C O N C E R T S
 
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PARIS
12/01/2007
 
© DR Armib Jordan
Albert ROUSSEL (1869 – 1937)

Le festin de l’araignée, suite d’orchestre (1912)
1. Prélude
2. Entrée des fourmis
3. Entrée et Danse du papillon
4. Eclosion, Danse et Funérailles de l’Ephémère
5. Chute du soir.

Paul DUKAS (1865 -1935 )

La Péri, poème dansé (1911)

Maurice RAVEL (1875 – 1937)

Shéhérazade, ouverture de féérie (1899)

Shérérazade, trois mélodies pour mezzo soprano et orchestre (1903)
sur des poèmes de Tristan Klingsor

Asie – La Flûte enchantée – L’Indifférent

Orchestre Philharmonique de Radio France
Anne-Sofie von Otter, mezzo-soprano
Direction : Matthias Bamert

Vendredi 12 janvier 2007
Salle Pleyel - Paris

L’OMBRE D’ARMIN

Ce week-end du 12 au 14 janvier dernier allait se révéler commémoratif : per forza pour le concert du 12 janvier à Pleyel qui devait être dirigé par le regretté Armin Jordan, décédé en septembre dernier, et pour lequel on avait quelque peu tardé à annoncer le nom du remplaçant. Et en effet, celui-ci ne fut communiqué que quelques jours avant le concert…

Parallèlement, il y a peu, le Théâtre des Champs Elysées prenait l’initiative d’organiser un concert (gratuit) le dimanche 14 janvier en hommage au chef suisse, auquel participaient l’Ensemble Orchestral de Paris, dirigé par John Nelson et l’Orchestre de Paris, conduit par Christoph Eschenbach, avec au programme Beethoven, Ravel et Roussel. Dame Felicity Lott , prévue au départ dans des lieder de Richard Strauss, avait dû, souffrante, déclarer forfait.

Mais revenons à Pleyel, dont la soirée, dédiée par les musiciens de l’orchestre Philharmonique de Radio France, à la mémoire d’Armin, devait être retransmise en direct par France Musique.

On apprit la veille que « Madame von Otter n’avait pas souhaité que ce concert soit diffusé en direct », ce qui était plutôt alarmant et pouvait sous-entendre une méforme passagère ou une mésentente avec le chef, ou les deux… D’autant plus que, le dimanche 7 janvier, la même radio avait diffusé un concert donné au Musikverein de Vienne en octobre 2006, avec le même orchestre, il est vrai dirigé par Chung, la même Shéhérazade, par la même artiste et avec pour le reste du programme des œuvres du même Ravel…. Lequel concert, donné dans le cadre de la résidence de l’orchestre au Musikverein, se révéla superbe, tant par la prestation du chef et de l’orchestre que celle de la soliste…

Il y avait d’ailleurs de quoi s’interroger sur une programmation radiophonique qui prévoyait à des dates aussi rapprochées des concerts aussi semblables, mais après tout, il ne fallait pas regretter que la mariée soit trop belle…Et puis, le programme de celui de Pleyel, préparé par Armin Jordan lui-même, était bien attrayant, d’autant plus que le remplaçant n’y avait apporté aucun changement.

Oui mais voilà, Pleyel n’est pas le Musikverein et à part la nationalité helvétique, force est de reconnaître que le défunt Armin Jordan et Matthias Bamert n’ont guère de points communs.

Et là où le raffinement de Jordan et son art de coloriste faisaient merveille, Bamert oppose une froideur analytique et une rigidité quasiment « chirurgicales », surtout pour un tel programme, même si l’orchestre est mené de manière très rigoureuse et carrée, toutefois assez « militaire ». De toute évidence, ce chef n’a guère d’affinités avec ce répertoire, mais comme l’orchestre, lui, le possède à fond, cela se passe plutôt bien, du moins dans la première partie. On peut, certes regretter que les cuivres tonitruent et couvrent souvent les cordes et aussi déplorer un certain manque de souplesse dans des œuvres aussi contrastées et passionnantes que Le Festin de l’Araignée de Roussel, ballet pantomime, créé en 1913 au Théâtre des Arts à Paris et La Péri, Poème dansé  de Paul Dukas, autre ballet donné pour la première fois en 1912 au Châtelet, qui auraient requis plus de nuances.

Les choses vont nettement se gâter pour la suite, avec l’arrivée de Ravel et de son univers orientaliste et délicat. L’ouverture dite « de féerie » - vertu qu’on recherche désespérément – se voit expédier de manière assez brutale, mais c’est pour cette Shéhérazade sensuelle et mélancolique, chef d’œuvre absolu, attendu comme le sommet de la soirée, que l’on allait se sentir à la fois frustré et déçu.

Dés les premières mesures, on a l’impression que la soliste et le chef évoluent dans deux mondes parallèles qui ne se rencontreront jamais vraiment, sauf à la fin pour les saluts. Matthias Bamert semble étranger à cette partition que von Otter, elle, connaît à fond. Déjà, en 1999, lors d’un mémorable récital à Garnier, elle l’avait chantée, accompagnée au piano par Bengt Forsberg.

Par la suite, elle devait l’interpréter à travers le monde sous la direction des chefs les plus éminents et l’enregistrer pour DG avec Boulez. Personnellement, j’avais eu la chance de l’entendre, il y a quelques années, au Concertgebouw d’Amsterdam, autre salle prestigieuse, toujours avec l’orchestre Philharmonique de Radio France et Chung au pupitre, dans un climat d’osmose parfaite et de totale complicité.

Là, on sent la mezzo suédoise assez gênée et même parfois mal à l’aise, même si sa prestation, bien loin d’être indigne, fait montre de ses habituelles qualités de diseuse et de musicienne. Certes, on pourra lui reprocher de manquer parfois de puissance vocale, et bien qu’elle cisèle avec art son interprétation et distille le texte avec élégance et sensualité, de trop privilégier l’intériorité et la délicatesse, au détriment d’une vision plus extravertie, voire exubérante… Telle quelle, sa lecture demeure néanmoins passionnante, poétique et inspirée, et c’est d’autant plus méritoire que Bamert, qui, de toute évidence, a du mal à doser les sonorités et les couleurs et à trouver un équilibre entre la voix et l’orchestre, ne l’aide guère, voire parfois pas du tout.

Pour finir, il faut reconnaître à la décharge du chef, que la nouvelle salle Pleyel n’est guère clémente pour les voix, d’autres artistes en ayant fait déjà les frais …

Mais l’acoustique n’excuse pas tout, et il est clair qu’un chef plus adapté aux circonstances eût facilité les choses..

En conclusion, une fois de plus, Armin Jordan nous aura ce soir-là cruellement manqué.


Juliette BUCH
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