C O N C E R T S 
 
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MILAN
21/06/03

Maria José Montiel (Luisa Fernanda)
LUISA FERNANDA

Comédie Lyrique de Federico Moreno Torroba
Livret de Federico Romero & Guillermo Fernandez Shaw

Présenté en version semi-scénique
 

Mise en scène : Emilio Sagi
Décors : Franco Malgrande
Lumières : Gianni Mantovanini
 

Luisa Fernanda : Maria José MontIel
Vidal Hernando : Placido Domingo
Javier : José Bros
Carolina : Elena de La Merced
Mariana : Raquel Pierotti
Rosita : Eugenia Pont Burgoyne
Anibal : Manuel Beltran Gil
Don Florito : Elia Fabbian
Nogales : Federico Gallar
Bizco Porras : Danilo Fernandez
El Saboyano : Alfredo Nigro
Don Lucas : Christian Senn
Un Capitan : Luis Ledesma
Una vendedora : Sabina Puertolas Azara
Un vendedor : Fulvio Oberto

Direction musicale : Miguel Roa

Milan, Teatro degli Arcimboldi, le 21 juin 2003


INCREVABLE PLACIDO !
Le ténor sexagénaire fait de nouveaux débuts en baryton
 

Née dans la seconde moitié du XVIIème siècle pour la distraction de la cour madrilène, la zarzuela (1) est à l'origine une suite de cantates alternées de passages versifiés.
Un siècle plus tard, le livret prenant de l'importance, la zarzuela devient un équivalent de l'opéra-comique français du XVIIème , mais elle s'inspire davantage de personnages populaires.
Le genre évolue encore pour atteindre son apogée après le milieu du XIXème : le texte parlé garde une grande importance, avec toujours la référence populaire et des sujets plus contemporains; la musique se hisse au niveau de complexité de celle de l'opéra (à l'image de l'opéra-comique français, d'ailleurs), tout en puisant son inspiration mélodique dans le folklore espagnol ; les références sont alors Chapi, Chueca, Breton, Barbieri et bien d'autres...

Au début du XXème siècle, la zarzuela flirte avec l'opérette, notamment dans les ouvrages de Pablo Sorozabal, compositeur prolixe, mais diversement apprécié.

Elle connaît encore deux derniers chefs d'oeuvre : Doña Fransisquita de Vives, en 1923 et cette Luisa Fernanda.

Par ce bref historique, on voit bien que Luisa Fernanda, créé à Madrid en mars 1932, est un rejeton particulièrement tardif du genre "zarzuela grande" (2)  , un anachronisme à la date de sa création, ce qui n'entache en rien sa valeur dans l'absolu.

Né en 1891, Torroba fut à la fois impresario et organisateur de tournées aux Amériques, directeur de théâtre (jusqu'à trois salles simultanément), chef d'orchestre (il dirigea papa et maman Domingo), compositeur de musique instrumentale, notamment symphonique, de ballets et, bien entendu, de zarzuelas : il resta fidèle à celles-ci jusqu'au terme de sa vie ; sa dernière oeuvre, El Poeta, fut créée par Placido Domingo en 1980, l'auteur ayant dépassé les 90 ans.

L'intrigue se base sur des faits historiques : la révolution libérale de septembre 1868 qui vit la fuite d'Isabelle II et l'instauration d'une première république ; c'est d'ailleurs un autre anachronisme : en 1932, les spectateurs étaient plutôt habitués aux ouvrages mettant en scène des événements contemporains.

Les péripéties sont trop nombreuses pour être développées ici, je me contenterai de résumer le livret dans ses grandes lignes.

Luisa Fernanda est fiancée à Javier qui lui a promis de l'épouser à son retour de la guerre.
Elle est courtisée par Vidal, un riche paysan de l'Estremadure, dont elle refuse les avances en lui avouant sa fidélité à son fiancé.

Quand Javier, dorénavant colonel des hussards, revient dans son village natal, ses amis essaient de le gagner à la cause révolutionnaire et l'entraînent à l'auberge pour éviter les regards soupçonneux de la duchesse Carolina.

Au sortir de l'auberge, les révolutionnaires annoncent à Vidal qu'ils ont gagné Javier à leur cause : par jalousie plutôt que par conviction, celui-ci se déclare royaliste.

Javier sort à son tour : il est immédiatement envoûté par la duchesse Carolina qui l'entraîne à sa suite. Changement de programme : Javier est finalement royaliste, Vidal devient révolutionnaire et Luisa Fernanda s'évanouit (à quoi tiennent les opinions politiques...).

