C O N C E R T S 
 
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VENISE
28/01/05
Claudio Scimone
MAOMETTO II

Opéra en 2 actes de Gioachino Rossini
Livret de Cesare della Valle

prima rappresentazione in tempi moderni
dell'edizione veneziana
Teatro La Fenice 26 dicembre 1822

Edition critique de Claudio Scimone

Maometto secondo: Lorenzo Regazzo
Selimo: Federico Lepre
Paolo Erisso: Maxim Mironov
Anna: Carmen Giannattasio
Calbo: Anna Rita Gemmabella
Condulmiero: Nicola Marchesini

Direction : Claudio Scimone

Mise en scène, costumes : Pier Luigi Pizzi
Lumières : Sergio Rossi

Orchestra e Coro del Teatro La Fenice
Chef de choeur : Emanuela Di Pietro

Teatro La Fenice
28 Janvier 2005

Ce 28 janvier, premier jour du Carnaval 2005, la Fenice affiche l'opéra de Rossini Maometto Secondo qui avait déjà ouvert la saison du Carnaval le 26 décembre 1822. Sur un livret de Cesare della Valle, l'ouvrage a pour thème la prise de la colonie vénitienne d'Eubée, dans la mer Egée, par le conquérant de Byzance, Maometto II.

Dans la version créée à Naples en décembre 1820, les troupes vénitiennes, à la tête desquelles Paolo Erisso, gouverneur de l'ïle et son second Calbo, sont massacrées et la fille d'Erisso, autrefois séduite par Maometto II sous l'identité d'un notable chrétien, préfère se donner la mort plutôt que de devenir l'épouse d'un ennemi et d'un infidèle. Rossini, se doutant que l'évocation de cet épisode historique, même romancé, ne les séduirait pas, adapta l'oeuvre au goût de ses contemporains vénitiens. Ajoutant une ouverture selon le modèle opératique en vogue à Venise, il renonça à une structure musicale novatrice pour revenir à un schéma plus traditionnel et, avec l'aide du librettiste Gaetano Rossi, le finale, de tragique, devint joyeux.

Dans cette version de la Fenice, jamais reprise depuis 1823, Maometto II accepte le défi que lui lance Calbo, général en chef des Vénitiens et prétendant à la main d'Anna Erisso. Véritable jugement de Dieu, ce combat voit la défaite des Musulmans. Entre son père et son amoureux, Anna chante alors le rondo final de La Donna del Lago.

On le voit, de Naples à Venise, on est passé d'une tragédie sanglante à un dénouement des plus conventionnels. Cependant, les beautés musicales sont si nombreuses que ces changements n'affectent pas l'intérêt suscité par la version vénitienne. De surcroît, pour faire de ces représentations un événement, deux spécialistes éminents de Rossini ont été convoqués, vénitiens eux-mêmes, du moins d'adoption.

Claudio Scimone, chef d'orchestre et musicologue, auteur de l'édition critique et du premier enregistrement de la version napolitaine il y a plus de vingt ans, a mis au point la version donnée à Venise à partir des autographes existants. C'est dire si cet opéra lui est familier. Quant à Pier-Luigi Pizzi , chargé de la mise en scène, des décors et des costumes, il a signé de très nombreuses productions rossiniennes dans les plus grandes maisons.

Avec de tels maîtres d'oeuvre, on ne pouvait se tromper, semblait-il. Et pourtant... Ce n'est pas trahir un secret que de dire que Claudio Scimone est meilleur musicologue que chef d'orchestre. Une direction imprécise et des tempi variables ne facilitent pas la tâche des autres musiciens, instrumentistes ou chanteurs. C'est un peu chacun pour soi. Si, grâce au professionnalisme des uns et des autres, tout accident grave est évité, la cohésion du plateau laisse à désirer et la musique de Rossini n'est pas servie au mieux.

Du point de vue visuel, on retrouve l'élégance infaillible de Pizzi. Mais la beauté des décors et des costumes tient-elle désormais lieu de mise en scène ? Devant des ensembles mornes et statiques, aux attitudes incompatibles avec le texte chanté, on ne peut que se demander si cet homme, qui préparait simultanément Ernani à Vérone, Maometto II à Venise et Semiramide à Rome, a consacré assez de temps à diriger les personnages. Certes, chaque décor éveille des réminiscences picturales ou photographiques - le harem où les femmes assemblées composent un ensemble qui évoque celles de Kaboul dans les ruines - le souterrain voûté à la Piranese, la dégradation croissante du temple antique qui sert d'église aux Vénitiens assiégés, le rempart à demi écroulé par lequel Maometto II fait son entrée... Certes, les costumes qui déclinent toutes les nuances du blanc au noir et du grège à l'ocre - un refus des couleurs vives étendu au héros, revêtu de rouges éteints -, les plissés rappelant l'Antiquité et le Vénitien d'adoption Fortuny, tout est raffinement et condensé de culture. Mais la conception et la réalisation n'ont ni le caractère d'évidence ni la force du spectacle donné à Pesaro autour de la version napolitaine, vraisemblablement plus travaillé.

La distribution ne réserve pas non plus que des satisfactions. Federico Lepre, en Selim, suivant de Maometto II, tire son épingle du jeu. En dira-t-on autant de Nicola Marchesini, le contre-ténor choisi pour être le général Condulmiero ? S'agissait-il de faire sensation ? En 1822, le rôle était chanté par une basse, et dans son enrichissant essai publié dans le copieux programme de salle, Marco Beghelli suggère, compte tenu de l'état de la partition, de faire appel à un baryton aigu...

En passant de Naples à Venise, le rôle de Paolo Erisso, gouverneur malheureux et père déchiré, s'est enrichi d'un air qui en augmente le poids. Le jeune ténor Maxim Mironov, remarqué en novembre au Théâtre des Champs-Élysées en Ramiro, fait de son mieux, mais la tessiture de baryténor se révèle éprouvante et son vibrato donne à croire qu'il est, dès le début, fatigué. En outre, physiquement, bien qu'il essaie de se voûter, on a du mal à croire qu'il soit au moins quadragénaire.

Anna Rita Gemmabella interprète Calbo. Le travesti ne sied vraiment qu'aux chanteuses élancées, ce qui n'est pas son cas. Par contre, la voix est sonore, agile et étendue, l'émission assez bien contrôlée - peu de sons engorgés ou dans les joues lors des changements de registre -, mais elle manque un peu de mordant.

Le rôle d'Anna Erisso, créé jadis par une Isabella Colbran sur le déclin, revient à Carmen Giannattasio. Charmante comme le dit son prénom, elle a comme son illustre devancière des difficultés dans les aigus, qui frôlent la stridence. La souplesse et la vocalisation n'ont rien sensationnel, et le personnage, toujours appliqué, n'a guère de relief.

Heureusement, Lorenzo Regazzo offre au public une leçon de chant rossinien. Assurément, il ne possède pas une voix de stentor ni celle d'une basse profonde, mais sans truquer, sans aucun effet facile, il s'impose comme un des meilleurs chanteurs dans ce répertoire exigeant. Qu'il s'agisse de l'agilité, de la déclamation, du chant syllabé, il sert le rôle avec virtuosité, tout en composant un personnage dramatiquement convaincant sous ses divers aspects de conquérant, de politique et d'amant. Grâce à ce talent majeur, doublé d'une rare probité artistique, et en dépit de ses imperfections, cette édition du Maometto Secondo restera un grand souvenir.
 
 

Maurice SALLES


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