C O N C E R T S 
 
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VENISE
05/01/05
Annalisa Raspagliosi
© DR
Jules MASSENET

LE ROI LAHORE

livret de Louis Gallet

Alim : Giorgio Casciarri
Sitâ : Annalisa Raspagliosi
Scindia : Marcin Bronikowski
Indra : Deyan Vatchkov
Kaled : Barbara Di Castri
Timour : Francesco Verna
Un chef : Carlo Agostini

Mise en scène : Arnaud Bernard
Décors : Alessandro Camera
Costumes : Carla Ricotti
Chorégraphie : Gianni Santucci
Lumières : Vinicio Cheli

Choeur de La Fenice (chef de choeur : Emanuela Di Pietro)
Orchestre de La Fenice, dir : Marcello Viotti

Teatro La Fenice,
Venise, le 5 janvier 2005

D'aucuns prétendront que Le Roi de Lahore n'est pas du bon Massenet, ce qui expliquerait l'oubli dans lequel est tombé ce "grand opéra". Pourtant, malgré ses invraisemblances, un orient de pacotille et les conventions du genre, l'oeuvre contient de beaux passages comme les deux duos Sitâ-Alim à la fin des deuxième et cinquième actes. Et puis découvrir la nouvelle édition critique réalisée par un amoureux de Massenet, le chef titulaire de La Fenice, Marcello Viotti, laissait entrevoir une soirée plus originale qu'une énième reprise de Manon ou de Werther.

La partition est donc donnée dans son intégralité avec le ballet, l'air de Kaled, le duo Sitâ-Timour de l'acte IV. Seul disparaît l'air difficile du V récupéré par Joan Sutherland : "Viens ô mon bien aimé". Le seul problème est que les oeuvres rares et délaissées - voire méprisées - ont besoin d'interprètes excellents pour pouvoir les défendre. Nous y reviendrons.

La mise en scène d'Arnaud Bernard ne s'écarte pas de la lisibilité et de la tradition, ce qui est compréhensible pour une oeuvre hors répertoire, qui ne se prête guère à une lecture révolutionnaire ou au troisième degré. Elle s'appuie sur des éléments de décors indiens : dômes, tentes de campagnes militaires, grille "moucharabieh", et sur des costumes comme on les imagine dans l'Inde coloniale de l'époque de Massenet. La mise en scène se fait par moments esthétisante (mouvements de combats au ralenti à l'acte II) ou se teinte d'humour à l'acte III. En effet, les bienheureux dans le paradis d'Indra se font photographier par un vieil appareil sur pieds et la divinité Indra apparaît sur un éléphant argenté à roulettes. Dire que la chorégraphie nous a transportés serait mentir...

L'orchestre et les choeurs sont d'un bon niveau, même si ces derniers pourraient chanter un francais plus intelligible. D'une manière générale, les interprètes sont peu compréhensibles, mais cela gêne-t-il les Vénitiens qui bénéficient du surtitrage en italien ou le public très international qui remplit la Fenice ces jours-ci ? La direction de Marcello Viotti, toujours soucieuse des chanteurs, connaît des moments un peu léthargiques (ainsi la valse avec saxophone de l'acte III pourrait être plus enlevée) mais gagne en intensité dramatique pour devenir vigoureuse et nerveuse aux actes IV et V. Le public peu concerné jusque là semble enfin sortir de sa froideur et applaudira plus longuement au rideau final.

Giorgio Casciarri est un ténor petit par la taille mais grand par la voix. Le rôle d'Alim n'est pas facile et il se tire fort bien de l'air éprouvant "O Sitâ ma bien aimée". Notons parmi les invraisemblances du livret qu'il chante, tout comme Sitâ plus tard, de longues minutes durant, des airs hérissés d'aigus... alors qu'il est mortellement blessé ! Annalisa Raspagliosi n'a pas froid aux yeux pour avoir chanté Valentine des Huguenots et maintenant Sitâ. Le rôle est fatigant mais elle le mène courageusement jusqu'à bon port.

Heureusement que le ténor et la soprano sont là, car les choses se gâtent avec le reste de la distribution. Le pauvre Marcin Bronikowski n'est qu'un pâle reflet de ce qu'on attend dans le rôle de Scindia. Projection faible, pas de mordant, aigus fragiles voire inaudibles; Scindia est un traître ambitieux qui devient roi, il lui faut donc une autorité vocale qui fait défaut ici. Son air de l'acte IV passe inaperçu et l'aigu final de l'acte V ("Dieu me frappera") est pitoyable. Deyan Vatchkov est un Indra correct, sans plus. Francesco Verna souffre lui aussi d'une projection insuffisante pour ce rôle de grand prêtre. Quant à Barbara Di Castri, on se réjouissait d'entendre son air exotique de l'acte II "Ferme les yeux ô belle maîtresse"... Las ! Le mezzo peine dans les aigus, le souffle est court et donc le phrasé chaotique.

Au final, un plaisir mitigé, celui d'avoir pu entendre une oeuvre rare, mais pas toujours bien défendue. Pour entendre un Scindia de légende, on recommandera de réécouter Sherill Milnes, parfaite incarnation du baryton exigé pour le rôle.
 
 

Valery FLEURQUIN
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