C O N C E R T S 
 
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BRÊME
03/09/05
© DR
MUSIKFEST BREMEN 

Brême (Allemagne) - du 3 au 24 Septembre 2005

Compte-rendus des concerts du 3 septembre 2005

Concert I (Concert Spirituel - Herbé Niquet)

Concerts II & III (Musiciens du Louvre - Marc Minkowski)

EINE GROSSE NACHTMUSIK...

Située à 1h10 d'avion de Paris, la noble ville hanséatique de Brême, dont le centre historique, datant en grande partie du Moyen Age, a été miraculeusement épargné par les bombardements de la dernière guerre, possède, comme de nombreuses villes d'Allemagne, une tradition musicale bien établie. D'où ce Musikfest im Bremen se déroulant du 3 au 24 septembre, et dont cette soirée intitulée "Eine Grosse Nachtmusik" (référence à la Kleine Nachtmusik du divin Mozart) et sous-titrée "Eröffnungsfest rund um den Markplatz" constituait l'événement inaugural.

Le principe de cette promenade musicale autour de la Place du Marché est assez simple et n'est pas sans rappeler, en plus modeste, celui de la Folle Journée de Nantes : chaque concert est donné trois fois, parfois avec des programmes sensiblement différents, à 19 h30, 21 h et 22 h dans plusieurs lieux du centre historique. Le spectateur doit en choisir trois dont un au moins doit se dérouler dans un lieu différent des deux autres. La durée de chacun des concerts ne doit pas excéder 45 minutes, afin que le public ait suffisamment de temps pour passer d'un lieu à un autre. La règle s'assouplit cependant pour le dernier, commençant à 22h30, au cours duquel les artistes peuvent réserver quelques "surprises" à l'auditoire.

Le tarif unique pour chacun des concerts de la soirée est très abordable : 20 euros, et en- dehors de ceux auxquels je me suis rendue, étaient proposés également un récital d'orgue, de la musique de chambre, du jazz latino et des lectures de lettres de Mozart par Klaus Maria Brandauer. De quoi se sentir frustré de ne pouvoir assister à tout !

Cette 16ème édition du Bremen Festmusik accueille par ailleurs des artistes prestigieux : outre, pour cette première soirée, deux beaux fleurons des ensembles baroques français, à savoir Hervé Niquet et son Concert Spirituel, ainsi que Marc Minkowski et ses Musiciens du Louvre avec, en soliste, Anne-Sofie von Otter, on peut citer pour la suite des festivités : Riccardo Muti et le Philharmonia Orchestra, Fazil Say, Maria Joao Pirès et Gérard Caussé, Gidon Kremer et la Kremerata Baltica, Reinhard Goebel et le Musica Antiqua Köln, Laurent Korcia, Barbara Hendricks, l'Ensemble Zefiro, Skip Sempé et Le Capriccio Stravagante, Hélène Grimaud, Roger Norrington et d'autres encore, sans oublier une série de trois représentations du Mitridate de Mozart dans la production donnée cet été à Salzbourg et dont nous parlerons plus loin.....et, cerise sur le gâteau, un grand bal à la viennoise dans un palace de la ville...

Parmi le public très mélangé, à la fois chic et décontracté, qui se presse à ces manifestations, on repère vite les habitués, les passionnés et les officiels. Cependant, tout ce beau monde se fond plutôt harmonieusement dans l'allégresse générale, sans que l'on perçoive un réel clivage. Dans l'ensemble, tous ces gens cherchant fébrilement leurs places ont l'air heureux d'être là et l'ambiance est plutôt bon enfant, exempte du snobisme qui préside souvent à des manifestations plus médiatisées. Ici, on vient par amour de la musique ce qui, par les temps qui courent, est plutôt rafraîchissant.

Les édifices sont superbes et le parcours fléché plutôt princier. La Place du Marché où se trouvent la cathédrale, l'Hôtel de Ville et non loin, Unser lieben Frauenkirche et die Glocke n'est pas sans rappeler, en moins grandiose, certes, la Grand' Place de Bruxelles ou celle de Bruges.

