C O N C E R T S
 
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BADEN BADEN
07/06/2006
 
© A. Kremper
Richard WAGNER

LOHENGRIN

Opéra en trois actes
Livret du compositeur

Direction musicale : Kent Nagano
Mise en scène : Nikolaus Lehnhoff
Décors : Stephan Braunfels
Costumes : Bettina Walter
Lumières : Duane Schuler
Chorégraphie : Denni Sayers

Lohengrin : Stuart Skelton
Elsa von Brabant : Solveig Kringelborn
Otrrud : Anette Bod
Friedrich von Telramund : Tom Fox
Le Roi Heinrich : Reinhard Hagen
Le Héraut du Roi : Roman Trekel

Chœur EuropaChorAkademie Mains
chef des chœurs : Joshard Daus
Chœur de l’Opéra de Lyon
chef des chœurs : Alan Woodbridge

Deutsches Symphonie-Orchester Berlin

Coproduction
Festspielhaus Baden-Baden - Opéra National de Lyon
Scala di Milano


Baden-Baden, Festspielhaus, 7 juin 2006

Coup de froid sur Lohengrin

La fin de printemps bien hivernale qu’a connu l’est de la France et l’Allemagne a valu au Festspielhaus de Baden-Baden une de ces mésaventures dont tout théâtre se passerait bien. Alors que les crêtes de la Forêt Noire se blanchissaient d’une improbable neige de juin, la plaine rhénane n’échappa pas à une brutale chute du thermomètre. Et si certains des chanteurs présents pour le Lohengrin de Baden-Baden passèrent à travers les flocons, d’autres subirent un refroidissement tel qu’ils se retrouvèrent sans voix. Ainsi Klaus Florian Vogt et Waltraud Meier ne purent chanter la troisième représentation (la nôtre !...). Si le premier pouvait assurer la partie scénique (tandis que le ténor Stuart Skelton chantait sur un côté de la scène), Waltraud Meier fut par contre tout à fait remplacée par Anette Bod.

Que deux des principaux chanteurs prévus (qui plus est, des artistes prestigieux et très attendus) soient ainsi absents est chose rare et fort décevante pour le spectateur. Mais celui-ci ne fut visiblement pas le seul désappointé par cette mésaventure. Tout le plateau semblait handicapé par l’absence de ces artistes qui avaient participé aux deux précédentes représentations. Le fait de voir un Lohengrin en play-back (chose qui doit être fort déstabilisante pour ses partenaires), de sentir un Roi visiblement lui aussi bien mal en point et une Ortrud sans présence mais éructant ses aigus ajoutait au malaise : on frôlait la catastrophe, la “sauce” ne prenait pas, notamment dans un deuxième acte bien terne qui jamais ne réussit à décoller et transporter le public, ce qui est un comble lorsque l’on connaît la force irrésistible de la partition.

On ne blâmera personne, pas même Anette Bod qui, malgré son chant pour le moins désagréable, sauva la représentation. Stuart Skelton quant à lui tint vaillamment sa partie au point de recevoir un très beau succès au rideau final. Le ténor australien affiche en effet une voix idéale pour le rôle et le chanteur sait subtilement alterner l’héroïsme et la douceur. Seuls des aigus parfois fragiles sont à regretter dans cette belle prestation.

L’Elsa de Solveig Kringelborn affiche elle aussi une voix plutôt idéale pour le rôle, le chant est soigné et pourtant, on n’arrive pas à être captivé par une incarnation sans doute trop distante. Le Telramund de Tom Fox est lui plus impliqué et sonore mais on lui reprochera d’être un peu trop monolithique si ce n’est caricatural.

Le bonheur viendra alors des chœurs (EuropaChorAkademie et Chœur de l’Opéra National de Lyon), fournis, beaux et solides, et surtout de l’orchestre absolument somptueux (Deutsches Symphonie-Orchester Berlin). La beauté du pupitre de cordes, des soli de bois et l’homogénéité des cuivres force l’admiration. Par ailleurs, l’orchestre de scène, loin d’être sacrifié - comme c’est hélas parfois le cas en France - brille par une assurance et une puissance de jeu tout à fait renversantes. Une telle prestation rend la comparaison avec l’orchestre français voisin (l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg, entendu la veille dans Don Carlos) très très cruelle...

La direction de Kent Nagano quant à elle est irrégulière : tantôt le chef sait admirablement modeler les phrases et mettre en valeur l’orchestration si particulière de cet ouvrage (magnifique Prélude du premier acte avec des pianissimi scrupuleux), tantôt il ne semble plus être qu’un batteur de mesure et le discours en devient creux. Les sublimes phrases des violons à la fin de la scène Elsa-Ortrud du deuxième acte sont ainsi d’une incompréhensible et consternante platitude. Notons en outre des décalages assez fréquents entre chœur et orchestre, mais ceci est sans doute aussi dû à une grande distance fosse-plateau propre à cette salle.

La mise en scène de Nikolaus Lehnhoff joue la carte du dénuement et de l’esthétisme, parfois très “mode”. Si un tel parti pris ménage des images superbes (un Prélude du premier acte absolument époustouflant), il peut aussi glacer certaines scènes voire même un acte entier comme le deuxième, avec son immense escalier barré en son milieu d’un pallier incliné et bordé de parois lisses (on pense au magnifique escalier du Macbetto de Vittez/Kokkos à l’Opéra Garnier dans les années 1980, mais celui-ci était autrement “habité”), ou la première scène du 3° acte, avec son piano à queue sur lequel joue Lohengrin (piano à queue inversé : les cordes les plus longues sont du côté droit alors qu’elles devraient être à gauche... La symbolique de cette inversion nous a échappé car l’erreur est trop grossière pour être - nous l’espérons du moins - accidentelle). L’acte I, puis le deuxième tableau du troisième se déroulent quant à eux dans un judicieux amphithéâtre, sorte d’arène qui a l’avantage d’accroître la tension aux moments forts.

L’apparition du cygne jouera elle aussi la carte de l’esthétisme : un faisceau lumineux barre verticalement le fond de scène (le col du cygne) tandis que les gradins s’illuminent chacun d’un discret filet lumineux (les ailes). C’est beau, mais la magie de l’apparition et les propos que Lohengrin adresse à son cygne tombent quelque peu à plat. L’aspect surnaturel du héros n’est ainsi, à notre sens, pas assez mis en valeur. Le combat entre Telramund et Lohengrin est “banal” alors qu’il devrait afficher non seulement la supériorité du héros mais aussi son irréalité (nous ne pouvons en écrivant ces mots nous empêcher de penser à l’extraordinaire mise en scène de Werner Herzog à Bayreuth...).

Au final, ce travail scénique laisse mitigé, la beauté des images ne pouvant compenser entièrement une certaine froideur freinant l’élan de plusieurs scènes.


Pierre-Emmanuel Lephay

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