C O N C E R T S 
 
...
[ Sommaire de la rubrique ] [ Index par genre ]
 
 
STRASBOURG
09/10/05
 Paul Claudel

Fabrice Bollon, direction
Nicole Aubry, direction d’acteurs

Romane Bohringer, Jeanne d’Arc (rôle parlé)
Pascal Greggory, Frère Dominique (rôle parlé)
Jean Lorrain, 1er récitant (Hérault I - L'Ane - Heurtebise - Un Prêtre)
Nicolas Oton, 2éme récitant (L’apppariteur - Regnault de Chartres - Guillaume de Flavy - Perrot - Un prêtre)
Eve Ledig, récitante (La mère aux tonneaux)

Jana Buechner, soprano (La Vierge)
Cécile de Boever, soprano (Marguerite)
Marie-Nicole Lemieux, mezzo-soprano (Catherine)
Gilles Ragon, ténor (Porcus, une voix - Hérault I - Le Clerc)
Stefan Adam, basse (Hérault II - une voix - un autre paysan)

Chœur de l’OPS,
chef de chœur Catherine Bolzinger
Maîtrise de Colmar
Direction, Arlette Steyer
Orchestre Philharmonique de Strasbourg

Strasbourg, 09/10/2005, Palais de la musique et des congrès

Voici de ces concerts qui vous emportent, vous bouleversent puis vous hantent.

D’une part du fait de l’œuvre elle-même, chef-d’œuvre d’Arthur Honegger et Paul Claudel, d’autre part du fait d’une exécution proche de la perfection.

Tout dans cette production semble avoir fait l’objet d’un soin particulier et l’équilibre si délicat à trouver dans une œuvre qui mêle récitation, chant et symphonie, était, ce soir-là, miraculeux.

Fabrice Bollon mène l’ensemble d’une main sûre, avec une direction sobre, sans emphase, d’une grande clarté et surtout d’une grande émotion tout en privilégiant le souffle et une conduite dramatique très efficace. Aucun moment à vide dans cet oratorio d’une heure et demie. Aussi attentif aux récitants qu’aux chanteurs, il impressionne par sa maîtrise qui a l’apparence de l’évidence et de la simplicité.

On reste pantois devant la qualité des acteurs réunis et par leur implication.

Romane Bohringer est complètement possédée par son personnage, une Jeanne jeune, féminine, terrienne. Tantôt exaltée, tantôt pensive, elle éblouit à tout instant, elle irradie par son regard, ses gestes, rares et modérés, et surtout sa voix qu’elle maîtrise avec grand art. Une voix qui jamais ne se brise (elle est intacte en fin de soirée) et qui fait passer les émotions les plus diverses et les plus subtiles d’une simple parole. Romane Bohringer nous émeut, nous séduit, nous bouleverse, nous tire les larmes… Du grand art véritablement.

A ses côtés, Pascal Greggory est tout de douceur et de sobriété. Déroutant pour certains sans doute, Greggory semble être ici l’antithèse de Romane Bohringer : voix calme, attitude toujours sereine, présence très discrète. Tout semble avoir été fait pour distinguer très nettement les deux personnages par Nicole Aubry, la responsable de la direction d’acteurs. Pascal Greggory émeut par sa sobriété et ne cherche nullement à tirer la couverture à lui. Il n’en est pas pour autant dans l’ombre, loin s’en faut, car il sait lui aussi user d’une voix envoûtante et il faut lui savoir gré de cette prestation risquée mais admirable.

Il était a priori difficile de côtoyer de tels acteurs, et pourtant aucun des récitants ne s’est trouvé diminué, bien au contraire, à commencer par Jean Lorrain, stupéfiant narrateur qui dès ses premiers mots (« Il y eut une fille qui s’appelait Jeanne ») cloue le spectateur dans son fauteuil. Une voix richement timbrée, une présence écrasante, des expressions de visage à l’avenant, il est aussi à l’aise dans la veine sérieuse que dans la veine comique (Heurtebise), une impressionnante personnalité. Nicolas Oton, en deuxième récitant, le seconde habilement, tout comme Eve Ledig, absolument parfaite dans le court rôle de La mère aux tonneaux.

Des solistes, on distinguera Gilles Ragon. Ce chanteur ne cesse d’étonner par la métamorphose qu’il a imprimé à sa carrière. Parti du répertoire baroque, où il chantait en haute-contre, il s’est progressivement penché sur des rôles plus lourds pour arriver à incarner aujourd’hui des rôles de Britten ou encore Mime du Ring. Quand on entend  son incarnation de ce soir, on est stupéfait du résultat. Une voix belle, solide (impressionnants aigus du Porcus), ne négligeant pas le registre grave, une articulation parfaite : il fait merveille. A cela, ajoutons son aisance à passer du chanté au parlé et ses qualités incontestables de comédien, et nous aurons fait le tour d’une totale réussite.

Les superbes voix de Stefan Adam et de Marie-Nicole Lemieux parfont l’ensemble. Les soprano Jana Buechner et Cécile de Boever séduisent également même si l’on aurait souhaité timbres plus éthérés et des aigus moins écrasés.

La maîtrise de Colmar convainc par sa grande homogénéité tandis que le Chœur de l’OPS, en progrès constants, assure remarquablement sa partie complexe.

Quant à l’Orchestre, il brille : des pupitres sûrs, une belle sonorité (notamment de la part de la flûtiste solo qui a visiblement remplacé une autre soliste au son gras et déplaisant), une présence forte, c’est un vrai bonheur de l’entendre ainsi. Nous sommes loin des musiciens tétanisés dirigés par Marc Abrecht lors d’une 2ème de Mahler assez terne il y a un mois.

Ajoutons enfin une mise en lumière sobre mais efficace (des éclairages colorés changeants), et une très bonne sonorisation des voix parlées (qui ne submergent jamais le tissu musical). La mise en espace quant à elle est très économe, trop peut-être, et ne peut que donner envie de retrouver cette réunion de talents à l’Opéra, avec une mise en scène profitant d’un grand plateau.

On a l’impression lors de ce concert que la fusion était telle entre tous les partenaires, qu’on ne saurait dire si les acteurs emportaient les musiciens dans leur sillage, ou si l’orchestre par exemple portait les chanteurs et les récitants, tous étaient à l’écoute les uns des autres et il faut féliciter Fabrice Bollon et Nicole Aubry d’avoir su créer cette synergie électrisante qui nous valut des moments d’une intensité rare.  

Pierre-Emmanuel Lephay
[ Sommaire de la Revue ] [ haut de page ]