Ce soir là, les dieux bienveillants nous avaient comblés : ciel d'un bleu profond, soleil radieux, qualité de lumière exceptionnelle, température idéale : autour de 20° - vent léger venu de la mer. Toutes les conditions étaient réunies pour faire de cette soirée un moment magique, et l'on se souviendra longtemps des rayons dorés du couchant jouant à travers la dentelle de pierre de l'Hôtel de Ville...




Le Concert Spirituel - Hervé Niquet © DR

PREMIER CONCERT
(Unser Lieben Frauenkirche)

Marc-Antoine CHARPENTIER (1643 - 1704)
Messe à huit voix , violons et flûtes H. 3
Kyrie - Gloria - Credo - Agnus Dei - Domine Salvum

Solistes :
Soprane : Stéphanie Révidat - Hanna Bayodi
Contre-ténors : François-Nicolas Geslot - Daniel Auchincloss
Ténors : Emiliano Gonzalez-Toro - Sébastien Droy
Basses : Benoit Arnould - Renaud Delaigue

Orchestre et choeur du Concert Spirituel - Direction : Hervé Niquet




SPLENDEURS DU GRAND SIECLE

L'église Notre Dame, de style roman primitif, dont les premières fondations datent de l'an 1000, fut avec la cathédrale, la première paroisse de Brême. Elle subit bien évidemment des restaurations successives, dont les plus importantes eurent lieu aux XIIIème, XIVème et XVème siècles. La dernière, datant du XXème, dans les années soixante, permit l'ajout de splendides vitraux de Manessier.

Le programme présenté par le Concert Spirituel, en parfaite adéquation avec le lieu, bénéficie de son acoustique miraculeuse, et de l'harmonieuse répartition des volumes et des espaces qui le caractérise. Il règne dans cette église une atmosphère très particulière, profondément mystique et recueillie.

Depuis sa création en 1987, la renommée du Concert Spirituel n'a cessé de croître. Il est vrai que son fondateur, Hervé Niquet est passé maître en matière de répertoire des XVIIème et XVIIIè siècles, surtout la musique vocale, profane et religieuse, et précisément celle de Marc- Antoine Charpentier.

Ce dernier séjourna à Rome pendant trois ans pour parfaire sa formation musicale, où il subit l'influence, essentielle pour la suite de sa carrière, de Carissimi. Par ailleurs, même si Charpentier, qui fut très dépendant de la soif de pouvoir sans limites de Lully, dut se retrouver au coeur des querelles et rivalités opposant les partisans de la musique française à ceux de la musique italienne, il réussit le tour de force de s'en détacher. Son originalité fut de réaliser dans ses compositions une synthèse quasiment idéale et très novatrice entre les éléments italianisants de son temps et un véritable style français.

Raffinement, audace dans l'instrumentation, on retrouve tout cela dans cette messe à huit voix, ainsi que "l'italianité", indiscutablement présente dans laquelle elle baigne, avec une pointe de lyrisme et même de sensualité.

L'ensemble vocal est de grande qualité, avec des voix de belle couleur, bien timbrées et projetées et l'alternance des solistes - deux par catégorie - évite la monotonie.

L'orchestre n'est pas en reste, surtout quand on sait qu'il compte comme premier violon, Alice Piérot qui nous avait éblouis dans les Sonates du Rosaire, de Biber, parues chez Alpha avec l'ensemble "Les Veilleurs de Nuit". Cohésion, homogénéité, grande rigueur et en même temps souplesse, absence de raideur et de dogmatisme. Une grande spiritualité émane de cette prestation en même temps qu'un certain abandon. La foi des grands mystiques n'impliquait-elle pas principalement l'abandon suprême à Dieu ?

Pour couronner le tout, la lumière du crépuscule, passant à travers les vitraux de Manessier, ajoute au charme du moment.


