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BOLOGNE
28/03/2006
 
Saïmir Pirgu
© www.saimirpirgu.com
Gustav Albert LORTZING (1801-1851)

SCENE DELLA VITA DI MOZART
(Mozart-Szenen – 1832)

Singspiel en un acte
Livret réécrit par Lorenzo Arruga
d’après la traduction de Carla Moreni

Sergio RENDINE (1954)

UN SEGRETO D’IMPORTANZA
Ovvero La fatticosa vecchiaia di Wolfgang Amadeus Mozart

Opéra en un acte
Livret de Lorenzo Arruga

Mise en scène, Dan Jemmett
Décors et costumes, Dick Bird
Lumières, Andrea Oliva
Chef de chœur, Mario Benotto

Personnages et interprètes de
Scene della vita di Mozart
L’acteur, Arnoldo Foa
Wolgang Amadeus Mozart, Saïmir Pirgu
Leopold Mozart, Paolo Bondioli
Constance Mozart, Anna Laura Longo
Aloysia Lange, Claudia Marchi
Antonio Salieri, Bruno Pratico
Georg Albrechtsberger, Andrea Porta
Valentin Adamberger, Emanuele d’Aguanno
Georg Nikolaus Nissen, Claudio Radicia
L’intendant des théâtres impériaux, Gabriele Tesauri

Personnages et interprètes de 
Un segreto d’importanza
Rossini, Bruno Praticò
Mozart, Saïmir Pirgu
La guide, Claudia Marchi
Isabella Colbran, Anna Laura Longo
Padre Mattei, Andrea Porta
Le visiteur, Andrea Porta
Mozart en coulisse, Emanuele d’Aguanno et Claudio Barbieri
Rossini enfant,Federico Brandimarti

Orchestre et chœur du Teatro Comunale de Bologne
Chef d’orchestre, Paolo Arrivabeni

Nouvelle réalisation
du Teatro Comunale de Bologne
en coproduction avec l’Opéra de Rome

Bologne, le 28 mars 2006

Après Bastien et Bastienne en octobre et Ascanio in Alba en décembre, la contribution du Teatro Comunale de Bologna à la célébration de l’année Mozart s’achève avec le couplage de deux œuvres en un acte ayant en commun la présence du compositeur comme personnage. De Lortzing, chanteur et compositeur né et mort à Berlin on connaît surtout Zar und Zimmermann et Undine. On sait moins qu’il admirait Mozart au point de lui consacrer un singspiel en s’inspirant de la biographie du compositeur rédigée par Von Nissen, le second mari de Constance, et terminée par elle après le décès de celui-ci.

Mozart revu par Lortzing

En 1832, ces Mozart-Szenen sont une œuvre pionnière, destinée à diffuser un portrait de Mozart en fonction des connaissances de l’époque et de l’imagination de Lortzing. Ainsi à côté de données exactes – le voyage infructueux à Berlin, les commérages autour de la conduite de Constance, la réception chez le baron Van Swieten – il tire Léopold Mozart de la tombe pour en faire l’heureux témoin de la nomination de son fils comme Maître de Chapelle de la cathédrale Saint-Etienne, qui n’eut jamais lieu.

La version présentée à Bologne remanie le texte, pour donner la parole à un acteur qui évoque d’abord la personnalité de Lortzing, avant d’introduire successivement les diverses scènes dont l’enchaînement forme la continuité dramatique. La première, au Prater, la célèbre promenade, rappelle l’hostilité du public viennois à Mozart et montre Salieri furibond parce que la faveur impériale s’étend à son jeune rival. La deuxième, chez Mozart, présente Constance victime de la malveillance, dénigrée comme chanteuse et calomniée sur sa conduite, soutenue par sa sœur Aloysia et les amis de Mozart, Adamberger et Albrechtsberger ; Mozart, rentré de Leipzig, révèle avec ferveur les rouleaux de musique qu’il en rapporte : les œuvres de J.-S. Bach. Salieri, venu en visiteur, rejette ce goût dépravé. La dernière scène est une sorte de triomphe pour Mozart, à qui le Baron von Swieden offre une grande fête ; tous les noms importants sont présents, même Salieri, dont les manœuvres pour provoquer la chute de Don Giovanni sont dévoilées, et jusqu’au père de Mozart !

