C O N C E R T S
 
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LYON
14/10/2006
 
© Opéra de Lyon
Richard WAGNER (1813-1883)

LOHENGRIN

Le Roi Henri, Hans Sotin
Lohengrin, Hugh Smith
Elsa, Gunnel Bohman
Telramund, Tom Fox
Ortrud, Evelyn Herlitzius
Le Hérault du Roi, Brett Polegato

Orchestre et Chœurs de l’Opéra de Lyon
Lothar Koenigs

Mise en scène, Nikolaus Lenhoff
Décors, Stephan Braunfels
Costumes, Bettina Walter
Eclairages, Duane Schuler

Opéra National de Lyon, le 14 octobre 2006

Ortrud victorieuse par KO


Lohengrin est, de tous les opéras de Wagner, le petit chéri du public. C’est une question d’atmosphère(s) ; de musique aussi. C’est le plus proche de l’opéra « traditionnel » avec ses formes relativement fermées ; du teutonisme italianisant. Et puis il y a le merveilleux et tout son attirail : le beau chevalier et son cygne.

Ni l’un, ni l’autre ici. Aïe, aïe, aïe. Le prince est redevenu grenouille et le cygne s’est envolé. Lenhoff nous refait le coup du « camembert » bayreuthien au centre de la scène ; il nous installe l’histoire dans un univers minéral vaguement post-nazi avec uniformes et tout le tralala. Tout le deuxième acte, joué sur une monumentale volée d’escalier très bien éclairée est vraiment beau ; le reste laisse ou bien froid ou bien perplexe. Moi, je n’ai pas encore compris pourquoi Lohengrin joue du piano pendant sa nuit d’amour (sincèrement ce n’est pas le genre de choses qui se font). Mais cela ne mérite pas les huées que l’on a entendu fuser (même timidement) en ce soir de première. C’est atemporel mais surtout très bien dirigé du point de vue des acteurs. Et ça, c’est bien !

Le seul échec vient du héros auquel on ne croit pas ; mais alors pas un seul instant. D’abord son habit de lumière « néo-disco » avec son drôle de casque de playmobil ridiculiserait n’importe qui. Et puis il faut reconnaître que ce gros garçon qu’est Hugh Smith est très fâcheusement emprunté. Cela donne à son personnage un côté ange égaré et pédant… Bref…

Bref sur scène il dépare un peu malgré une voix assez étonnante. Plutôt sombre, pas du tout lumineuse comme pouvait l’être celle de Melchior ou Konya ; plus proche de Vickers en fait et tout sauf italianisante. Mais pourquoi pas, après tout. La technique paraîtra plus erratique. Si Smith s’offre des allégements superbes dès son entrée ou au début du duo du III, le reste est assez forcé. Puissant ; surpuissant même. Mais sans onction ni grâce surnaturelle. Dommage ; si tout avait été du niveau de son récit du Graal…

Autour, le meilleur et le moins bon. Polegatto est un excellent Hérault, presque un Telramund déjà. Sotin est en toute fin de course, mais comme ladite course fut glorieuse, son Roi garde une aura imposante. Tom Fox en Telramund souffre un peu dans le grave ; un peu dans l’aigu aussi. Mais comme les deux se trouvent rarement dans la même phrase, nous ne souffrons de notre côté pas trop. La tessiture du rôle est assez inchantable, en fait, et Fox relève le gant avec panache et noirceur. On ne lui en demande pas plus.

On en demanderait en revanche un peu plus à l’Elsa de Gunnel Bohman. Joli timbre mais sans vertiges. Sans vrai ombre ni réelle lumière. La phrase est plutôt bien menée malgré des passages à l’arrachée. Le personnage, lui, est un peu falot, vaguement popote. Elsa souffre les deux-tiers de l’opéra, assez statique avant de verser dans une occupation hyperactive du plateau au III pour un duo à la fois émouvant et presque inquiétant d’inquisition agressive. C’est assez original pour être souligné.



Mais il y a Ortrud. Ortrud c’est Evelyn Herlitzius, bayreuthienne distinguée ces dernières années. Vamp vipérine, Nina Hagen anarcho-punk érotisante, elle déchaîne des forces un peu oubliées depuis les années glorieuses de Varnay et celles plus récentes de Jones ou Silja. D’une mobilité de reptile, elle susurre, assène et hurle, maîtresse de registres calibrés au millimètre près. Hallucinée elle transfigure le rôle de la magicienne machiavélique ; non seulement elle le transfigure mais elle le confisque sans doute pour longtemps. Et quand on pense avoir tout vu en terme de puissance visionnaire dans « Entweihte Götter » elle s’offre le luxe d’un final éruptif, surgi des abîmes qui laisse, lui, sans voix.

C’est sans doute Herlitzius qui est la plus proche de la lecture de Lothar Koenigs, horizontale, privilégiant l’avancée d’une action qui n’aura jamais été si proche de la geste médiévale. Même le récit du Graal passera dans ce mouvement d’aspiration redonnant à chacun sa « corporalité » musicale, comme à l’arrachée, bouillonnante. L’aigu crissant des violons du prélude participe de ce tourbillon romantique, comme l’envolée du chœur, épique, vibrant. Excellence de ce côté-ci. Visionnaire au plein sens du terme.

Tout cela pour un Lohengrin de bonne tenue : des bas pas trop bas et des hauts très très hauts.



Benoît Berger



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