C O N C E R T S 
 
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PARIS
26/01/05
Magdalena Kozena
© DR
Magdalena Kozena mezzo soprano

Musica Antiqua Köln
Reinhard Goebel direction

1ère partie
Johann David Heinichen : Concerto en sol mineur S 238
Jean-Sebastien Bach : Cantate BWV 199 "Mein Herze Schwimmt im Blut"

2ème partie
Johann Georg Pisendel : Concerto da Camera
Jean-Sebastien Bach : Cantate BWV 209 "Non sa che sia dolore"

Mercredi 26 janvier 2005, 20 heures
Théâtre des Champs Elysées, Paris

Une entreprise de mortification

"Deux cantates en miroir" annonce le programme remis gratuitement avant d'entrer dans la salle. Par bonheur, Jeannine Roze Production n'a pas encore adopté le régime Mortier et continue de documenter son public. Pour patienter, on ouvre distraitement la brochure et on découvre le texte des deux oeuvres vocales de Jean-Sébastien Bach au programme ce soir. Dès le début, la première affiche la couleur : "Mon coeur baigne dans le sang". Effrayé, on se réfugie auprès de la seconde qui ne s'avère guère plus réconfortante : "Il ne sait pas ce qu'est la douleur, celui qui de l'ami s'éloigne et ne meurt pas". Autant dire qu'on n'est pas parti pour s'amuser. Il est trop tard pour s'échapper, les lumières s'éteignent, les musiciens entrent en scène. Le calvaire commence.

Car pour l'hérétique, celui qui ne sacrifie pas régulièrement au culte de Jean-Sébastien Bach, il va s'agir d'un véritable chemin de croix. Mais il ne faut pas croire que les fidèles seront pour autant épargnés. Tout au moins dans la première partie. Le concerto de Johann David Heinichen nous met dès le début la puce à l'oreille. Si dans l'allegro initial, le dialogue brillant de la flûte et du hautbois parvient à dissimuler le grincement des cordes, le mouvement suivant dévoile cruellement la sécheresse du Musica Antiqua Köln. Sur ce sentier aride, couvert de pierre, Magdalena Kozena, dont la robe froufroutante souligne la radieuse maternité, apporte tant bien que mal un peu de rondeur. L'introduction de la BWV 199 la prend pourtant à froid sur un récitatif haletant, au débit haché. Elle se rattrape aussitôt dans l'air suivant : "Stumme Seufzer, stille Klagen (O muets soupirs, plaintes étouffées)" pour déployer les trésors d'une voix irréprochable. Lumière dorée du timbre, homogénéité de la ligne, netteté de la diction, étendue du souffle, autorité de la projection. Une seule réserve, qui peut être un effet de la grossesse : le registre grave paraît légèrement étouffé au contraire de l'aigu, libéré, fluide. Hélas, de tels joyaux sont piétinés inlassablement par l'ensemble orchestral qui, tout au long de la cantate, continue de griffer l'oreille. Introduit par un superbe mélisme sur le mot frölich (contentement), "wie freudig ist mein Herz (Comme mon coeur est joyeux)" sonne la fin du châtiment. Le retour du hautbois apporte un peu de réconfort. Le pénitent, débarrassé de ses chaînes, applaudit mollement.

Après l'entracte, il faut de nouveau enfiler la robe de bure pour un concerto de Johann Georg Pisandel qu'écime impitoyablement Stephan Schardt, le premier violon. "Il y a du givre sur les cordes" murmure ma voisine. Le temps que mettent les musiciens avant chaque pièce pour accorder leurs instruments, anciens cela va sans dire, semble lui donner raison. La sécheresse de l'air, les écarts de température (dehors, le mercure est tombé en dessous de zéro) doivent porter leur part de responsabilité. La cantate "Non sa che sia dolore", plus ostentatoire, donne heureusement le signal de la rédemption. La musique prend enfin ses aises dans une salle qui correspond mieux à sa mesure, car, qu'on le veuille ou non, le Théâtre des Champs Elysées demeure une place profane. La tessiture, plus élevée, flatte la cantatrice. Sa technique triomphe sans mal de l'écriture virtuose. L'orchestre, plus attentif, précise le trait. Tous les péchés sont pardonnés.

L'unique bis scelle la réconciliation. Reinhard Goebel reprend l'archer pour le lamento de Johann Christoph Bach, "l'oncle de Jean-Sébastien qui est mourut en dix sept zéro trois" (sic). Pourquoi commence-t-on alors seulement à ressentir un peu de félicité ? Parce que la pièce, extraite de leur dernière collaboration discographique, a été mieux travaillée ? Parce que la tension, inhérente à chaque récital, retombe enfin et que les artistes, libérés, s'expriment plus facilement ? Parce que l'amateur d'opéra se laisse plus aisément séduire par le dramatisme qu'engendre le son de la voix, grave, entre le cri et la plainte, enchaîné à l'impitoyable scansion des cordes ? Qu'importe. "Le paradis n'est pas sur la terre, mais il y en a des morceaux" écrivait Jules Renard. Ce soir, nous en avons cherché vainement les éclats.
 
 

Christophe RIZOUD
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