C O N C E R T S 
 
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MILAN
21/07/06
 
Photos sur le site de la Scala (Format Flash)
Gaetano DONIZETTI (1797-1848)

LUCIA DI LAMMERMOOR

Opéra en deux actes
Livret de Salvatore Cammarano

Mariella Devia : Lucia (adieux au rôle)
Giuseppe Filianoti : Edgardo
Ludovic Tézier : Lord Enrico
Ildar Abdrazakov : Raimondo
Ki Hyun Kim : Lord Arturo
Alisa Zinovieva : Alisa
Carlo Bosi : Normanno

Direction : Roberto Abbado

Production : Pier’Alli

Chœurs et orchestre du Teatro alla Scala

Milan, le 21 juillet 2005

INCROYABLE DEVIA


Les adieux d’un artiste lyrique présentent toujours un risque de frustration ; soit le chanteur part alors que ses moyens lui permettent d’offrir encore quelques années de bonheur à son public ; soit il est déjà trop tard (et ne parlons pas de ceux qui n’abandonnent jamais !).
En choisissant à 58 ans de retirer Lucia de son répertoire, Mariella Devia fait incontestablement partie de la première catégorie et il faut ici saluer l’intégrité d’une artiste admirable. Sa Lucia est un miracle de délicatesse et de maîtrise : vocalises parfaites, suraigus traditionnels délivrés sans effort apparent, piani extatiques, science de la coloration … On imaginerait facilement que Devia puisse continuer à chanter ce rôle de nombreuses années, mais les choix de la cantatrice se portent dorénavant vers des rôles plus lourds qui auraient du mal à coexister avec sa Lucia.
On ne fera toutefois pas abstraction d’une certaine placidité dans l’interprétation : à l’opposé d’une Joan Sutherland ou d’une June Anderson qui savaient rendre à la perfection la démence de l’héroïne, Devia tire la Scène de Folie vers le somnambulisme de l’Amina de Bellini et sa Lucia manque de corps. A cette réserve près, bien peu d’artistes sont aujourd’hui capables d’une telle performance belcantiste.
Cette ultime série de « Lucia » marque donc la fin d’une époque et on regrettera que le public de la Scala n’ait pas été à la hauteur de l’événement : un simple bouquet de fleurs jeté des galeries à la fin de la première partie de la Folie, un parterre qui se vide précipitamment au baisser de rideau, des incitations au silence à destination de ceux qui crient « bravo » trop fort ou trop longtemps … voilà des spectateurs qui ne méritent pas les spectacles qu’on leur offre.

Giuseppe Filianoti est un Edgardo vaillant, mais essentiellement en force, qui n’abandonne le registre forte que pour quelques piani en voix de tête. Excessivement sollicité par une tessiture très tendue, le timbre a rapidement tendance à blanchir. Cette exposition permanente aux limites des capacités vocales fait craindre pour la pérennité des moyens du chanteur : ce soir, le jeune ténor italien va au bout du rôle sans accident, mais il n’en aura pas été de même à toutes les représentations, un problème déjà évoqué à l’occasion de ses Nemorino à New-York (lien vers la critique). Au global, l’interprétation peut séduire par son engagement viril et une juvénilité enthousiasmante, mais nous sommes à des années lumières des miracles belcantistes d’Alfredo Kraus ou de Carlo Bergonzi.

Ludovic Tézier campe un Enrico générique, correct dans les parties peu exposées, mais un peu dépassé dès qu’un minimum d’agilité est requise : les passages vocalisant sont systématiquement en retard sur l’orchestre, et les aigus sont peu généreux quand ils ne sont pas éludés.

A l’inverse, Ildar Abdrazakov renouvelle l’intérêt du rôle de Raimondo par un chant très contrôlé, tout en nuances, avec une maîtrise du souffle parfaitement belcantiste.

Les seconds rôles sont particulièrement bien tenus, et les chœurs remarquablement efficaces.

Gros point noir de la soirée, Roberto Abbado délivre une lecture particulièrement médiocre de la partition : incapacité à construire une tension dramatique, à faire ressortir les pupitres (le violoncelle qui accompagne la mort d’Edgardo passe ainsi à la trappe), tempi généralement pesants. Si on peut se féliciter du rétablissement de la scène de l’orage, pourquoi avoir maintenu toutes ces microcoupures (strettes, reprises, points d’orgue) qui datent d’un autre age ? Seule satisfaction, les chanteurs ne sont jamais couverts par l’orchestre : mais l’acoustique de la Scala y ait aussi pour quelque chose. Au rideau final, « le neveu de l’autre Abaddo » sera accueilli par une bonne bordée de huées en provenance du poulailler ; dans l’absolu, on peut comprendre cette frustration, considérant que, pour une telle occasion, la Scala aurait pu faire les frais d’un chef qui comprend un tant soit peu cette musique. Mais pour une soirée d’adieux, une telle réaction est franchement déplacée.

La production de Pier’Alli est un cadre plutôt traditionnel, relativement plaisant esthétiquement : hélas, « n’est pas Zeffirelli qui veut » et le metteur en scène n’arrive pas à créer l’intimité ou la poésie attendue, empêtré dans des déplacements souvent gauches (en particulier ceux des masses orchestrales qu’il tente de contrer par des ballets de figurants plutôt vains) et gêné par des décors par trop monumentaux. Au moins sa vison cadre-t-elle parfaitement avec l’interprétation tout en délicatesse de Mariella Devia.


 
Placido Carrerotti
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