C O N C E R T S 
 
...
[ Sommaire de la rubrique ] [ Index par genre ]
 
......
AVIGNON
30/11/2003

www.jules-massenet.com)
Jules MASSENET (1842-1912)

SAPHO

Opéra en 5 actes - livret d'Henri Cain et Arthur Bernède
D'après le roman d'Alphonse Daudet (1884)

Direction Musicale : Jacques Lacombre
Direction des Choeurs : Stefano Visconti
Mise en scène : Jean-Louis Pichon
Chorégraphie : Laurence Fanon
Décors : Alexandre Heyraud
Costume : Fréderic Pineau
Lumières : Michel Theuil

Fanny Legrand (Sapho) : Danielle Streiff
Divonne : Valérie Marestin
Irène : Florence Vinit

Jean Gaussin : Luca Lombardo
Caoudal : Patrick Vilet
Césaire : Erik Freulon
La Borderie : Pierre Espiaut
Le patron du restaurant : Xavier Seince

Orchestre lyrique de la région Avignon-Provence
Choeurs de l'Opéra-Théâtre d'Avignon et des Pays de Vaucluse

CRÉATION A AVIGNON
En co-production avec l'Esplanade-Opéra de Saint-Etienne
Dimanche 30 novembre 2003

 


SAPHO, TRIOMPHE DU NATURALISME ?

Sapho, créé le 27 novembre 1897 à l'Opéra-comique, vient de connaître les honneurs de la Cité des Papes. Une fois dit que le personnage principal, Jean Gaussin, est avignonnais...

Avouons le bien bas, cette Sapho n'est pas le chef-d'oeuvre auquel on voudrait bien nous faire croire : avec sa relative longueur (5 actes, cadre habituellement réservé au Grand Opéra), une action relativement pauvre et réduite - mais ici le réalisme confine au sordide - un décor unique, une musique douce et discrète... Il fallait donc une bonne dose de courage pour soutenir l'attention. Les inconditionnels se pâment, les autres baillent, dorment ou demandent une aspirine...

Certes, le dernier acte est émouvant (l'ancienne fille de joie - trahie par les siens - qui  retourne à ses devoirs de mère après une vie dissolue entre amants et maîtresses fera toujours pleurer dans les chaumières), mais on ne retrouve que par intermittences le cruel drame de Daudet, ici édulcoré au maximum par les librettistes.

Massenet enveloppe et irradie le tout de sa propre poétique : une partition simple, élégante, moderne parfois, au pathos indéniable dans l'acte final, amusante aussi dans son rappel à la Mireille de Gounod. On est en Provence et on y reste. Finalement, elle n'est " naturaliste " que dans la modernité de son environnement, la simplicité de ses personnages, elle est totalement massenetienne pour le surplus. Qu'il nous soit toutefois permis de penser que Massenet n'a construit que mollement le conflit entre la courtisane mûrissante et son naïf amoureux.

Fou du compositeur, Jean-Louis Pichon, par ailleurs directeur de L'Esplanade-Opéra de Saint-Etienne, vient sans doute de signer la mise en scène la plus originale de la rentrée. 

Prenant le livret à bras-le-corps, il n'y va pas par quatre chemins et ose, dans un décor grandiose - une verrière style Orsay -, un spectacle décadent au premier acte (ici un bordel de luxe avec invertis des deux bords) dans une avalanche de danses, lumières ou clichés crus de la meilleure veine. 

Pour les actes suivants, il resserre le drame dans le plus pur style du drame bourgeois. On pense souvent aux retransmissions télévisées d'Au Théâtre ce Soir ! On entre, on sort, on se dit ses quatre vérités, on se déchire, on se rabiboche... L'indigence du livret permet-elle autre chose ? Ne chipotons pas. Un grand, un beau spectacle. D'autant, on l'a dit, que la scène finale est riche d'émotion. 

Il fallait donc une solide motivation et beaucoup de professionnalisme aux artistes invités pour aborder cette partition. Jouant le jeu à fond, emportant le rôle-titre dans une sorte d'assomption dramatique, musicale et vocale, Danielle Streiff, comme une Traviata pétante de santé, a bien mérité la longue et sincère ovation du public avignonnais. La belle artiste ne craint ni le sanglot, ni le parlé au ton ignoble, ne tombe jamais dans le ridicule ou le vulgaire. Son beau soprano lyrique s'épanouit sans peine aux extrémités de la tessiture voulue par le compositeur. Un rien de plus en termes de diction et nous aurions été vraiment gâtés.

Luca Lombardo ne démérite pas. Le marseillais a la voix chaleureuse de Jean Gaussin. Celle donc de Des Grieux, du prophète Jean, d'Hoffmann et de Don José... Il lui sera beaucoup pardonné pour un léger comas, passager et bien compréhensible. Son rôle est lourd, pas toujours bien écrit, à se demander si Massenet (comme Richard Strauss !?) aimait vraiment les ténors. Une moue boudeuse et une gaucherie d'acteur naturelle peaufinent son personnage, finalement un puceau rêveur, dévergondé par une pute de luxe ! 

Plaisir également de retrouver le mezzo chaud et cuivré de Valérie Maestin en mère Divonne compréhensive et tolérante. Florence Vinit (Irène) peu gâtée dans un impossible rôle d'oie blanche séduit plus qu'elle n'émeut dans ses brèves apparitions.
Le reste du quatuor masculin, bien en place, n'appelle que des éloges. En père désarmé devant les aventures de son fils, Erik Freulon (Césaire) campe un provençal de haut lignage plus vrai que nature. Les ex-amants de Sapho, Caoudal (Patrick Vilet) et La Borderie (Pierre Espiaut) crèvent la scène, sonores et retors à souhait. Jusqu'au patron du restaurant croqué avec finesse et aplomb par un Xavier Seince aux bacchantes affriolantes. 

Choeurs simplement parfaits et excellents comédiens, une fois encore. Dans la fosse Jacques Lacombe arrive à nous faire croire qu'il dirige la révélation lyrique de la décennie. Sa baguette, véhémente, reste intelligemment contenue dans les limites du bon goût. Elle est pour beaucoup dans la réussite exceptionnelle de l'ensemble.
 
 

Christian COLOMBEAU
[ Sommaire de la Revue ] [ haut de page ]