Repiquages

Ce divertissement se déroule sur une partition qui est constituée essentiellement de réorchestrations, par Lortzing, d’œuvres de Mozart . L’ouverture est formée par l’adagio et la fugue du quatuor à cordes K 546 et le dernier mouvement du quatuor à cordes K465 ; suivent le Finale de l’acte II de Cosi, le Dies Irae et le Rex tremendae du Requiem, le premier mouvement des sonates en ré majeur K284 et K311 ; puis une berceuse attribuée à Mozart – K350 – le deuxième mouvement de la sonate en do majeur K330, le nocturne pour soprano et basse K 437, le premier mouvement de la sonate en ré majeur K311 et le troisième mouvement de la sonate en ré majeur K 284, le duo avec chœur ( n°21) de Cosi, le sanctus du Requiem et le n°26 de La Clemenza di Tito.

Le dispositif unique conçu par Dick Bird est composé au premier plan de vitrines à jardin et d’un grand rideau rouge duquel émerge, au milieu de la scène, un pianoforte où Salieri et Mozart s’assiéront tour à tour. Pendant l’ouverture, les choristes entrés un à un se saisissent de verres ; ils représentent la foule viennoise réunie au Prater . Puis l’acteur maître de la cérémonie, dans un soliloque d’abord destiné à soi-même et puis adressé au public, évoque Lortzing avant d’annoncer Salieri . Comme tous les autres excepté l’acteur il porte l’habit du XVIII°.

Bruno Pratico prête au personnage sa superbe exubérance ; le metteur en scène le fait descendre dans la salle et distribuer des autoportraits, puis chanter un air de fureur du milieu du parterre, sans voir la fosse et seulement le dos du chef, gageure soutenue avec brio d’une voix expressive et sonore. Anna Laura Longo donne de Constance une image peu satisfaisante, ce soir-là, tant les aigus sont tendus. Bonne prestation en revanche des autres chanteurs, même si leur rôle ne leur permet pas de s’exhiber dans cette œuvre-là.

Pour incarner l’acteur, l’homme de théâtre lié par son engagement professionnel aux créateurs, vecteur des textes et des émotions, on a fait appel à un grand seigneur du théâtre italien, Arnoldo Foa. L’homme est une institution dans son pays, et ce depuis longtemps, puisqu’il est né en 1916. Sans doute a-t-il une présence indéniable, et une voix profonde et prenante. Mais au fil de la représentation la diction se fait moins nette, et une certaine lenteur s’installe, qui enlève au spectacle une partie de son rythme. La performance, solitaire, serait à saluer ; ici, elle laisse réservé.

Mozart n’est pas mort à 36 ans

Après l’entracte, voici donc Un Segreto d’Importanza. A l’origine de cette œuvre, une pièce de théâtre écrite par Lorenzo Arruga un peu par hasard, selon ses propres termes, pour le Festival 1982 de Martina Franca, alors dirigé par Rodolfo Celletti, et dont le titre pourrait être traduit ainsi : La pénible vieillesse de Wolfgang Amadeus Mozart. Ainsi était résolu « un problème qui angoissait les historiens de la musique. Pourquoi la dépouille de Mozart ne fut-elle jamais retrouvée ? Parce que Mozart ne mourut pas à 36 ans : il avait une série de dettes et de conquêtes qui le préoccupaient, il feignit de mourir et il s’enfuit en Italie où il vécut en écrivant en cachette la musique signée par un garçon de Pesaro, un certain Gioacchino Rossini. Et ainsi s’explique aussi pourquoi Rossini, après Guillaume Tell, ne composa plus d’opéras : Mozart était mort, à 73 ans. »