A l'acte II, après une avalanche de péripéties secondaires, Carolina met aux enchères l'honneur d'une danse avec elle dans le but d'obtenir des offrandes pour l'Eglise; Vidal et Javier s'affrontent, le premier gagne et cède sa victoire à Javier qui, vexé le provoque en duel; Vidal accepte, mais propose de remettre l'explication à plus tard.

Le lendemain, la révolte éclate : Nogales, le chef de l'insurrection est blessé et c'est Vidal qui mène donc les combattants ; pour lui, l'heure du duel a enfin sonné.

Parallèlement, la duchesse Carolina, chassée par le soulèvement, s'est réfugiée à l'auberge : elle y subit les discours vengeurs de Luisa Fernanda. Peu de temps après, on amène Javier prisonnier; nos révolutionnaires sont prêts à le mettre à mort quand Luisa Fernanda intervient pour sa défense, les accusant de lâcheté. Vidal arrive et libère le prisonnier : Javier a perdu son défi.

Mais les hussards arrivent, qui ont finalement neutralisé les rebelles : quand ils demandent le "cerveau du gang", Javier n'hésite pas à dénoncer Vidal; mais Nogales se déclare seul coupable et Vidal est épargné. Abattue par tant de désillusions, Luisa Fernanda saisit alors le bras de Vidal et lui demande la paix d'un foyer tranquille.

Au troisième acte, tout est prêt pour le mariage dans la propriété de Vidal. La duchesse Carolina a émigré au Portugal et on est sans nouvel de Javier, que l'on croit mort dans la suite des combats.
Bien entendu, Javier revient auprès de Luisa Fernanda, la supplie de le pardonner : la jeune femme lui demande de partir tout en lui avouant qu'elle partage son amour. Quand Javier revient une nouvelle fois en pleine fête de mariage, Vidal comprend aux larmes de Luisa Fernanda qu'il n'a pas conquis son amour et, désespéré, lui demande de partir pour toujours. 

Sur cette intrigue digne de Piave ou de Scribe, Torroba a composé une musique vive et alerte, à l'orchestration subtile, riche en mélodies, sans vulgarité et dans un climat général de douce nostalgie.

Maria José Montel est superbe en Luisa Fernanda : riche voix de mezzo très typée, alliée à un physique particulièrement avantageux.

José Bros (Josep Bros quand il chante au Liceo) est presque un luxe en Javier : le choix s'avère pertinent, car le rôle est difficile et l'acoustique du Teatro degli Arcimboldi exige des voix bien timbrées à défaut d'être puissantes. Le style est comme toujours impeccable; le timbre reste en revanche assez quelconque.

Elena de La Merced est un peu en retrait en duchesse Carolina : un timbre un peu aigre, des aigus tendus, sont compensés par une belle présence scénique.

Sponsor de la soirée, Placido Domingo n'avait pas le droit de nous décevoir en Vidal : l'artiste nous revient dans une forme absolument éblouissante; certes, cette tessiture de baryton aigu lui convient à merveille (3), mais on ne peut qu'être épaté par un tel engagement dans la défense de cette oeuvre qui lui tient visiblement à coeur.
Physiquement, Placido semble même avoir rajeuni (ces dernières années, il avait tendance à se tenir exagérément voûté) : son entrée très théâtrale (à contre-jour, en cow-boy d'Estremadure) lui vaut une longue acclamation, ce qui n'est franchement pas dans les habitudes de Milan.

Miguel Roa dirige avec talent un orchestre splendide. Il ne s'agit pourtant que de deux représentations d'une oeuvre inconnue en Italie, or, la phalange scaligère n'économise en rien son talent et défend l'ouvrage comme si Muti dirigeait un Verdi.

La dernière surprise de la soirée nous vient de la production.
Costumes magnifiques (dans les tons crème ou noir), éclairages alla Strehler, chorégraphie discrète mais efficace, décors simples (quelques chaises et tables, un arbre au dernier acte) rehaussés par des effets de lumières et d'ombres sur des toiles mouvantes, mouvements de foules admirablement réglés, jeu dramatique parfait chez les solistes... la Scala aura vraiment péché par excès de modestie en annonçant une version semi-scénique (4) !

Au global, la surprise de la découverte d'une oeuvre attachante et une très belle réussite d'ensemble.
 
 
 

Placido Carrerotti

(1) La zarzuela doit son nom au Palais de campagne della Zarzuela, nommé ainsi en raison des ronces (zarzas ou zarzales) qui l'environnaient et où furent données les premières oeuvres qui ont donné naissance au genre.

(2) La zarzuela grande, en deux ou trois actes, se distingue des ouvrages moins ambitieux en un acte unique.

(3) Et puis un la bémol de Domingo, ça vaut bien un contre ré de Chris Merritt !

(4) Par comparaison, le Faust de Lavelli fait figure de version concert.
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