CONCERTS II ET III
(Die Glocke)


Anne Sofie von Otter © DR

Premier Programme :

Christoph Willibald GLUCK (1714 - 1787)
Orphée et Eurydice (version Berlioz)
"Quel nouveau ciel"
"J'ai perdu mon Eurydice"

W. A. MOZART (1756 - 1791)
Musique de Ballet pour "Idomeneo" - K367
1 - Chaconne - Larghetto - Chaconne
2 - Pas seul - 3 - Passepied
4 - Gavotte - Passacaille

Christoph Willibald GLUCK
Paride e Elena
"O del mio dolce ardor"

Soliste : Anne-Sofie von Otter, mezzo- soprano

Les Musiciens du Louvre, Direction Marc Minkowski

Second Programme

Wolfgang Amadeus MOZART
Le Nozze di Figaro "Voi che sapete"
La Clemenza di Tito "Deh per questo instante solo"

Sérénade "Cor de Postillon" K 320 (*)

1 - Adagio maestoso - Allegro con spirito -2 - Concertante (Andante grazioso)
3 - Andantino - 4 - Menuetto - Trio I - Trio II - Menuetto - 5 - Finale (Presto)

Cosi fan Tutte "E amor un Ladroncello "

Solistes : Anne-Sofie von Otter, mezzo- soprano
Jean-Baptiste Lapierre, cor solo (*)
Les Musiciens du Louvre, direction Marc Minkowski



HEUREUSES  RETROUVAILLES...

Changement radical de lieu avec Die Glocke, magnifique salle de concert dotée de 1400 places présentant certaines similitudes, en moins grand, avec le Palais des Beaux Arts de Bruxelles, le Concertgebouw d'Amsterdam et en moins somptueux avec le Musikverein de Vienne.

Ici, beaucoup de bois : blond pour le sol de la scène et de la salle, nettement plus foncé, de teinte acajou pour les parties latérales. Le reste des murs et du plafond sont peints d ëun vert d'eau de belle nuance, qui s'harmonise très bien avec celles du bois, lequel garantit, on s'en doute, une acoustique phénoménale.

Salle comble, donc, pour cette soirée qui scellait un retour en force de l'alliance sacrée entre Marc Minkowski et celle qui fut sa muse inspiratrice pendant tant d'années, pour des opéras, concerts et enregistrements formidables et déjà entrés dans l'Histoire : Ariodante, Hercules, Le Couronnement de Poppée, Jules César, la soirée Offenbach....Depuis quelque temps, déjà, on les voyait et entendait moins ensemble et ce fut donc un grand bonheur que de les retrouver ce soir-là.

La diva fait une entrée assez surprenante dans une tenue très "ado baba cool sixties - seventies" qui par ailleurs lui va à ravir et semble démentir ses cinquante ans tout frais. La tunique en voile à volants, vert et rose un peu fluo, le jean blanc en toile, les sandales indiennes argentées et pailletées qui laissent apercevoir des ongles laqués de rouge, auraient certes, mieux convenu à un concert de musique pop comme elle en affectionne, en particulier pour les chansons du groupe Abba (un disque est en préparation). Il n'empêche que l'artiste, très détendue, comme sa tenue, est très en voix.

Le premier air "Quel nouveau ciel" est sans doute un peu grave pour elle désormais, mais l'expression, le style, la diction en français, sont comme toujours superlatifs et elle chante "J'ai perdu mon Eurydice" sans le récitatif, de manière très extravertie et véhémente, avec un profond désespoir. Grand gluckien s'il en est (son Iphigénie, son Orphée sont admirables) Minkowski accompagne avec panache mais retenue sa bien-aimée diva.

Las, les choses se gâtent lorsqu'il se retrouve seul à la tête de son orchestre pour la suite de ballets d'Idomeneo. Sa lecture est un peu brutale, très - trop - rapide, sa direction parfois déséquilibrée et peu nuancée.. N'oublions pas qu'il avait quasiment raté, il y a quelques années, son Idoménée de Bastille.

