C O N C E R T S
 
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GENEVE
03/05/2004

© DR
Récital Dorothee Jansen
 

Dorothee Jansen, mezzo-soprano
Francis Grier, piano

Genève
Bâtiment des Forces Motrices BFM
3 Mai 2004



Pâle Schubert

L'idée maîtresse du récital de Dorothee Jansen était de présenter une soirée de lieder de Franz Schubert dédiés à des femmes. Louable prétexte que de faire découvrir des mélodies et des poèmes rarement interprétés en récital. D'ailleurs, qui connaît Justine Edlen von Bruchmann, Anna Milder-Hauptmann, Marie Pachler, Mathilde-Theresia Schwarzenberg, Josephine von Franck ou la Comtesse Sophie von Weissenwolf auxquelles cette soirée était consacrée ? Si le précieux "Google" nous apprend que la seconde chanta Eléonore du Fidelio de Beethoven devant Napoléon 1er et que Marie Pachler était une pianiste émérite qui reçut Schubert à Graz, il ignore tout des autres dames.

Dans son premier air, Sei mir gegrüsst, du poète Friedrich Rückert, la soprano allemande ne semble pas encore avoir pris ses marques. La voix est impersonnelle, sans couleurs. De plus, son attitude extrêmement contenue et sa mine figée, impassible, laissent à penser que la jeune femme s'enferme dans une concentration extrême. Sans l'esquisse d'un sourire, elle enferme son récital dans un sérieux empesé. La gêne s'installe dans le public. Comment chanter l'amour quand le coeur ne s'ouvre pas à la musique ? Cette retenue, voire cette crispation porte fréquemment Dorothee Jansen à la limite de la justesse. Mise au bénéfice du trac, de la voix encore froide, on reste avec l'espoir d'une amélioration. Malheureusement, dans Frühlingsglaube, l'impression première se confirme. Le chant demeure sans intérêt. Il se fait scolaire. Les passages du médium à l'aigu révèlent même deux voix distinctes. Les mélodies suivantes n'apporteront guère de changements, même si les problèmes de justesse ont semblé s'atténuer.

Par la suite, on demeure sur cette curieuse sensation d'inaccompli. Le malaise grandit, chacun observe discrètement son voisin comme pour s'assurer qu'il partage les mêmes doutes. Tout cela est si monotone qu'on a le sentiment d'entendre la même mélodie sur des poèmes différents. (A moins que ce ne soit le contraire !) On en vient presque à blâmer Schubert d'avoir été si peu inspiré par les dames auxquelles il a dédié ces lieder ! Ce n'est qu'au moment où Dorothee Jansen aborde le célèbre An Silvia sur le poème de William Shakespeare que se confirme le fossé séparant la soprano du monde musical du compositeur. Chantant sans émotion, la voix presque totalement blanche, la diction souvent peu claire, la soprano allemande confirme une étonnante faiblesse vocale et interprétative.

Après l'entracte, le schéma se reproduit à l'identique. Avec la même constance, la justesse fait défaut dès le premier lied (Nur wer die Sehnsucht kennt) et la monotonie interprétative s'installe dès les airs suivants. On assiste avec étonnement à un récital digne d'un examen de conservatoire alors qu'on espère celui d'une cantatrice avérée. Dans le célèbre Ave Maria, qui devait clore sa prestation, Dorothee Jansen chante les notes sans jamais les "dire". Son hymne à la Vierge n'est alors plus qu'un affligeant Requiem !

Au terme d'un récital, libérés de la tension du concert, les artistes offrent des bis souvent délirants et décontractés. Malheureusement, ici il n'en est rien. Quand la blonde soprano attaque Die Forelle, si la mélodie se reconnaît, rien dans l'interprétation de la chanteuse ne laisse transparaître ce que raconte ce poème.

Chantant tout son récital par coeur, Dorothee Jansen en a démontré la bonne préparation. Pourtant, c'est un bien pâle Schubert que la jeune soprano nous fait découvrir. Alors, souffrante ? Pourquoi ne pas en avoir fait l'annonce ? De son côté, le pianiste britannique Francis Grier n'a pas réussi à épicer le récital de la jeune femme. Dans son jeu, il fut à l'image de la soprano allemande : propre, lisse et terne. Sans plus.
 
 
 

Jacques SCHMITT
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