck Ferrari (Thoas)
Salomé Haller (Diane/une Prêtresse)
Andrea Creighton (une Prêtresse)
Claire Delgado-Boge (une Prêtresse)
Marina Lodygensky (une Prêtresse/une Femme grecque)
Fabienne Colson (une Prêtresse)
Delphine Malik-Vernhes (une Prêtresse)
Christophe Grapperon (un Scythe/le Ministre du sanctuaire)

Figurants (pensionnaires de la maison de retraite) :
Jacqueline Piet-Lataudrie, Donatelle Medina, Mauricette Laurence,
Agnès Aube, Ida Palomba, Rolande Bazin, Liliane Cebrian

Acteurs (la famille des Atrides) :
Renate Jett (Iphigénie)
Bogusia Schubert (Clytemnestre)
Pablo-Antoine Bibiloni (Oreste jeune)
Guy Chodey (Agamemnon)
Marie Espinosa (Electre)
Delphine Biard (Chrysothemis)

Mimes :
Cyril Jacquemin, Joël Lancelot, Giovanni Vitello, Laure Urgin,
Geneviève Motard, Claire Sauvajon, Micheline Lelièvre

Chœurs et Orchestre des Musiciens du Louvre-Grenoble

Paris, Palais Garnier, le 4 juillet

Iphigéniale

Iphigénie, vieille et proche de la mort, se souvient des péripéties qu’elle vécut en Tauride avant de décéder. Nostalgie, certaine idée de « paradis perdu » (l’époque où on était jeune et combatif) nécessité de « faire un bilan » des évènements qui ont marqué l’existence que l’on s’apprête à quitter. C’est bien, mais on se demande si « Iphigénie en Tauride » est de ces opéras qui se prêtent au flash-back, et surtout si cette idée de retour en arrière n’est pas avant tout un prétexte pour nous sortir la « panoplie du parfait petit théâtre chébran », et pour nous montrer des vieux avec des coiffures kitsch, des costumes kitsch, dans un décor kitsch (maison de retraite, comme chacun sait). Visuellement, c’est donc vraiment moche, et en sortant du Palais Garnier ce soir-là, après la représentation, on ne pourra esquiver la question : le jeu en valait-il la chandelle ? En sacrifiant l’esthétisme et l’élégance, est-ce que Krzysztof Warlikowski nous a au moins appris quelque chose de nouveau sur l’œuvre ? Malgré quelques passages très forts (les Euménides torturant Oreste au II, lequel, dans son délire, se voit assassiner plusieurs fois sa mère, les scènes de confrontations Oreste/Pylade/Iphigénie au III et Iphigénie/Oreste au IV), on en doute. S’il est une chose que la mise en scène moderne nous aura apprise, c’est qu’il y a plusieurs façons d’interpréter une pièce de théâtre ou un opéra, qu’éclairée de deux manières distinctes, une œuvre pourra avoir deux portées distinctes. Privilégier un certains nombres d’aspects, en laisser d’autres dans l’ombre peut paraître cruel, mais il est néanmoins essentiel qu’un metteur en scène sache bien ce qu’il veut nous dire à travers une pièce sur laquelle il travaille, et qu’il sélectionne en fonction de son propos les facettes de cette pièce les plus susceptibles de l’illustrer, sinon son discours tombe dans l’incohérence. Et tout le problème est là ! Doubler les chanteurs par des acteurs, jouer sur les perspectives de miroirs, utiliser des vidéos, faire du public un moteur de l’intrigue (Thoas s’adresse à la salle allumée à la fin du I : « Et vous, à vos Dieux tutélaires/adressez vos chants belliqueux », pour ne citer que cet exemple)… toutes ces idées sont excellentes, mais les fourrer pêle-mêle dans un même spectacle crée des redites, des incohérences, et condamne Warlikowski à effleurer sans cesse plusieurs « vérités » de l’œuvre, sans jamais en approfondir une. Plus que le décor, les coiffures ou les costumes, c’est ce refus d’émouvoir le public au profit d’une sorte de dissertation, brillante certes, mais stérile et anti-naturelle, sur les « mille et une manières de mettre en scène un opéra », masquant à peine le goût amer de la panne d’inspiration, qui m’a mis mal à l’aise.

Musicalement, c’était heureusement au-delà de tout éloge. Dans la fosse, Marc Minkowski dirige ses Musiciens du Louvre -sublimes, les chœurs comme l’orchestre- plus lentement que dans son enregistrement Archiv, créant des couleurs, des nuances, des tensions dramatiques infinies, et ce dans le plus grand respect des voix. Une fois de plus, le chef français a prouvé qu’à l’opéra, il est l’un des plus grands. Les prêtresse magnifiques, le Scythe et le Ministre impeccables de Christophe Grapperon, la Diane de Salomé Haller, forte du rayonnement de son timbre et de la beauté de sa diction, retiennent l’attention du public, même placés dans la fosse. Le Thoas de Franck Ferrari impressionne, y compris dans un fauteuil roulant, cependant que la véhémence morbide (et le très bon français) de Russell Braun ferait frissoner une tombe. Et on peut compter, bien entendu, sur la ligne de chant miraculeuse de Yann Beuron : son Pylade est une merveille ! L’Iphigénie de Maria-Riccarda Wesseling est de celles qui vous mettent une salle à genoux en moins de deux. On appréciera la voix, fort belle mais surtout on ne saurait être insensible devant cette actrice-née, figure de tragédienne gravée dans le marbre, et une seconde plus tard silhouette ingénue de jeune fille. Bouleversante
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Clément TAILLIA
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