C O N C E R T S 
 
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BRUXELLES
21/11/05
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Magdalena Kozena & David Daniels

Georg Philipp Telemann (1681-1767)
Ouverture, extr. de Musique de table (Production III)

Georg Friedrich Haendel (1685-1759)
Aria “Fammi Combattere” extr. d’Orlando

Henry Purcell (1659-1695)
Air “Thy hand Belinda, darkness shades me” extr. de Dido & Aenas

Georg Philipp Telemann
Bergerie (Un peu vivement), extr. de Musique de table (Production III)

Georg Friedrich Haendel
Duetto “Io t’abraccio” extr. de Rodelinda

Georg Philipp Telemann
Allégresse (Vite)
Postillons extr. de Musique de table (Production III)

pause

Arcangello Corelli (1653-1713)
Concerto grosso n° 3 en do mineur

Georg Friedrich Haendel
Recitativo e Aria “ Pompe vane di morte… Dove sei ? ” extr. de Rodelinda

Aria “ Se in fiorito ameno prato ” extr. de Giulio Cesare

Georg Philipp Telemann
Flaterie extr. de Musique de table (Production III)

Georg Friedrich Haendel
Ariodante, extraits
“Scherza infida”
“Dopo Notte, Altra et Funesta ”

Georg Philipp Telemann
Badinage (Très vite)
Menuet
Conclusion (Furioso) extr. de Musique de table (Production III)

Kamerorchester Basel
Paul Goodwin, direction
Magdalena Kozena, mezzo
David Daniels, contre-ténor

Bruxelles, Palais des Beaux-Arts, 21 novembre 2005

Composer un menu, associer les saveurs, choisir les vins, n’est-ce pas un art en soi ? La sélection et l’ordonnancement des plats peuvent exalter le goût comme le gâter, ouvrir et attiser l’appétit, mais aussi le couper brusquement.

En l’occurrence, sorbets et entremets surabondent et réduisent à la portion congrue les grandes pièces – d’authentiques chefs-d’œuvre, mais difficiles à apprécier dans un tel contexte. Certes, la musique de table du père Telemann dispense bien des charmes, toutefois, ce pur divertissement souffre de la comparaison avec des pages d’une tout autre envergure.

Basculer sans transition des rodomontades de “Fammi Combattere” au déchirant lamento de Didon étonne déjà, mais enchaîner avec une galante Bergerie désarçonne plus encore. Si le baroque est synonyme de contrastes, il n’a pas inventé les cadavres exquis ! Ces incessantes ruptures de ton ne peuvent qu’au mieux dérouter, au pire irriter et fatiguer le mélomane. En outre, si le Kammerochester Basel séduit d’abord par sa vigueur, son sens du rythme, des phrasés soignés et une articulation impeccable, sa lecture au scalpel se fait parfois trop carrée, notamment dans un fort roide « Badinage ».

Son Corelli trahit aussi un manque criant d’exubérance, sinon d’imagination et surexpose la sécheresse des cordes, en particulier du premier violon. Cette phalange, de toute évidence douée, néglige le travail sur la sonorité et les couleurs que d’autres musiciens, et pas seulement italiens, ont réalisé depuis une quinzaine d’années et auquel notre oreille, désormais plus exigeante, plus hédoniste, s’est habituée.  

Il faut tout le pouvoir d’évocation et le rayonnement d’une Kozena pour captiver l’auditoire désorienté par ce programme hétéroclite. La diva tchèque possède cette faculté rare de se glisser instantanément dans la peau de ses personnages et d’atteindre une extrême concentration, qu’elle soit sur scène ou en récital. Les contingences s’évanouissent et les spectateurs n’ont d’yeux et d’oreilles que pour l’actrice – pour le talent comme pour le physique, entre Emma Thompson et Meryl Streep – qui chante.

 La primauté du texte exclut tout narcissisme : la voix et sa lumière ambrée ne sont qu’au service de l’expression. Introspective, lucide, nue, sa Didon ne ressemble à aucune autre. Elle n’exhibe pas sa douleur, mais se parle à elle-même, déjà absente au monde (« Remember (me) » suspendu, piano). Emus et reconnaissants, les convives lui réservent un triomphe et la rappellent, alors que la première partie n’est pas encore achevée. Ils en reprendraient bien, mais Amphitryon leur sert une mignardise … Quand l’amertume de “Scherza infida” vient réveiller leurs papilles. Kozena en livre une interprétation intense et résolument personnelle qui semble naître en direct… Où commence l’improvisation ? La prise de risques ? L’artiste ne craint pas ses limites en tout cas (des graves qui se dérobent), mais les nargue, grossissant ostensiblement sa voix dans un ululement faible et comme halluciné. Nouveau triomphe.

Après un apéritif en pilotage automatique, presque désinvolte (“Fammi Combattere”), David Daniels joue la carte de la sécurité et nous prive de ses troublantes notes de mezzo qui érotisaient hier le chant de Didymus, Néron ou Sextus. Cependant, la musicalité et l’intelligence dramatique du contre-ténor suscitent toujours la même adhésion et ses plus fervents admirateurs noteront qu’il renouvelle avec bonheur l’ornementation des reprises (ludique “ Se in fiorito ameno prato ”). Autres moments forts, magiques, les duos révèlent la complicité des chanteurs dont les velours, également chaud et enveloppants, se marient parfaitement. « Duos » au pluriel, car le public obtient trois bis, dont une version décapante de “Sound the Trumpet ” et un “Pur ti miro, pur ti godo ” infiniment tendre et subtil. Standing-ovation. Mais la fête est finie… alors qu’elle venait à peine de commencer.

Bernard Schreuders
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