« Dès lors tout va de soi : la Colbran, célèbre cantatrice, écoute Mozart improviser et se fiance à Rossini ; Rossini cuisine et Mozart écrit ; la Colbran, une nuit de pleine lune, demande à Rossini de lui jouer quelque chose, il s’y essaie et elle divorce. Mozart pense à la lointaine Salzbourg et regrette de n’être pas mort jeune. »

Mozart a la plume et Rossini le fouet

Sur scène les vitrines sont toujours là , mais le grand rideau rouge qui fermait l’espace derrière elles s’abat et révèle des gradins en amphithéâtre d’où les touristes écouteront une guide dont le discours s’orne de vocalises en fonction de sa conviction – remarquable numéro vocal et scénique du mezzo Claudia Marchi – avant d’aller s’extasier devant les souvenirs à l’abri derrière les vitrines. Au centre, sur le pianoforte, un cadavre, celui dont les pieds dépassaient de manière incongrue dans la première partie.

Musée, histoire, la mort est au centre, elle est présente dès le début : dans la première scène un messager vêtu de noir demande à Mozart d’écrire un Requiem ; il refuse à la manière de Don Giovanni sommé de se repentir par le Commandeur ; mais l’offre d’un gain substantiel aura raison de sa résistance. Dans la deuxième scène, le Père Mattéi, enseignant au Lycée Musical de Bologne – où Mozart enfant le rencontra – se désespère des maigres résultats d’un de ses élèves, peu enthousiaste et apparemment peu doué, que ce soit pour le piano ou pour la composition . Un homme est là, des feuillets à la main ; le Père Mattéi s’en saisit et s’extasie : cela lui rappelle Mozart ! Mais quand l’homme affirme qu’il est Mozart lui-même et explique que sa mort est un expédient qu’il a trouvé pour se tirer d’une situation très compliquée, le Père Mattéi refuse de le croire et l’injurie. Alors, pour se venger, Mozart se saisit du feuillet sur lequel le jeune garçon est en train de sécher et compose en quelques instants …Di tanti palpiti, l’air d’entrée de Tancredi dans l’opéra du même nom. Tandis que les touristes reprennent la version « officielle » de la précocité du génie de Rossini, le Père Mattéi à son tour s’extasie sur le miracle qui vient de se produire. Alors, subrepticement, Mozart propose au jeune garçon la conclusion d’un pacte. Et les touristes d’énumérer les œuvres qui se sont succédées et qui ont fait la gloire de Rossini ; Mozart, au pianoforte, compose, et Rossini devant son four, cuisine. Etc.

Saïmir Pirgu trouve ici l’occasion de faire valoir sa musicalité, de quoi donner envie d’entendre ce jeune ténor choisi naguère par Claudio Abbado pour Cosi dans de vrais rôles mozartiens. On est un peu triste pour Isabella Colbran, celle dont Rossini ne divorça pas quand ils se furent séparés, que son incarnation ne soit pas à la hauteur souhaitable. Andrea Porta est efficace en messager et en Père Mattéi. Après Salieri, c’est à Rossini que Bruno Pratico prête son embonpoint et sa drôlerie ; il serait facile de croire devant cette face d’épicurien qu’il s’agit bien du gourmand musicien !

Dans la fosse Paolo Arrivabeni dirige avec souplesse et réactivité un orchestre du Comunale en grande forme, qui semble prendre plaisir à passer des sages transpositions de Lortzing à l’inventivité rythmique et orchestrale de la partition de Rendine, qui reste toujours séduisante et nous a fait penser, lorsqu’elle ne s’appuie pas sur des modulations autour de Mozart et Rossini, au dynamisme et à la clarté d’un Bernstein .

Mention spéciale pour les interventions du Chœur du Comunale, remarquable de présence, de justesse et d’homogénéité.

Au finale, une très séduisante initiative qui aurait fait sourire Mozart et Rossini.


Maurice SALLES

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