C O N C E R T S 
 
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SALZBOURG
25/07/06

Annick Massis - Roberto Sacca
© DR
Wolfgang Amadeus MOZART (1756-1791)

LUCIO SILLA

Dramma per musica en 3 actes KV 135
Livret de Giovanni de Gamerra

Lucio Silla : Roberto Sacca
Giunia : Annick Massis
Cecilio : Monica Bacelli
Lucio Cinna : Veronica Cangemi
Celia : Julia Kleiter
Aufidio : Stefano Ferrari

Mise en scène : Jürgen Flimm
Décors : Christian Bussmann
Costumes : Birgit Hutter
Lumières : Manfred Voss
Chorégraphie : Catharina Lühr   
Coproduction du festival de Salzburg et du Teatro La Fenice.

Chœur du Teatro La Fenice
chef du chœur : Emanuela Di Pietro
orchestre du Teatro La Fenice de Venise
direction musicale : Tomas Netopil

Felsenreitschule, Salzburg, 25 juillet 2006

Le tyran confondu

Le marathon lyrique (22 œuvres programmées !) de cette année commémorative avait commencé la veille avec Il re pastore à l’université, mais le premier spectacle faisant l’ouverture de la Felsenreitschule a été Lucio Silla. Nous avons eu l’occasion de voir cette production fin juin à la Fenice, cependant l’équipe a répété de nouveau pour s’adapter à la largeur de la scène. Ainsi une immense toile peinte représentant un ciel en fond de scène n’avait pas été utilisée à Venise.

Cette production ravive une problématique récurrente sur nos scènes lyriques. Très convaincante sur le plan du jeu des chanteurs, elle appelle plusieurs réserves pour ce qui est de la scénographie. Saluons le travail de direction d’acteurs : les six personnages, le chœur et les figurants jouent avec conviction. Nul doute que la psychologie des personnages a été mûrement réfléchie, fouillée, approfondie, et les chanteurs, très impliqués, jouent avec assurance, nous faisant partager les affres et les hésitations de leur personnage. Signalons que Jürgen Flimm change le dénouement dans le sens que le dictateur n’amnistie pas par grandeur d’âme ou compassion, mais sous la menace… et qu’il sera poignardé pendant le finale. Nous sommes loin d’une vision optimiste : il faut forcer la main aux tyrans. L’image finale est celle de Silla expirant tandis que Giunia préoccupée se retourne une dernière fois vers lui.

En revanche plusieurs regrets viennent assombrir le tableau. Jürgen Flimm a voulu éviter les costumes à l’antique et a préféré situer l’action à l’époque des Lumières, idée tout à fait légitime pour ce drame politique. Cependant l’harmonie vestimentaire se trouve brisée par la présence de certains costumes disgracieux, dépareillés, pour ne pas dire laids. Il en est de même pour les décors. L’élément principal est un arc de triomphe de style romain ; de face il a la beauté du marbre blanc, mais très vite il pivote pour nous laisser voir l’envers du décor : l’échafaudage qui le soutient, les vieilles affiches collées dessus, les néons. On comprend bien l’idée : la façade est belle et lisse mais les coulisses du pouvoir sont peu reluisantes. Rien à redire là-dessus. En revanche des deux côtés de cet arc, des chaises modernes, un lit de fer, voire des barrières de chantiers, des paravents ou cloisons fort laids, bref toute une brocante disparate bien hétéroclite. Pour ce qui est de la chorégraphie, disons par charité qu’elle est perfectible. Au crédit donc de Jürgen Flimm, futur directeur du festival dès 2007 et sans conteste homme de théâtre, le travail sur la mise en scène, mais à son passif une esthétique décevante. Au final, applaudissements nourris et quelques légères huées pour Flimm et son équipe.

Venons-en à la musique : un chœur et un orchestre en grande forme, en progrès depuis le mois de juin. Une équipe de chanteurs très solide et soudée. Aucun élément indigne, ce qui n’est pas mince quand on sait les exigences vocales de chaque rôle.

Quelques faiblesses passagères pourraient être signalées : par exemple Stefano Ferrari chante son air avec trop de précipitation, ce qui l’oblige à savonner certaines vocalises. C’est dommage car la chaleur qu’il met à l’interpréter se retourne contre lui.
Autre exemple, Veronica Cangemi se lance dans la bataille dès le premier air, et peut-être sous l’effet d’un trac bien compréhensible quand on est la première à intervenir, respire plus souvent au milieu des traits qu’elle ne le faisait à Venise. Mais son engagement et sa fougue force le respect. D’une manière générale, si l’on voulait être pointilleux, pour ces deux chanteurs, comme pour d’autres, on aimerait que les trilles soient correctement battus : trop de cadences se terminent par des ersatz de trilles.

Roberto Sacca est un Lucio Silla plein de morgue et l’acteur remarquable. Julia Kleiter est une Celia charmante, la voix sonne juvénile et se projette facilement dans toute la salle. Monica Bacelli est un modèle de musicalité : son chant sait se faire ardent mais peut adopter, au dernier acte par exemple, une retenue pleine de sensibilité. Quant à Annick Massis, son chant offre une remarquable palette de couleurs et d’affects. On ne peut citer tous ses airs mais il faut entendre son « O del padre ombra diletta » avec cette intonation sur « ombra » à donner le frisson. Ce qui ne l’empêche pas de triompher des difficultés ahurissantes du « Ah se il crudel periglio » conclu par un aigu lumineux. Du très grand art.

Terminons par l’agréable surprise créée par le jeune chef tchèque Tomas Netopil. Sa direction allie vivacité, fougue et une élégance des contours, soignant les attaques, les motifs de transition, les fins de phrase… tout ce qui fait une musique en marche. Le programme rappelle que le spectacle est dédié au regretté Marcello Viotti qui devait diriger cette production. Son remplaçant à la baguette nous laisse présager une belle carrière...


 
Valéry Fleurquin
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