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TOULOUSE
13/11/05
 Sophie Koch © Patrice Nin

Ambroise THOMAS (1811-1896)

MIGNON

Opéra en trois actes
Livret de Jules Barbier et Michel Carré
D’après Les années d’apprentissage de Wilhelm Meister de Goethe

Mise en scène, Nicolas Joël
Décors, Emilio Carcano
Costumes, Gérard Audier
Lumières, Vinicio Cheli

Mignon, Sophie Koch
Philine, Laura Claycomb
Wilhelm Meister, Yann Beuron
Lothario, Giorgio Surian
Frédéric, Blandine Staskiewicz
Laërte, Christian Jean
Jarno/Antonio, Philippe Fourcade

Orchestre National du Capitole
Chœur du Capitole
Direction musicale, Jean-Yves Ossonce

Toulouse, le 13 novembre 2005

Le livret de Mignon, c'est Goethe revu et corrigé par l'esprit du feuilleton, dans le but d'attendrir le spectateur.

Et quel coeur de pierre résisterait aux malheurs de cette délicate adolescente contrainte par d'affreux Bohémiens de galvauder sa beauté et son innocence , et qui, ne sachant ni son nom ni son origine, garde en elle le souvenir d'un paradis perdu, lointain et exotique ? Qui ne serait touché par sa révolte impuissante ? Comment ne pas soutenir les actes du vieillard et du jeune homme qui s'interposent pour la défendre ? Comment ne pas vibrer, quand Mignon s'éveille à l'amour devant nous, témoins-voyeurs de ses premiers émois ? Qui peut rester insensible aux emportements de sa jalousie ? Et lorsqu' enfin le malheur semble vaincu, l'identité et le statut rétablis, le père retrouvé, l'amour reconnu et partagé, et que l'infortunée succombe à l'excès de bonheur, qui ne verserait sa larme ?

Certes, de nos jours une telle accumulation de traverses peut faire hausser les épaules, voire ricaner . Mais si nous allons au-delà de l'épreuve que constituent les vers de pacotille et les inadvertances du livret, il reste que sous les oripeaux du mélodrame on trouve les thèmes dont quelques années plus tard la psychanalyse fera son miel, aussi anciens que l'humanité.

Que se demande Mignon ? Qui elle est, d'où elle vient, où elle va . Il lui manque un Socrate. Ce n'est donc pas par l'intellect mais par le sentiment qu'elle trouvera les réponses, aidée par un destin facétieux qui a réuni sans le leur dire ceux qu'il avait séparés et fera d'un riche et sage - malgré sa jeunesse - représentant de la bourgeoisie le libérateur de leur mémoire.

Que nous dit Mignon aujourd'hui ? Les enlèvements d'enfants ? Ils font partie, hélas, des faits divers. Les troubles psychologiques consécutifs à des circonstances traumatisantes ? Banalité du quotidien. La jalousie ? Toujours prête à mordre.

Il est toujours aussi difficile de voir clair dans ses sentiments, de résister, pour un homme, aux chatteries d'une femme séduisante . La droiture de Meister garde sa valeur d'exemple, on voudrait l'avoir pour ami . Autrement dit, il y a dans les composantes théâtrales des éléments qui par delà les décennies qui nous séparent de la création nous parlent directement.

Quant aux composantes musicales, même si certains font la moue et disent ne pas aimer le sirop, comment nier de bonne foi le charme, à la fois intrinsèque et historique,d'une orchestration et de mélodies qui exaltent si efficacement situations et personnages ? Ecouter Mignon, c'est ouvrir le "large buffet sculpté " de Rimbaud, c'est prendre plein les oreilles d'une musique délicieusement datée, comme les salons Louis XV d'époque Napoléon III .

Les mélodies, tout à la fois flatteuses, convenues et pourtant déconcertantes, comment leur résister ? Ecouter Mignon, c'est consentir à s'abandonner à l'effusion . Primaire ? Pas autant qu'il y parait ; c'est tout l'art de Thomas de donner l'air simple à ce qui ne l'est pas.

Il faut un dosage très précis de l'expressivité pour ne pas sombrer dans un pathos indigeste .C'est toute l'élégance de l'équipe rassemblée à Toulouse .

Jean-Yves Ossonce, à qui l'orchestre du Capitole restitue les leçons de Michel Plasson (unité des cordes, virtuosité des vents) et obéit avec une souplesse délectable, trouve les tempi justes entre lenteur et vivacité pour donner à l'oeuvre son climat.

Il soutient des chanteurs de grande classe ; parler de seconds rôles serait impropre tant chacun excelle dans ce qu'il fait .Philippe Fourcade est un Jarno de luxe . Christian Jean compose un Laerte animé, désinvolte jusqu'au primesautier.

Blandine Staskiewicz campe un Frédéric délicieux,vocalement et scéniquement . Giorgio Surian, Lotario à la voix solide et saine, se montre particulièrement convaincant dans l'émotion. Comme tous ses partenaires- mais c'est évidemment plus remarquable pour les non-français- sa prononciation est d'une clarté exemplaire . C'est vrai ausi pour Laura Claycomb, qui donne sans mal à Philine la grâce et la coquetterie requises et se tire avec brio des pyrotechnies obligées.

Yann Beuron, avec ses moyens, est un Meister dont la musicalité et la conviction suspendent le public à ses airs ; dans ce temple du fort ténor il s'impose en grand artiste.

Sophie Koch, triomphatrice de la représentation, n'a pas à forcer pour tenir le Capitole sous son charme. Mais au delà de l'évidente séduction physique il y a sa voix dont elle joue voluptueusement sur toute l'étendue et l'émotion dont elle habite le personnage. Quand elle sera plus sûre d'elle, plus détachée de la fosse, la perfection ne sera pas loin.

Et la mise en scène ? Elle tient compte des didascalies et reprend les procédés du théâtre au siècle dernier. Pour chaque acte, des toiles peintes différentes en fond de scène, devant lesquelles des décors simples mais fonctionnels servent de cadre à  des ensembles où brillent des costumes Restauration . Les scènes de foule sont peu animées et les chanteurs assez peu mobiles ; attitudes et  groupes dérivent de la tradition que nous a transmise l'iconographie et composent sous nos yeux d'esthètes décadents de somptueux chromos (cf le final du second acte ). Autrement dit, Nicolas Joël joue le jeu et il a raison . Le spectacle y trouve une unité de style tout à fait justifiée .

Au moins le public semblait-il de cet avis, qui a salué de longs applaudissements nourris d'acclamations les participants à cette belle et bonne reprise . 

Maurice Salles
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