C O N C E R T S 
 
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PARIS
07/03/05

Martina Jankovà
© David Port
LEONORE

Ludwig VAN BEETHOVEN (1770-1827)

Opéra en trois actes (version de 1805)
sur un livret de Joseph Sonnleithner,
d'après Léonore ou l'amour conjugal de Jean-Nicolas Bouilly

Direction musicale : Marc Minkowski
Assistant musical : Benjamin Lévy
Chef de choeur : Walter Zeh

Florestan : Endrik Wottrich
Leonore/Fidelio : Franzita Whelan
Don Fernando : Robert Bork, 
Rocco Manfred : Hemm
Don Pizarro : Franz Hawlata
Marcellina : Martina Jankowà
Jaquino : Matthias Klink

Mahler Chamber Orchestra
Choeur du Théâtre des Champs Elysées

Paris, Théâtre des Champs Elysées
Lundi 7 Mars 2005

L'OMBRE D'ALEXIA.

La nouvelle était tombée le matin, annoncée par les médias et le soir même sur la scène du TCE, juste avant le concert : Alexia Cousin avait décidé de mettre fin à sa carrière. Plus d'un des spectateurs présents ce soir-là eut sans doute une pensée émue et nostalgique pour cette jeune chanteuse si prometteuse. Non que sa remplaçante ait démérité, bien au contraire, mais parce qu'on se prit à regretter l'absence d'Alexia Cousin et surtout à se dire in petto qu'elle aurait pu offrir au public cette ultime prestation en cadeau d'adieu...

Cette Leonore ou l'amour conjugal est, comme chacun sait, l'ébauche d'une version postérieure plus aboutie qui, sous le nom de Fidelio , verra le jour quelques années plus tard, en 1814.

Il y a à la fois de nombreuses similitudes et de notables différences entre les deux versions de ce chef-d'oeuvre. En raccourci, on pourrait dire que si Leonore regarde plutôt vers le passé (Mozart, Haydn), Fidelio lorgne déjà vers l'avenir (Wagner). C'est surtout vrai pour le rôle de Léonore, écrit dans la première version pour une voix plus virtuose et plus claire, et celui de Florestan, moins vaillant et de caractère plus intimiste, en un mot, tous deux plus "lyriques". La seconde requiert des deux protagonistes des moyens autrement dramatiques, quasiment wagnériens, comme en témoignent les terribles "Abscheulicher ! Wo eilst du hin ?" de Leonore et "Gott ! Welch dunkel hier !", de Florestan, d'une écriture à la limite "paroxystique" et de fait, d'une grande difficulté vocale.

On remarque dans Leonore un magnifique duo d'allure très mozartienne entre Léonore et Marcelline (on pense à la Comtesse et à Suzanne dans Les Noces) que Beethoven ne conservera pas. Par ailleurs, l'opéra s'ouvre après l'ouverture sur l'air de Marcelline, à peu près identique, à part quelques variantes, à celui de la deuxième version, alors que dans Fidelio, l'ouvrage commence après la célébrissime ouverture, plus grandiose, sur un ensemble.

Globalement, on pourrait trouver Leonore plutôt introspective, alors que Fidelio s'inscrit davantage dans une problématique chère au coeur de Beethoven, plus philosophique, plus politique aussi : celle de l'humanisme épris de liberté et de justice. En conclusion, tout était déjà dans Leonore, mais Fidelio la magnifie et lui confère une dimension plus vaste, en un mot plus universelle.

Pour sa part, l'auteur de ses lignes avoue éprouver une nette préférence pour Fidelio, sans doute pour les raisons évoquées précédemment, en particulier son caractère humaniste. Cependant, Leonore est loin d'être sans intérêt, et comparer les deux versions s'avère toujours un exercice particulièrement riche et passionnant.

Au TCE, dès l'ouverture, dite "Léonore II", les choses s'annoncent plutôt mal, en raison de la direction hachée, saccadée, trop contrastée de Marc Minkowski. Son interprétation manque de profondeur et de réelle ampleur, de cette largeur du geste perçue chez d'autres et qui, dans le cas présent, ne va pas jusqu'au bout du sens et du son et, surtout, accuse une absence d'unité et d'harmonie.


Endrick Wottrich

Fort heureusement, à l'arrivée des chanteurs, en l'occurrence de Marcelline (lumineuse Martina Jankovà), les choses s'arrangent et Minkowski redevient avec fougue et panache le chef lyrique de talent qu'il sait être, d'autant plus qu'il a la chance de bénéficier d'une distribution de haute tenue et, dans l'ensemble, plutôt homogène. S'en détachent donc la Marcelline délicieuse de Martina Jankovà - dont la musicalité raffinée, la grâce, le timbre très pur et l'émission un peu tremblée évoquent irrésistiblement Gundula Janowitz et Teresa Stich-Randall (les aficionados apprécieront la comparaison) - et Endrik Wottrich, formidable ténor, rompu au répertoire wagnérien. On l'écoute cependant avec un léger sentiment de frustration, car compte tenu de l'importance de ses moyens et de son fort pouvoir émotionnel, on eût préféré l'entendre dans l'air héroïque de la deuxième version, plus conforme à ses capacités et à son tempérament...

Dans le rôle du "méchant" Don Pizarro, Franz Hawlata est, comme toujours, efficace, mais, comme souvent aussi, a tendance à "en faire un peu trop", en un mot à forcer le trait, là où d'autres livreraient une lecture à la fois plus nuancée et plus machiavélique.

On note, en moins marqué, et cette fois dans le registre de la bonhomie truculente, le même défaut chez le Rocco de Manfred Hemm, avec des moyens vocaux cependant moins conséquents que ceux d'Hawlata.


Franzita Whelan

Après avoir salué les belles prestations de Matthias Klink en Jaquino et de Robert Bork en Don Fernando, tous deux irréprochables de style et de rigueur vocale, arrivons-en au rôle-titre. Le jeune soprano Irlandais, Franzita Whelan, dépêchée en catastrophe pour remplacer Alexia Cousin (un quart d'heure avant l'ouverture des portes au public, on entendait encore tout ce beau monde répéter), mérite, certes, eu égard aux circonstances, des éloges et quelque indulgence. La voix, typiquement lyrique, est de belle couleur, homogène et possède de la puissance. Ajoutons cependant qu'elle avait déjà chanté ce rôle au Welsh National Opera et que le trac, qui donne parfois des ailes à certains artistes, la laisse ce soir-là d'une placidité parfois gênante, voire à contresens quant à la nature du personnage. Triomphant sans difficulté dans l'élégie (sublime duo avec Marcelline) elle ne parvient pas à se montrer convaincante dans la passion et l'élan. Et pour le coup, Alexia Cousin et son enthousiasme nous manquent doublement.

Les choeurs du Théâtre des Champs- Elysées, sous la houlette de leur chef Walter Zeh, nous offrent un très émouvant "Oh welche Lust, in freier Luft". Quant au Mahler Chamber Orchestra, on l'a entendu, il faut bien l'avouer, en meilleure forme, il est vrai sous la direction de Claudio Abbado, son fondateur et père spirituel. En l'occurrence, la direction chaotique et trop souvent pesante de Marc Minkowski, surtout au finale, qui ne parvient pas vraiment à "décoller", dut le déstabiliser quelque peu.

Pour conclure, une soirée à la fois imparfaite et passionnante, somme toute assez vivante, dont le lecteur pourra apprécier la retransmission sur les ondes le 2 mai prochain. (France Musiques, 20 heures) (*)

Juliette BUCH

(*) Ce concert a aussi été donné le 9 mars, également au TCE.

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