Mais von Otter revient pour un "O del mio dolce ardor" d'anthologie, raffiné, musical en diable et à nouveau le miracle s'accomplit entre le chef et la chanteuse en parfaite osmose. L'équilibre est retrouvé, comme si von Otter imperceptiblement, réglait elle-même les nuances et les tempi. Le public très enthousiaste leur fait un triomphe.


Les Musiciens du Louvre - Marc Minkowski © DR

Le second concert est consacré exclusivement à Mozart, année commémorative oblige. Au contact de la mezzo suédoise, Minkowski redevient formidable, comme si décidément, son interprète l'obligeait à plus de douceur et de simplicité...car von Otter connaît son Amadeus sur le bout des doigts. D'abord Chérubin que cette subtile mozartienne chante comme personne. (C'est d'ailleurs ce "fanciullo" qui, au Covent Garden, marqua le point de départ de sa carrière internationale.) Et puis Sextus, un autre de ses grands rôles, que, contrairement à Chérubin, qu'elle a décidé d'abandonner, elle chante encore et toujours, et formidablement (au Met en mai dernier). De Sextus, elle a choisi le plus "intérieur"  des airs, "Deh per questo instante solo", celui qu'on ne peut pas interpréter en faisant de l'esbrouffe et du "son", qui demande une maîtrise absolue du souffle, du style et de l'expression, et où elle est encore insurpassable.

Nouvelle déception pour cette "Sérénade Cor de Postillon" où l'on retrouve les défauts remarqués précédemment dans la suite d'Idomeneo. Malgré les qualités indiscutables de cet orchestre et de son chef, si probantes dans bien d'autres répertoires, la direction est souvent brouillon, brutale et hachée, avec une fâcheuse tendance à un peu trop forcer le trait. Ce chef qui sait si bien diriger, avec légèreté et finesse, Rameau, Haendel et Gluck, sans oublier, dans un autre registre, notre précieux Offenbach, bute de manière récurrente sur l'oeuvre du "Wunderkind". A sa décharge, on pourrait ajouter qu'il n'est pas le seul... Et il se rachète quand même dans les mouvements plus lents, qui mettent en valeur la grande qualité des vents et des bois, vraiment superbes.

Créant un événement à effet comique garanti, Jean-Baptiste Lapierre arrive à vélocipède pour jouer son solo. Hélas l'instrument produit quelques fausses notes qui écorchent quelque peu nos oreilles, mais ne perturbent pas trop le public, visiblement ravi.

Dernier mouvement très - trop - rapide et brutal (voir l'enregistrement de Karl Boehm chez DG, miraculeux), comme si Mikowski ne pouvait maintenir le mystérieux équilibre du maître de Salzbourg, plus tout à fait baroque, et pas encore romantique. Convenons qu'il se rachètera le lendemain en dirigeant fort bien le Mitridate, re di Ponto composé par un Mozart de...quatorze ans.

Von Otter revient pour une Dorabella, dans la droite lignée de Berganza, où alternent grâce, finesse, musicalité, une pointe de malice et d'ambiguité, mais pas trop, juste ce qu'il faut, l'équilibre, encore... N'oublions pas qu'elle a beaucoup chanté ce rôle qu'elle dit pourtant ne pas trop aimer, et qu'elle l'a enregistré deux fois : la première avec Karita Mattila en Fiordiligi, sous la direction de Neville Marriner, et la seconde avec Solti au pupitre et Fleming comme partenaire.

Triomphe, embrassades, Minkowski est quasiment en dévotion devant sa diva qui redonne en bis le "O del mio dolce ardor" du premier concert et re-triomphe avec re-embrassades, baise-main, bouquets, etc, etc...

Ainsi donc se termine, dans l'allégresse générale, cette folle journée...
 
 
 
 

Juliette BUCH
NB : Saison vocale 2005-2006 de "Die glocke" : Récitals de Ian Bostridge, Soile Isokoski,
Angela Denoke, Roman Trekel avec Bruno Ganz, récitant...

Site internet : www.glocke.de

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